Quatre mois après la prise de Goma et de Bukavu, peut-on parler de stabilité ? Les populations des zones sous contrôle de la rébellion sont-elles vraiment «libérées» tel que le vante la vaste campagne médiatique de l’armée numérique du M23/AFC ? Nous allons le savoir dans les lignes qui suivent.
Le M23 et ses alliés du Rwanda ne désarment pas, conquérant même d’autres pans de territoires malgré les appels au cessez-le-feu. Pour le chef du M23 Bertrand Bisimwa, « le mouvement n’a pas de revendications à présenter à Kinshasa. Il a plutôt des problèmes à résoudre avec ou sans Kinshasa ». Les 46 minutes du discours de l’ancien président Joseph Kabila, si l’on s’y attarde sans émotion, viennent rajouter une nouvelle donne à cette guerre qui n’a que trop duré.
Il est vrai qu’après le carnage de Goma, exacerbé par le lynchage des jeunes sur les rues de Bukavu, le M23/AFC et ses alliés RDF tentent désespérément d’appliquer des stratégies du soft power pour panser les plaies des habitants des zones sous leur contrôle. Ils multiplient les campagnes de sensibilisation pour essayer d’apaiser les esprits toujours en surchauffe. Le 18 mai 2025, ce fut un culte œcuménique devant le coordonnateur de l’AFC, Corneille Nangaa, au stade de l’Unité.
Il y a peu, le ministre de l’Intérieur accusait le M23/AFC et ses alliés de poursuivre les crimes et violations des droits de l’homme. Un communiqué fait état d’environ 300 cas et que « tout était documenté et archivé ». Il est connu que la ville de Goma fait face à plusieurs arrestations. « On ne peut pas prétendre stopper les crimes en commettant d’autres. L’insécurité n’est pas une raison suffisante pour déporter des jeunes sans motif. Je soupçonne un recrutement forcé », se lamente un habitant d’un quartier de la ville de Goma.
Le 24 mai 2025, un cadre du M23/AFC justifiait que « l’AFC/M23 sensibilise les jeunes qui acceptent volontairement d’adhérer à son idéologie avant de les soumettre à la formation militaire. Le mouvement a d’ailleurs retourné 180 jeunes déclarés non aptes et que 50 autres du même quartier poursuivent leur formation et vont défiler le 30 juin prochain à l’issue d’une formation complète ».
Mais les enlèvements et des arrestations des jeunes continuent à être déplorés. Lors d’une opération de bouclage, « plusieurs jeunes peuvent être séquestrés puis déshabillés pour rechercher, disent-ils, les traces de port d’armes, de blessures par balles ou de tatouages, assimilés à l’appartenance aux Wazalendo et dont les porteurs sont embarqués vers une destination inconnue », témoigne un enseignant d’un quartier de Goma. Mais pour le maire de l’administration parallèle, « ces opérations exécutées avec professionnalisme, sous la haute supervision des services des renseignements, ont permis de récupérer environ 1 700 armes », alors que des criminels dont l’identité reste à déterminer continuent d’opérer sans être inquiétés.
L’administration parallèle, un ballon d’essai de la balkanisation ?

L’administration établie par le M23/AFC active ses réformes. Parmi elles cette nouvelle administration fiscale qui a fusionné l’ensemble des régies financières en une Direction générale des Finances (DGF), la qualité décernée à la CADECO lors de sa réouverture forcée comme Autorité de régulation du système bancaire, ou les travaux communautaires décrétés chaque samedi et auxquels la participation est obligatoire, les contrevenants étant fouettés et des amendes exorbitantes infligées.
Quant à l’idée de la balkanisation, les cadres de l’AFC/M23 la rejettent en bloc, se disant « engagés pour libérer toute la république ». Lors d’un entretien avec les membres du mouvement à Bukavu, le porte-parole militaire, le lieutenant-colonel Willy Ngoma, a déclaré sans rire qu’ils vont « occuper cette partie du pays jusqu’à la venue du Christ ». Des propos qui renforcent la crainte d’une balkanisation ou d’un fédéralisme qui ne dit son nom. Le gouvernement central tente de maintenir sa présence sur toute l’étendue du territoire. Le ministre de l’Intérieur a demandé par un télégramme aux autorités légales de rester dans leurs provinces respectives. Mais à qui profite l’enlisement ?
Dernièrement un échantillon de plus de 360 personnes arrêtées a été présenté à la presse comme des sujets rwandais en situation irrégulière. Avec d’autres identifiés comme FDLR, disent les responsables de la rébellion, ils ont été retournés au Rwanda sous l’œil du HCR et de la Croix rouge.
Le M23 fait mention par ailleurs des questions relatives à la neutralisation des FDLR et au retour de milliers de familles réfugiées au Rwanda. Sur ces questions, le M23/AFC semble prendre une longueur d’avance sur Kinshasa. Au niveau socio-économique, la fermeture des banques a constipé le circuit économique, la rareté des devises a lourdement impacté le taux de change et les prix des biens de première nécessité. L’aéroport international de Goma reste fermé. Les différentes tentatives pour arrêter les violences et ramener la paix dans la région n’ont produit aucun effet sur le terrain et la peur reste omniprésente, même si l’espoir reste permis.
« Faire taire les armes pour transformer l’est en un moteur de développement »

La section belge de la Dynamique Mashariki Plus, une association congolaise basée en Belgique et ayant pour objectif d’œuvrer pour faire taire les armes dans l’est de la République démocratique du Congo afin d’en faire un moteur de développement, a tenu le 7 mai à Cardo Hôtel de Bruxelles une conférence de presse sur la situation prévalant dans ce pays.
Pour l’association, il s’agit de débarrasser l’est de la RDC, qui part de la Grande Orientale au Grand Katanga en passant par les deux Kivu et le Maniema, des conflits récurrents et de transformer cet espace riche de ses nombreuses ressources en un moteur de développement pour l’ensemble du pays, a déclaré devant la presse son président, M. Abraham Chabo, qui a expliqué que le terme « Mashariki » signifie « l’aube », « l’Orient » ou encore « l’Est », cette partie de la RDC qui « produit 65% des ressources du Trésor public mais dont la population vit à 95% dans la pauvreté ».
De son côté, M. Steve Clément Ndume, porte-parole de l’association, a déploré qu’« en dépit de l’alternance pacifique la guerre a repris de plus belle dans l’est, faisant des milliers de morts et de nombreux déplacés qui errent dans des conditions inhumaines ». Il a rendu hommage aux populations locales, qui résistent avec courage face à l’occupation, démontrant leur farouche volonté d’appartenir à la nation congolaise une et indivisible, avant de dénoncer les velléités de division de certains Congolais qui optent pour un discours de haine. M. Ndume a par ailleurs préconisé, face à la complexité de la situation dans l’est que « les représentants des populations locales, qui maîtrisent la problématique, soient associés à toute négociation ».
Dans sa conclusion, le modérateur de la séance, M. Emmanuel Luangi Saleh, a estimé que « les Congolais doivent se mettre autour d’une table pour trouver la solution à leurs problèmes », saluant au passage l’initiative des évêques catholiques et protestants. Il a enfin souligné que « la création de Mashariki procède de la volonté de sensibiliser sur le vivre ensemble et de ne pas stigmatiser une tribu ou quelque personne que ce soit ».