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République démocratique du Congo : Le génocide effacé

Manifestation appelant à la paix dans la bande de Gaza, place de la République à Paris, dimanche 22 octobre 2023. EMMANUEL DUNAND / AFP (Image : la-croix.com)

« Don’t Cry for Me Argentina » est la chanson phare de la comédie musicale « Evita », qui fut un immense succès. Le titre est repris par Eva Perón, première dame d’Argentine, pour exprimer son espoir sur le futur de son pays.
Aujourd’hui se joue une tragédie dans l’Est de la République démocratique du Congo, un génocide silencieux, invisibilisé par d’autres causes qui sont privilégiées par la presse et le monde politique. Face à ce drame, on devrait pouvoir crier « Yes, do cry for Congo », avant que des populations entières ne disparaissent.
De la guerre en Ukraine, en passant par le conflit israélo-palestinien, la guerre commerciale déstabilisant les économies et les marchés, le désastre soudanais, les groupes armés djihadistes qui écument et déstabilisent l’ensemble de l’Afrique, le monde bascule dans un ensauvagement que la politologue Thérèse Delpech avait annoncé dans son ouvrage « L’ensauvagement : le retour de la barbarie au XXIème siècle ».
C’est, hélas, une réalité ! Cependant, l’intérêt pour les souffrances de populations qui subissent ce nouvel ensauvagement est à géométrie variable. Aujourd’hui la mère de toutes les batailles est la cause palestinienne. Elle invisibilise tous les autres drames humanitaires, aussi tragiques soient-ils.
Cette cause est dévoyée à outrance, l’on entend des présentateurs comparer sans vergogne Gaza à Auschwitz, des membres de l’ONU manipulant des informations et alertant la presse sur la mort en 48 heures de 14 000 bébés palestiniens alors que le rapport dit que ces bébés risquent la mort endéans l’année. Ce qui ne change rien au fait que c’est horrible, mais il n’en demeure pas moins que c’est une fausse information. Jusqu’au meurtre des deux jeunes membres de l’ambassade israélienne à Washington, où un homme politique français déclare à RTL que « c’est bien normal et que cela risque encore d’arriver si rien n’est fait pour Gaza », tout en refusant le terme de meurtres antisémites.

Un traitement de privilège pour les Palestiniens

Pour Gaza toutes les outrances sont permises. Pas une semaine ne passe sans qu’il y ait des dizaines de manifestations à travers le monde, Paris, New York, Londres, Bruxelles, Melbourne ou d’autres métropoles l’où scande « Free Palestine from the river to the sea, Palestine will be free », un slogan qui implique la disparition d’Israël. Parfois encore pire avec des cris de « mort aux sionistes, mort aux Juifs ».
Si ce que vit Gaza depuis octobre 2023 est en effet affreux, avec plus de 53 939 morts et 122 797 blessés selon les chiffres du Hamas, il ne faut jamais oublier que sans le pogrom perpétré par ce dernier le 7 octobre 2023, massacrant 1 200 Juifs et en kidnappant 251, cette guerre n’aurait pas eu lieu !
Le monde entier crie au génocide palestinien, mais s’il ne fait aucun doute qu’il y a des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par Tsahal comme dans toutes les guerres, cette volonté d’imposer au monde un génocide qui n’existe pas invisibilise ceux qui sont réellement en cours. Comme celui du Soudan.
Dans le conflit qui oppose les deux généraux et frères ennemis, Hemeti et Al-Burhan, l’ONU reconnaît qu’un génocide a lieu. Les milices arabes du général Hemeti ciblent les communautés non-arabes et les tribus noires animistes pour les éradiquer complètement. Aujourd’hui le Soudan, c’est entre 180 000 et 265 000 morts, 30 millions de personnes en urgence absolue, 13 millions de déplacés dont 5 millions d’enfants, sept régions en famine extrême et 825 000 enfants en urgence absolue dans la ville de Al-Fasher et ses environs, assiégés par les RSF (Rapid Deployment Forces) de Hemeti. Un génocide complétement oublié et qui se poursuit.

Les Congolais, eux, ne sont pas des Palestiniens

La manifestation a rassemblé près de 160 personnes. Photo Francis Ziegelmeyer (Source : leprogres.fr) 

En mars 2024, j’avais publié un article dans Onésha Afrika intitulé « Dommage que les Congolais ne soient pas palestiniens », accusant la communauté internationale de ne pas s’intéresser au drame congolais et insistant sur le fait que s’ils avaient été Palestiniens, toute la communauté internationale se serait activée à leur chevet.
La RDC, depuis 1996 et sa première guerre qui a mené à la chute du Maréchal Mobutu, subit invasion sur invasion, avec des atrocités et des pillages qui ont dévasté l’Est de ce pays. Les voisins du Congo – Rwanda , Burundi, Ouganda et Tanzanie – alimentent cette insécurité, mais surtout ils sont soit les fournisseurs d’armes de nombre de groupes armés qui endeuillent les deux Kivu et l’Ituri, soit la zone de transit de ces armes.
Dans cette partie de la RDC, on dénombre plus de 220 groupes armés dont 9 étrangers, comme les ADF (Allied Democratic Forces), groupe islamique affilié à l’ISCAP (État Islamique en Afrique centrale).
La chute de Goma en janvier 2025, suivie de celle de Bukavu en février, en faveur du M23/AFC (Alliance Fleuve Congo), soutenu en hommes et en matériel par le Rwanda, qui pille les ressources du Congo, ont accéléré les cycles de violence. Ces prises ont entraîné la mort de milliers de personnes, sans compter les nombreux blessés et le déplacement de centaines de milliers d’individus autour de Goma.

28 millions de Congolais confrontés à une faim aigüe

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 28 millions de personnes sont aujourd’hui confrontées à une faim aiguë, soit une hausse de 2,5 millions depuis décembre 2024. Il y a plus de 6,5 millions de déplacés dont deux millions souffrant d’une faim aiguë et 738 000 à des niveaux d’urgence absolue dont 470 000 enfants.
Depuis 29 ans, l’Est de la RDC subit un véritable génocide « effacé » par les médias et les politiques. Toutes les excuses sont bonnes. On parle par exemple de combat de groupes armés contre un État. Donc il ne peut y avoir de génocide.
Pourtant, l’intensité avec laquelle les crimes sont perpétrés confirme que des communautés entières ont été ciblées sur une longue période, de manière systématique et méthodique, avec une volonté réelle de la part des agresseurs de les éliminer et, dans d’autres cas, de les déplacer tout en étant certains qu’elles ne survivront pas. L’objectif étant d’exploiter les terres conquises. Les stratégies utilisées dans ces conflits, notamment le viol comme arme de guerre ou encore le meurtre des enfants et des hommes en âge de combattre sont autant de marqueurs de génocide. Le bilan réévalué du génocide congolais est de 9 millions de victimes, mais comme au Soudan, c’est largement sous-estimé.
Par contre, aucune manifestation dans les rues de Paris, New-York, Sydney, Bruxelles ou Londres pour crier « Free Congo, stop the genocide ». Pas d’émission télévisée sur le drame et ni de politicien passant en boucle sur les chaines clamant son indignation devant la tragédie que vit le peuple congolais. Un génocide effacé !

La surprise Tshisekedi

Devant l’immobilisme et l’indifférence de la communauté internationale face au génocide congolais, le Président Tshisekedi a trouvé la parade. Début 2025, il a proposé un deal aux Etats-Unis : un accès sans limite aux terres rares et autres minerais congolais pour une valeur de plus de 3 000 milliards de dollars, contre un soutien sécuritaire et la sécurisation des ressources minières.
Cette initiative débouchant sur un accord minier entre les Etats-Unis, la RDC et le Rwanda pour la paix entre les deux pays belligérants, a pris de vitesse tous les autres protagonistes.
Les négociations sont en cours et devraient se conclure par un sommet à Washington courant juin. Massad Boulos, l’envoyé spécial pour l’Afrique du Président Trump, a été très clair avec le Président Kagame et les rebelles du M23/AFC dont les troupes sont sommées de se retirer des zones occupées et rendre les territoires à l’État congolais. La résolution de la problématique des groupes armés, tels les FDLR, les ADF et les Maï-Maï, sera également prioritaire pour rétablir la sécurité dans l’Est du Congo.
Espérons que le processus aboutisse et qu’enfin la vie d’un enfant congolais vaille autant que celle d’un enfant palestinien aux yeux du monde.

Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulée « Stratégie d’expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique Sub-saharienne »

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