La République démocratique du Congo a franchi une étape diplomatique inédite en saisissant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre quatre de ses voisins, à savoir l’Ouganda, le Rwanda, le Kenya et l’Angola, pour des pratiques qui violent les principes du commerce équitable à son encontre.
Le ministre congolais en charge du Commerce extérieur, M. Julien Paluku, a fait cette annonce au cours de son audition à l’Assemblée nationale, le mercredi 14 mai. Il reproche aux quatre pays de faciliter le fractionnement des cargaisons à destination de la RDC. Cette pratique consiste à diviser des marchandises afin de les faire entrer sur le territoire congolais par des voies détournées, contournant ainsi le paiement des droits de douane.
Le ministre Paluku a estimé les pertes liées à cette fraude à 3,9 milliards de dollars en 2024. Il estime que cette situation pénalise lourdement les opérateurs économiques en règle, dont les produits se retrouvent en concurrence déloyale avec des biens illégalement introduits, vendus à moindre coût.
Pour y remédier, le ministère congolais prévoit la construction d’un poste-frontière à arrêt unique à Kasumbalesa, dans le Haut-Katanga. Ce dispositif permettra aux services douaniers congolais et zambiens de travailler ensemble pour un dédouanement plus rigoureux et coordonné.
La RDC n’interdit pas le transbordement
« Le gouvernement congolais n’a jamais interdit le transbordement des marchandises. il interdit plutôt la pratique de fractionnement, parce que le transbordement est régi par le code douanier. La petite confusion qui se passe dans la tête de certains opérateurs économiques, c’est celle de confondre les deux termes. Le fractionnement est interdit aussi bien par le gouvernement congolais que par les normes de l’OMC », a expliqué le ministre Julien Paluku Kahongya, qui répondait à la question orale avec débat du député national Thadée Katembo Kambere, sur le transbordement des marchandises au niveau des frontières de la RDC, à l’importation.
Dans la suite de ses explications sur les quatorze interventions des députés nationaux, cet ancien chef de l’Exécutif provincial et chevronné de la territoriale a illustré ses arguments en ces termes : « Une marchandise qui a été embarquée par exemple d’un point A va finir sa course vers le point de destination B. Si la marchandise sort de son unité de transport en cours de route, elle doit être encadrée par la douane. Et c’est cette opération d’encadrement de marchandise par la douane que l’on dénomme transbordement. Tant que cette opération n’est pas encadrée par la douane, elle ne s’appellera pas transbordement ».
La différence avec le fractionnement

(image d’illustration/oct. 2024)
Et de poursuivre : « Les Kenyans, les Ougandais, les Congolais peuvent aujourd’hui se regrouper et acheter ensemble une marchandise en Chine. Lorsque le container arrive en Ouganda, les Ougandais restent avec leur quantité et les Congolais transbordent leur marchandise, qui doit finir sa course en RDC. Mais lorsque les Congolais sortent cette marchandise à partir de l’Ouganda et commencent à l’amener en petites quantités, là ils violent les règles de l’OMC. C’est le fractionnement des marchandises et non le transbordement ». Le transbordement, a-t-il souligné, n’est interdit que lorsqu’il viole la norme 10 de Tokyo et le code douanier.
« Une marchandise ne peut être soumise au transbordement que lorsqu’elle a quitté un moyen vers un autre moyen, on quitte la mer et on entre sur le véhicule, on quitte le véhicule et on accède au chemin de fer et ainsi de suite, sans qu’on altère le contenu de cette marchandise. Cependant quand le contenu de la marchandise est altéré, on la dépièce pour se soustraire aux obligations douanières, là les principes sont violés », a-t-il expliqué.
En matière douanière, a tenu à préciser le ministre Paluku, il y a plusieurs ministères qui interviennent. Le ministre du Commerce extérieur a la tutelle de l’Office congolais de contrôle (OCC), celui des Finances gère la douane, alors que celui de l’Intérieur s’occupe de la police. Donc plusieurs intervenants opèrent au niveau des frontières, a-t-il dit avant de préciser que « les tarifs douaniers ne sont pas fixés par le ministère du Commerce extérieur d’autant plus que toutes les lois sont votées au parlement ».
« Au niveau du gouvernement, nous sommes sur un projet de re-visitation de la loi fixant les impôts et taxes en RDC, parce qu’il a été observé effectivement que les impôts et les taxes ainsi que la parafiscalité alourdissent les charges des opérateurs économiques congolais. Mais, avant que la loi soit revisitée, nous avons l’obligation, comme membres du gouvernement, d’exécuter les lois existantes », a-t-il poursuivi.
Exemption de certains droits pour des transactions n’excédant pas 500$

Parlant de la protection des vulnérables, Julien Paluku a fait savoir que son ministère et celui des Finances ont signé un arrêté interministériel fixant les principes du Régime commercial simplifié (RECOS). « Désormais, au niveau des frontières, nous avons fixé le volume des échanges autorisés à cinq cents dollars par personne et par jour. C’est-à-dire, lorsque les personnes opèrent sur les frontières pour une quantité qui n’excède pas cinq cents dollars, elles seront exemptées d’un certain nombre de taxes. Parce que si on autorise plus que cela, on va encourager ce que l’on est en train de vouloir interdire, notamment le fractionnement des marchandises, tueur de l’économie congolaise », a-t-il fait savoir.
Concernant les véhicules en provenance des pays voisins, Julien Paluku a informé les députés que le gouvernement congolais est en train d’étudier un mécanisme devant permettre à ce que les camionneurs qui s’adonnent au commerce transfrontalier obtiennent des visas de circonstance, pour qu’ils ne soient pas interdits d’entrer sur le territoire congolais et ce, conformément aux recommandations de l’OMC.
Quant à l’action initiée par Kinshasa auprès de l’OMC à l’encontre de quatre de ses voisins pour des pratiques douanières déloyales, les experts pensent qu’il s’agit là d’un tournant dans la posture commerciale de la RDC, qui tente de reprendre la maîtrise de ses flux transfrontaliers et de restaurer l’équité fiscale.
Si elle peut renforcer les recettes de l’État, la saisie de l’OMC pourrait par contre créer des tensions avec les pays voisins. Le défi sera de négocier avec fermeté en prenant en compte la coopération régionale, pour ne pas compromettre les efforts d’intégration économique en Afrique centrale et orientale.