Accueil TRIBUNE Mozambique, le maillon faible de l’Afrique australe

Mozambique, le maillon faible de l’Afrique australe

Dans la tourmente d’un monde en constante ébullition depuis le conflit russo-ukrainien, le continent africain et particulièrement sa partie sub-saharienne doit faire face à des défis constants et dramatiques.

Les derniers événements lors de l’élection présidentielle au Mozambique ont démontré que les pouvoirs ne prenant pas conscience de l’évolution du monde mettent en péril l’équilibre géopolitique de régions entières.
Le continent africain est en mouvement de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud. Pas un jour ne se passe qui ne démontre que la donne politique a changé et que tout expert tentant de faire une analyse à long terme se verra vite démenti par les faits.
En effet, l’Afrique comme le reste du monde fait face à un chaos permanent où aucune des règles héritées de la guerre froide n’est respectée et où la pax americana sortie de la chute du mur de Berlin est battue en brèche, avec des alliances devenues interchangeables.
Tout d’abord le rejet complet des accords de coopération militaire avec la France où nombre d’États, du Sénégal à la Côte d’Ivoire en passant par le Tchad ont, pris leur distance avec leur ancienne colonie, réinventant leur politique étrangère à divers degrés, que ce soit avec la Russie ou des alliances panafricaines, l’un n’empêchant pas l’autre.
Ensuite l’exemple le plus frappant d’une rupture radicale, la mise en place de l’Alliance des États du Sahel (AES) regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso, actant ainsi leur sortie de la Cédéao (la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) et présentant un front commun avec le soutien de l’Afrika Corps russe.

De nouvelles alliances sans exclusive

Les États côtiers de l’Afrique de l’ouest ainsi que ceux du lac Tchad ont également décidé d’élargir leur palette de relations, le meilleur exemple étant le Tchad qui cultive des relations avec les Russes, les Chinois et les Turcs sans exclusive, tout en gardant un lien avec la France.
Mais le silence des experts reste incompréhensible sur le conflit soudanais, qui est une véritable guerre d’extermination ethnique entre les forces légitimes du général Al Burhan et les RSF (Rapid Support Forces) du général Dogolo, connu sous le nom de Hemidti, qui menacent l’équilibre d’une partie de l’Afrique centrale, de toute la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est.
Dans cette même perspective, la situation sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo est catastrophique et hors de contrôle. L’avancée inexorable du M23 soutenu par l’armée rwandaise alliée à l’Alliance du Fleuve Congo (AFC), qui viennent de s’emparer de Goma et continuent leur avancée au Sud Kivu vers Bukavu, constituent quoiqu’il arrive un chamboulement géopolitique majeur.
Les conséquences pour la RDC et pour ses voisins seront dramatiques. Un Congo uni est la garantie de la stabilité de la sous-région, un Congo balkanisé selon le souhait de ses voisins est la garantie de guerres régionales sans fin.

Le ventre mou de l’Afrique

Des soldats mozambicains patrouillent dans les rues de Palma, Cabo Delgado, Mozambique. ( Image d’illustration/Photo : EPA-EFE / João Relvas)

L’Afrique australes est elle aussi potentiellement explosive. La SADC (South african Development Community) forte de 16 États membres est actuellement sous tension extrême, au risque de devenir un facteur de chaos pour toute la région.
La proclamation par le Conseil constitutionnel de la victoire de Daniel Chapo, candidat du Frelimo le parti au pouvoir depuis 1975 à la présidentielle du 9 octobre, n’a pas apaisé les esprits, même si son discours conciliateur lors de son intronisation a démontré un début de changement.
Cinquième président du Mozambique, Daniel Chapo se retrouve à la tête d’un pays livré à des violentes manifestations post-électorales qui, en trois mois, ont fait plus de 300 morts et détruit nombre d’entreprises et d’infrastructures sociales mettant à mal une population déjà fortement fragilisée. Associées à la répression brutale de la police, elles ne sont pas les problèmes principaux du Mozambique mais la pointe de l’iceberg d’une société fracturée.
Les causes sous-jacentes de l’insurrection islamiste qui dure depuis maintenant 10 ans au Cabo Delgado, c’est-à-dire les inégalités socio-économiques, l’exclusion politique et la corruption des élites, sont aussi à l’origine des violences post-électorales dans le pays. Les élites politiques, qui se confondent avec les élites économiques ayant abandonné une partie de la population, surtout les jeunes, sans ressources.

Une situation économique catastrophique

Nombre des habitants comptaient sur les élections pour définitivement se débarrasser du Frelimo. Les analystes pensaient que la protestation ne durerait plus d’un mois. Mais elle perdure. Le candidat malheureux, Venancio Mondlane, qui s’est déclaré vainqueur avec 53% des votes et qui rallie ses partisans, même des membres de la Renamo via des directs sur les réseaux sociaux, refuse tout compromis avec le pouvoir en place. Mondlane, qui vient de quitter le parti Podemos (Peuple optimiste pour le Développement du Mozambique) en l’accusant de compromission avec le pouvoir, offre une réelle alternative politique par sa volonté de dialogue et sa capacité d’aller au-delà de sa sphère politique et ses soutiens.
Même si un vent de calme semble souffler pour le moment, la crise mettra à terme en danger la stabilité du pays.
Si les affrontements reprennent, ce qui est prévu par l’opposition, et la répression violente persiste, le risque d’une nouvelle guerre civile pourrait conduire à l’écroulement du pays et la constitution d’un « maillon faible » au sein même de l’Afrique australe, avec un risque réel d’une déstabilisation totale de l’ensemble de ses voisins, en particulier l’Afrique du Sud qui est déjà en déliquescence.

Des tentacules djihadistes jusqu’en Afrique du Sud et risque de renforcement d’Ansar

Des soldats de l’armée mozambicaine patrouillent dans les rues de Mocimboa da Praia, au Mozambique. (Photo : AFP/image d’illustration)

La région est en proie à un véritable arc de cercle d’insurrections djihadistes allant de l’Est de la RDC en passant par la Tanzanie, le Kenya et bien sûr le Mozambique et dont les tentacules gangrènent et déstabilisent même l’Afrique du Sud. Le pays est devenu la plaque tournante du financement de l’ISCAP (Islamic State in Central Africa Province) et de ses groupes djihadistes dans toute l’Afrique australe et d’Ansar al Sunna au Mozambique, permettant ainsi la création de réseaux efficaces et discrets, qui profitent de la corruption de la police sudafricaine.
La situation sécuritaire dans la province mozambicaine du Cabo Delgado est devenue totalement instable. Le corps expéditionnaire de la SAMIM (Southern african Development Community mission in Mozambique) s’est retiré, laissant seuls les 4 500 Rwandais luttant contre les djihadistes d’Ansar al Sunna avec un succès relatif mais dont il faut se rappeler que leur première mission est de protéger les installations françaises de Total.
Les attaques des islamistes ont repris de plus belle dans les districts de Macomia,
Muidumbe, Nampula et autres. Si le Mozambique devait sombrer, la province du Cabo Delgado serait rapidement hors contrôle et la progression d’Ansar al Sunna inéluctable.
Partageant des camps d’entraînement au Grand Kivu, au Cabo Delgado et en Tanzanie avec les ADF et d’autres groupes djihadistes, leur capacité à recruter dans l’ensemble de la région, que ce soit en Ouganda, au Burundi, en Tanzanie ou en RDC, sera encore plus grande vu la porosité des frontières.
Si Maputo s’écroulait, cela leur permettrait de lancer un djihad régional, traversant de fait la Tanzanie, le Kenya, l’Est du Congo, via la Zambie et le Mozambique jusqu’en Afrique du Sud.
Et si la Nation arc-en-ciel devait imploser, le basculement géopolitique de l’Afrique centrale et australe sera irrémédiable : installation d’un Califat, redéfinitions des frontières, création de nouveaux États et guerres larvées entre acteurs d’un même État comme au Soudan.
Il n’y a pas d’autre solution que l’intervention politique de médiateurs de la SADC pour trouver un accord politique avant que l’ensemble de la région ne s’embrase.

Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulée « Stratégie d’expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique Sub-saharienne »

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