Accueil TRIBUNE Les nouveaux hommes forts de l’Afrique (2ème partie)

Les nouveaux hommes forts de l’Afrique (2ème partie)

Dans la 1ère partie de cet article, nous avions exposé les conditions d’un ordre géopolitique totalement changeant, dans lequel, confrontée à un monde où toutes les règles héritées de la guerre froide n’ont plus cours et où les alliances s’effritent à chaque tension ou nouveau conflit, l’Afrique a vu émerger des nouveaux leaders forts sur l’ensemble du continent. Le Président Félix Tshisekedi dont nous avons déjà parlé est le digne descendant d’une lignée politique, mais d’autres hommes forts sont, eux, les héritiers d’une « dynastie » présidentielle.

Faure Eyadema

    Fils du Président Gnassingbé Eyadema, le chef d’État du Togo, Faure Eyadema, bien qu’il soit en place depuis pratiquement 20 ans, se positionne aujourd’hui comme un gage de stabilité et de garantie de paix pour l’ensemble de la sous-région.
    Il joue un rôle clé dans la résolution des conflits et est un médiateur international reconnu. Récemment, il a mené plusieurs négociations entre les gouvernements militaires d’Afrique de l’Ouest et la Cédéao ( Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) avec succès. Il est l’initiateur du Forum de Lomé sur la Paix et la Sécurité afin d’aborder et de trouver des solutions pour la stabilité fragile de la région et du continent.
    Depuis novembre 2021, le Togo est entré dans le cercle des pays subissant les assauts répétés des djihadistes. Le 20 juillet dernier une attaque d’une rare ampleur de plusieurs centaines d’islamistes du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM affilié à Al-Qaida), venant du Burkina Faso, a marqué les esprits. Réagissant immédiatement, Faure Eyadema fit déployer plus de 2 000 hommes et entama un programme de renforcement de l’armée, s’attirant immédiatement un soutien encore plus grand des États-Unis pour la lutte contre l’Islam intégriste et se plaçant comme un des dirigeants incontournables et inébranlables de la région.

    Idriss Déby

    Devant également faire face aux vagues d’assauts djihadistes, le Tchad qui possède sans doute une des meilleures armées du continent a longtemps été dirigé par un des hommes les plus redoutés et les plus forts d’Afrique, Idriss Déby Itno, élu cinq fois président. Officier de talent et chef de guerre, il a maintenu l’intégrité du territoire tchadien en ayant écrasé nombre de rébellions mais surtout en repoussant les combattants islamistes.
    En 2021, blessé au front il succombe à ses blessures. Il est remplacé par son fils le général Mahamat Idriss Déby, qui prend la tête d’un Conseil militaire de Transition(CNT) et devient dès lors président de la République, puis il dirige le CNT et lance en août 2022 un dialogue national inclusif entre l’opposition civile, les rebelles et la junte. Au fur et à mesure, il impose son style. Aussi subtil que son père, il maintient d’une main de fer son contrôle sur le pays et continue de lutter contre les attaques djihadistes et reprend en mains les relations extérieures du Tchad vis-à-vis de son partenaire traditionnel, la France.
    Finalement, candidat de son parti, le Mouvement patriotique du Salut, il est élu le 6 mai 2024 président du Tchad.
    Mahamat Idriss Déby, à peine intronisé, décide de protéger principalement son pays en exprimant sa volonté de quitter la Force mixte multinationale (FMM) composée également de troupes du Nigeria, du Niger, du Bénin et du Cameroun. Irrité par le fait que les soldats tchadiens se font tuer pour d’autres pays et que ceux-ci interviennent rarement pour épauler le Tchad, il considère que face à la menace islamiste, son pays, son peuple et son armée passent en priorité.
    Ensuite, le président a acté la rupture des accords militaires avec la France début décembre 2024, principalement en raison du délitement de l’influence française au Sahel, mais aussi répondant à la demande de sa population qui voit la présence militaire française comme un reliquat de l’ère colonialiste et parce que le Tchad a pris langue avec d’autres puissances étrangères, la Russie, la Hongrie et la Turquie entre autres afin d’établir des nouveaux accords de coopération militaires sans exclusivité. En refusant de se mettre sous la coupe d’une nouvelle puissance étrangère, il démontre qu’il est réellement un des nouveaux leaders forts du continent.

    De la démocratie comme vecteur de force

    Cette nouvelle Afrique en mouvement se débarrasse des derniers vestiges de la colonisation. Elle prend son envol soit via des putschs instaurant des régimes militaires balayant des pseudo-démocraties qui ne répondent plus aux attentes de la population, soit par voie électorale quand des pays de longue tradition démocratique peuvent permettre l’émergence d’une nouvelle génération politique.
    Dans cette perspective, l’exemple du Sénégal est un modèle du genre. Phare de la démocratie africaine, qui a toujours respecté les alternances politiques, de Léopold Sédar Senghor à Abdou Diouf en passant par Abdoulaye Wade jusqu’a Macky Sall.
    Cependant, le pays a connu une réelle tourmente politique et déstabilisation entre 2021 et 2024, lorsque la montée en puissance du jeune politique Ousmane Sonko, president du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), 3ème à la présidentielle de 2019, soutenu par la majorité des jeunes du pays, a commencé à inquiéter le président Macky Sall qui souhaitait modifier la Constitution sénégalaise afin d’effectuer un troisième mandat. Ce qu’il n’a pu imposer face aux réprobations et condamnations internationales.
    Les vives critiques de Sonko à l’égard du chef d’État et de son système politique, couplées à des manifestation et une marche sur la capitale depuis son fief de Ziguinchor, lui ont valu son arrestation et un faux procès avec une condamnation en 2023 le rendant inéligible pour la présidentielle de 2024.
    Après des événements violents en février 2024 suite au report du scrutin et au prolongement du mandat de Macky Sall voté par l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle invalide les décisions du président ainsi que le vote de l’Assemblée Nationale et fixe les élections au 24 mars. La campagne du Pastef bat son plein, malgré le fait que son nouveau candidat Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ne sont sortis que neuf jours avant le scrutin présidentiel.
    La victoire est totale pour le Pastef. Faye est élu au 1er tour triomphalement, devenant le 2 avril 2024 le plus jeune président du Sénégal, à l’âge de 44 ans. Il décide de nommer directement Ousmane Sonko comme Premier ministre. Le tandem s’impose comme le « couple politique » le plus actif et le plus innovateur en Afrique.
    Dans un premier temps, le nouveau gouvernement demande un audit complet des comptes de la Présidence Sall et de tous les contrats d’État. Il déclare que ce qui est prioritaire c’est la souveraineté économique et l’exploitation optimale des ressources naturelles en faveur du Sénégal et de son peuple, que l’intégrité territoriale et la sécurité du pays ne sont pas négociables. Tant Faye que Sonko s’activent sur la scène régionale et internationale et gardent un dialogue ouvert avec l’AES (Alliance des États du Sahel) regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger et ce, malgré l’hostilité des autres états de la Cédéao et de la France.
    De même, après la visite du président Faye en France et un déjeuner de travail le 20 juin 2024 avec Emmanuel Macron pour « donner une impulsion au partenariat entre le Sénégal et la France », et redéfinir les priorités de la coopération tant militaire qu’économique, le « tandem » décide de nouer des liens plus étroits avec la Russie et s’active également dans les arènes internationales pour les causes panafricaines et autres comme celle de la Palestine.
    Résolument Panafricanistes et souverainistes, le president Faye et le Premier ministre apparaissent définitivement comme la nouvelle jeune génération d’hommes forts démocratiquement élus avec un mandat clair de la jeunesse sénégalaise de changer la société, de la rendre plus juste, plus équitable et de se débarrasser de l’emprise française.
    Fin novembre dans une déclaration forte à plusieurs organes de presse, le Bassirou Diomaye Faye a demandé à la France de retirer toutes ses troupes en déclarant : « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence des bases militaires étrangères ».
    Dans cette Afrique prise dans la tourmente d’un contexte international interchangeant, une nouvelle donne politique est en cours. Des hommes forts, politiques, militaires et de la société civile, panafricanistes et souverainistes assumés prennent en mains le destin de leurs pays et du continent pour se débarrasser de toute domination, même si certaines puissances en rêvent encore.

    *Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulée « Stratégie d’expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique sub-saharienne »

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