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Aux origines de la démocratie africaine

La pensée philosophique occidentale – et politique également – semble prendre ses sources en Grèce. En novembre 2023, je fis encore un pèlerinage symbolique à Athènes, à l’Académie de Platon, mais surtout, devant la statue de Périclès, de vénérée mémoire. Et tout en reconnaissant leur apport inestimable à la culture politique moderne à travers les siècles, mon but premier était de me convaincre, moi-même, que jamais la démocratie ne saurait s’exporter d’une culture à une autre.
Ainsi, même si les Grecs pensaient si bien faire en refusant de regarder les femmes, les esclaves, les étrangers et les enfants comme des citoyens, je n’arrivais pas comprendre d’où leur venait cette classification, en dehors de leur propre culture. Cela signifie tout simplement que la démocratie ne peut naître qu’à l’intérieur de la culture qui la porte. Chaque peuple se définissant par sa propre culture, l’universalité de la démocratie ne tient donc pas à une seule culture, mais à la culture universelle. Cela coule des roches.

La démocratie africaine existe bel et bien

Le but ici n’est pas du tout de démontrer que la démocratie africaine porterait d’avantage de valeurs qu’une autre, mais plutôt qu’elle existe bel et bien. Et la démocratie africaine s’appelle « la Palabre africaine ». C’est cette certitude que j’ai fait remarquer à un haut responsable africain qui semblait raisonner comme Senghor, lors d’une conférence à Paris Vème, en s’imaginant que l’Europe nous avait installés sur les chemins de la démocratie, alors que les Africains ne savaient que déployer leurs muscles. L’éminent sociologue ivoirien Seri Dedi qui avait bien saisi mon discours me fit alors la promesse de nous aider à éviter, désormais, de telles déclarations imaginaires.
L’un des défauts majeurs de certains intellectuels africains consiste à renier les catégories de pensée issues de leur propre culture qui, selon eux, ne peuvent au besoin satisfaire qu’à l’ethnologie. L’élaboration d’une réflexion philosophique ou d’une tradition politique, par exemple, serait forcément incompatible avec les réalités africaines, pensent-ils.
La deuxième erreur, c’est qu’ils donnent souvent une fausse idée d’eux-mêmes. Pourtant l’intellectuel, il me semble, n’est pas forcément le diplômé de l’école occidentale. Et adopter la posture d’un intellectuel n’a absolument rien à voir avec la formation universitaire. Si vous continuez à le croire, l’Afrique mourra de l’arrogance de ses grands diplômés, assurément bien formés mais qui ne croient malheureusement tenir leur valeur et leur mérite que de la société occidentale.

« Les grands diplômes n’accordent pas le sésame de la vie pratique »

Mériter de la culture occidentale et exercer son art dans la société africaine en laquelle on ne croit pas entraîne de profondes contradictions. C’est pour cette raison qu’en Afrique, l’on rencontre des intellectuels, pardon, de grands diplômés malhabiles, arrogants en somme, qui croient injustement que leur formation universitaire leur accorde le sésame de la vie pratique. Illusion !
À l’heure actuelle, la plus grosse erreur politique en Afrique tient au mépris de la pratique ancestrale de « la Palabre africaine ». Toujours enclins à commenter brillamment Rousseau, Aristote, Machiavel, Lock, ils ont dit de la Palabre de leurs pères qu’elle n’était que verbiage creux et gesticulation stérile. Ils se sont comportés ainsi parce que dans leur imaginaire, une théorie n’est crédible que lorsqu’elle est suggérée par Malinowsky, Gurvitch, Aron, Taylor et Bourdieu. Or en Afrique, c’est sur les bases de la Palabre africaine que peut se construire une véritable compréhension et une réelle assimilation de la démocratie…
La Palabre africaine, au sens le plus trivial, indique ce bavardage insignifiant. C’est ce qui se dit de tous ces rhéteurs africains développant des diatribes qui ne tiennent jamais compte des valeurs de la vraie démocratie africaine.

La Palabre africaine, c’est la concertation

Palabre africaine, dit-on. C’est à ce niveau que l’on retrouve sa vraie signification. Car elle dépasse la verbosité démesurée des soirées maudites. Ce concept n’a rien en commun avec les vulgaires querelles des esprits mal réveillés d’un matin. Elle est l’objet des assemblées villageoises où se réunissent les sages et le conseil des anciens lorsque la société est en présence d’une situation critique. Dans ces conditions, elle remplit une fonction pluridimensionnelle.

  • Sur le plan humain en général, la palabre est revendication de la liberté.
  • Sur le plan philosophique, elle est identification de la vérité. Sur le plan sociologique, elle est ouverture de tous à tous.
  • Sur le plan politique, elle est porteuse de démocratie.

C’est pour cette raison que les dirigeants africains, au lieu de se contenter d’une connaissance livresque de la démocratie grecque, devront d’abord acquérir l’exercice de la Palabre africaine, telle que je viens d’en suggérer les contours…
Dans les assemblées villageoises, le paysan a toute liberté de dire : « Je pense que … », sans rien risquer. Au contraire au sein des parlements africains, le député a tout à craindre de ses prises de position. Dans la cité, le journaliste risque sa liberté physique ou même sa vie, et l’opposant est constamment en danger de mort.
Comment expliquez-vous alors que sur un même territoire, la pratique du fait politique soit si fondamentalement contradictoire ; si ce n’est par le mépris de la « Palabre africaine », qui est porteuse de démocratie ? Si le souverain africain méprise « la Palabre africaine » qui est pourtant issue de sa culture, comment arriverait-il à ne pas massacrer la démocratie occidentale dont il ignore les origines ?

Palabre africaine, système majoritaire et la proportionnelle

C’est parce que nos acteurs refusent cette grande ressource qu’est la Palabre africaine que les clivages entravent la réflexion politique. Autrement, l’on devait réaliser que le système majoritaire préconisé par certains systèmes politiques ne sert en rien les intérêts de la démocratie parce que justement, elle n’a rien de démocratique. Cela revient à dire qu’on peut très bien revendiquer un système politique majoritaire sans jamais garantir la liberté aux citoyens.
En effet, de quelle liberté de choix disposeraient tous ces citoyens que l’on désigne par ce terme méprisant de « bétail électoral », dont le rôle consisterait strictement à apporter des voix et renforcer un camp politique contre un autre ?Bien plus que cela, 49 personnes peuvent très bien se montrer plus performantes que 51 autres. Mais à une échelle plus grande, au niveau d’une nation, qui pourrait réussir à gouverner un pays avec 49% de citoyens contre lui ? Or, le système majoritaire qui ne repose sur aucun fondement de la démocratie africaine, du point de vue de la pensée politique africaine, devrait éviter de jeter une certaine suspicion sur la proportionnelle …

À suivre…

*Dr. Tebi Joachim Able se définit comme Théoricien de la Palabre et Concepteur de la Tradition historique

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