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André Flahaut « Après ses différentes victoires sur le plan diplomatique, la RDC devra relever les défis liés à la population »

Le ministre d’État belge, avec le rédacteur en chef d’Onésha Afrika

Le monde se trouve confronté à une série de défis sécuritaires, que ce soit en Europe avec l’invasion russe de l’Ukraine, au Moyen-Orient avec l’escalade des attaques de Tsahal sur la bande de Gaza puis l’Iran, mais aussi la guerre qui perdure dans l’est de la RDC. Onésha Afrika a rencontré le ministre d’État belge André Flahaut le jeudi 12 juin à Bruxelles pour analyser la géopolitique mondiale mais aussi, concernant la RDC, savoir comment capitaliser les victoires diplomatiques successives engrangées dans son conflit face au Rwanda.

Onésha Afrika : Vous avez été l’un des acteurs des nombreux succès récoltés par la RDC sur le plan diplomatique grâce à votre plaidoyer au niveau du gouvernement belge et de l’Union européenne. Mais qu’est-ce qu’il reste à faire en vue d’une paix durable ?

M. André Flahaut : C’est vrai, la RDC qui est agressée par son voisin depuis un bout de temps a engrangé beaucoup de victoires au niveau diplomatique. Tout d’abord, il y a un premier élément à rappeler, c’est qu’au début de son mandat, le président Félix Tshisekedi a été critiqué parce que, disait-on, il voyage beaucoup. Aujourd’hui, non seulement il voyage aussi à l’intérieur de son pays, mais il faut relever le geste symbolique très fort dès son élection, celui de rencontrer tous ses voisins, à commencer par le Rwanda. Et après avoir sillonné l’Afrique, il est allé vers l’Europe, la Russie, la Chine et les États-Unis.
Il s’agissait d’une démarche de repositionnement de la RDC sur la carte du monde. C’est quand même l’État le plus important d’Afrique, la clé de voûte du continent. Si demain le Congo éclate, c’est toute l’Afrique qui s’effondre.
Et donc en clair, le chef de l’État congolais a conscience de ce rôle, qu’il a pleinement joué. Dans cette situation d’agression continue, il s’est attelé à remettre effectivement le Congo sur la carte de l’Afrique et du monde. Ce qui a facilité la tâche, sur le plan diplomatique et, surtout au moment du pic de fièvre dans l’agression, de faire comprendre la situation et, avec le concours des parlementaires, des ambassadeurs, de faire adopter des résolutions.

Hommage à tous ceux qui ont contribué aux victoires diplomatiques de la RDC

Le ministre d’État André Flahaut a profité de l’occasion pour faire un clin d’œil à tous ceux qui ont œuvré pour cette réussite. « Ça s’est fait en Belgique. Nous avons beaucoup travaillé à cela. Mais aussi au Luxembourg comme aux Pays-Bas. L’ambassadeur belge a beaucoup travaillé, l’ambassadeur de la RDC en Belgique aussi a beaucoup bougé. Et puis il y a eu tout ce travail au niveau européen qui s’est prolongé d’ailleurs, il y a quelques jours, par une visite à Kinshasa d’une délégation du Parlement européen avec Mme Hilde Vautmans, qui a beaucoup travaillé à cela aussi.
II y a eu les prises de position du ministre des Affaires étrangères en Belgique, M. Maxime Prévot, qui a eu un langage de courage et de justice. Tous ces efforts ont produit la double victoire de la RDC, au niveau des organisations internationales et de l’ONU. Car ce n’est pas mince que le RD Congo obtienne la vice-présidence de l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi que le siège non permanent au Conseil de sécurité, avec le vote de 183 pays sur 187. Ces victoires diplomatiques permettent des négociations et ouvrent certaines portes.
Et par rapport à la situation de l’Est, les choses changent progressivement et je crois que les voisins se rendent compte que finalement, dans la posture empruntée par le Congo, de travailler sur le plan diplomatique plutôt que par la guerre, etc., les choses avancent et progressent. Ce n’est pas rien d’avoir des changements d’attitude par rapport à des puissances internationales comme les États-Unis ou européennes qui ont effectivement compris sur le Congo et son intégrité territoriale, sa souveraineté. C’est important pour le peuple congolais, pour l’Afrique toute entière et donc aussi pour la planète. C’est un enjeu qui dépasse de loin les situations plus locales ».

« Il reste à relever les défis en faveur de la population »

Tête-à-tête entre le chef de l’État Félix Tshisekedi et le ministre d’État belge André Flahaut, en visite officielle en RDC./Photo Présidence de la République

M. Flahaut estime qu’il faut à présent œuvrer pour le bien-être de la population congolaise. « Je crois qu’avec tout ce que je viens de dire sur le travail qui a été effectué, sur les progrès qui sont réalisés, il faut maintenant mettre l’accent sur ces progrès, sur ce changement de politique, sur la volonté politique en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures. Il faut relever les défis concrets qui intéressent la population congolaise. Et c’est ce que la population attend, que les dirigeants soient effectivement accessibles et qu’ils posent des actes qui concrétisent les intentions contenues dans les déclarations lors d’investitures.
C’est vrai que le Congo est un pays immense, un pays à l’égal de l’Europe. On ne sait pas faire tout tout de suite pour tout le monde et partout. Il faut des stratégies, alléger l’appareil d’État pour avancer. Mais les partenaires sont là et ils veulent travailler, ça c’est évident.
Aujourd’hui le Congo a besoin d’unité entre ses acteurs. Il y a énormément d’acteurs politiques de grandes valeurs, qui devraient pouvoir mettre leurs connaissances à la disposition de leur État, dans l’intérêt des Congolaises et des Congolais. Et là, notre rôle à nous Occidentaux n’est pas de venir dicter ce que les gens doivent faire, mais de nouer des partenariats, en toute transparence, dans l’intérêt de la paix et de la population congolaise. Oui, au niveau interne, on parle de la cohésion nationale, est-ce qu’il faut dialoguer ? Est-ce qu’il faut réunir toutes les forces ? Dans quel format ? Justement, dans quel format ? Il faut aussi penser à la société civile, aux chefs coutumiers. Il y a une volonté, un intérêt de la part de la présidence de la République de tenir compte de toutes ces spécificités multiples qui existent sur l’état continent du Congo ».

« Il faut garder une lueur d’espoir, malgré un monde qui part en vrille »

Onésha Afrika : Sur le plan international, nous avons estimé, dans notre dernier éditorial, que le monde est en train de partir en vrille. Est-ce aussi votre point de vue ?

André Flahaut : Certainement et sans tomber dans un pessimisme, il faut garder une lueur d’espoir. C’est clair qu’aujourd’hui dans le monde entier, que ce soit au niveau de la Russie et l’Ukraine et aussi ce drame qui se déroule en Palestine dans la banalisation la plus complète, mais aussi au Soudan, dans l’est du Congo, et même aux États-Unis avec le rejet des migrants, tous ces drames doivent nous inquiéter au plus haut point.
Un autre sujet d’inquiétude, c’est l’affaiblissement du multilatéralisme. Aujourd’hui l’ONU est ignorée, la Cour pénale internationale est bafouée. On a l’impression que le monde est effectivement en train de basculer et qu’il faudra peut-être réfléchir à autre chose, à reconstruire autre chose.
C’est dans ce sens que les BRICS sont en train de se structurer, sur une base autre que celles qui ont été établies après la Deuxième guerre mondiale et même avant. Parce qu’on le veuille ou pas, il y a toujours dans le comportement des gens du Nord souvent du paternalisme ou une condescendance et même quelquefois du néocolonialisme dans les relations avec les peuples et les responsables du Sud.
Le problème des BRICS, c’est en fait une réaction par rapport aux comportements des Occidentaux. Ils démontrent qu’ils ont aussi droit au respect de leur souveraineté, de leurs valeurs, de leur culture et personne ne peut imposer un modèle à d’autres. Ce qui était trop souvent le cas. En face, l’Europe, elle, apparaît aujourd’hui divisée, avec des intérêts qui diffèrent selon le pays où l’on se trouve par rapport à la proximité avec la Russie ou à la Méditerranée. Je crois que l’Europe a intérêt à se structurer.
Et si ce n’est pas possible de façon coordonnée entre les 27, il faudra que des noyaux se développent pour rencontrer d’autres sur base du partenariat et du respect mutuel et ainsi reconstruire ensemble autre chose pour la démocratie, pour la paix et pour les peuples avant tout.

L’Afrique est en train de revendiquer sa place dans le monde

Pour M. André Flahaut, dans ce puzzle émaillé de conflits, il y en a quand même un qui a trop longtemps duré, le conflit qui a été le plus meurtrier : celui de la République démocratique du Congo. « Mais ici, nous devons saluer le niveau atteint par la diplomatie de la RDC et les victoires engrangées aussi bien au niveau de l’Assemblée générale que du Conseil de sécurité. Que l’Afrique ait sa place, j’en suis tout à fait partisan. On ne peut pas ignorer ce continent, ni même l’Amérique du Sud, qui sont les parties de la planète qui assurent notre avenir, à la fois sur les plans de la démographie et du climat, avec les bassins du Congo et de l’Amazonie. Des atouts qui font que nous sommes obligés de travailler en solidarité, mais sur une base de partenariat équilibré.
Il y a des conflits qui durent depuis très longtemps. Celui à l’Est du Congo est un des plus longs. Celui qui frappe le peuple palestinien aussi. C’est insupportable pour tout démocrate.
Donc nous devons être aux côtés de ceux qui se défendent pour faire triompher la justice, et le respect du droit international qui est bafoué par certains États. C’est aussi vrai à l’Est du Congo par le voisin rwandais, c’est vrai aussi par Israël à l’égard de la Palestine, et par la Russie à l’égard de l’Ukraine. Il ne peut pas y avoir des appréciations différentes du droit international selon l’endroit où on se trouve, selon les intérêts économiques qui sont défendus : le « deux poids et deux mesures ». L’être humain doit être respecté où qu’il se trouve, dans ses droits et ses devoirs ».

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