Accueil Opinion De Wagner à « l’Afrikakorps », une nouvelle guerre froide en Afrique

De Wagner à « l’Afrikakorps », une nouvelle guerre froide en Afrique

Le nom de « l’Afrikakorps » résonne encore en Afrique du Nord quand on pense au corps d’armée qui, sous la direction du Maréchal Rommel, fut un des adversaires les plus coriaces des alliés pendant la seconde guerre mondiale. Est-ce pour cela que les autorités russes ont rebaptisé le Groupe Wagner en Africa Corps en raison du prestige du nom ?
Quoiqu’il en soit, sa progression dans l’ensemble de l’Afrique relance un nouveau type de guerre froide entre Moscou et les puissances occidentales, ou plutôt une guerre chaude vu les points de conflits et d’affrontements qui y sont pléthore.
Le groupe Wagner a été fondé en 2014 par Prigojine et Dimitri Outekine, vétéran du renseignement militaire russe et néo-nazi convaincu qui baptise le nouveau groupe du nom du compositeur préféré d’Hitler. Le premier terrain de combat de Wagner est dans le Donbass où le Kremlin organise une rébellion afin de mettre en œuvre un scénario de guerre qui, d’une manière ou d’une autre, mettrait les bâtons dans les roues des perspectives européennes et otaniennes de l’Ukraine. Puis, ils se font connaître en Syrie et finalement en Afrique.

De Wagner à l’Africa Corps

Pour Prigojine, l’Afrique est avant tout un business qui lui permet à la fois de s’enrichir à titre personnel et d’autofinancer les activités du Groupe Wagner. Parallèlement, il soutient des dirigeants autoritaires, parvenus au pouvoir par des putschs. Par cette action, il les sort de leur isolement sur la scène internationale. Ce qui permet de pousser l’agenda géopolitique du Kremlin tout en étendant son influence.
Depuis 2018, Wagner est présent en République Centrafricaine pour protéger et de fait contrôler le Président Touadéra mais aussi exploiter les mines et autres richesses du pays. Il est également présent en Lybie comme « chien de garde » du Maréchal Haftar et au Soudan en apportant un discret soutien au FSR (Forces de soutien rapide) du Général Hemetti. Wagner a donc essaimé.
Suite à l’explosion du G5 Sahel, le départ de Barkhane et des troupes françaises, la sécession du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ainsi que le retrait des forces françaises du Mali en 2022, du Burkina Faso et du Niger en 2023, les mercenaires russes ont pris pied dans nombre de pays africains, au motif de lutter contre la menace des groupes djihadistes.
Ils ne rencontrent pas le succès partout, puisque au Mozambique en 2019-2020, les hommes de Wagner subissent une défaite face au groupe Ansar Al Sunnah et que leur appui au Maréchal Haftar ne permet pas à ce dernier de s’emparer du pouvoir en Lybie.
Le soutien que Wagner et Prigojine apportent à nombre de régimes africains autoritaires prit la forme d’un ensemble d’actions illégales telles que des campagnes de désinformation particulièrement ciblées, l’arrivée de forces paramilitaires et des manipulations d’élections, en passant par les pressions et intimidations à l’encontre d’opposants politiques et bien entendu du troc, contrats d’armes en échange des ressources des pays avec qui la coopération est établie.
Cependant, la présence de Wagner ne se limite pas qu’aux pays où ils ont des troupes. Le groupe a tenté d’influencer nombre de résultats politiques locaux ou nationaux dans plus de 24 pays africains.
Le 23 août 2023, Prigojine et une grande partie de la Direction de Wagner meurent dans un « crash » d’avion sans aucun doute commandité par Poutine. Le groupe passe alors sous le contrôle du Kremlin. Il est mis sous l’autorité du ministère de la Défense et intègre une partie de ses troupes dans la Garde nationale (Rosgvardia), qui est sous les ordres directs de Viktor Zolotov, ancien garde du corps de Poutine.

L’Africa Corps, force de frappe du Kremlin en Afrique

Repris en mains par Poutine et rebaptisé Africa Corps pour ses missions africaines, son activisme sur le continent est exponentiel. L’Africa Corps étend ses tentacules et son emprise via ses paramilitaires et une myriade de sociétés commerciales, principalement le groupe Concord ainsi que d’autres pillant les ressources au Mali, au Burkina Faso, au Soudan et au Niger.
Cependant, leur laboratoire expérimental et plus belle réussite est la République Centrafricaine. Ils ont mis le pays sous coupe réglée, mines d’or, de diamant, manganèse, uranium et exploitation forestière. Cerise sur le gâteau, le président Touadéra a nommé Dmitri Podolsky, haut gradé de Wagner, comme conseiller présidentiel à la Sécurité. L’ampleur de l’ingérence russe en Centrafrique, qui détient tous les leviers politiques, économiques et sécuritaires du pays, se duplique à travers toute l’Afrique.
Au niveau du Mali, on évalue le nombre de paramilitaires russes à 1500-2000 hommes, gage du soutien du Kremlin au régime du général Goïta. Du côté économique, la mise sous coupe des ressources du pays continue via l’accord conclu avec le conglomérat russe Yadran Group pour la construction d’une raffinerie d’or et une usine de transformation de coton.
Dernier exemple en date de l’activisme russe, l’arrivée de plus de 80 paramilitaires russes en Guinée Equatoriale sur un total de 200 prévus, suite à un accord conclu à Moscou en septembre 2024 entre les président Teodoro Obiang Nguema et Poutine.
De même, l’Africa Corps et le Kremlin poussent leur avantage. Ils visent d’autres pays comme la République démocratique du Congo, la Guinée-Bissau, les Comores ou encore Madagascar. Dans le cas de ce dernier pays, il est prouvé que l’élection présidentielle de 2018 a été truquée par des « agents » russes. Avec pour conséquence pour l’aide russe, un accord militaire entre Tananarive et Moscou signé en 2022.
Il faut être conscient que les objectifs russes ne sont pas de rendre l’Afrique plus riche, prospère ou stable. L’unique but est de promouvoir et garantir les intérêts géostratégiques de la Russie. C’est-à-dire, en obtenant un ancrage durable en Afrique du Nord et au Sahel, en contrôlant la Mer rouge, en s’emparant des richesses des pays ciblés et en brisant l’influence occidentale et particulièrement française.

La Françafrique dans l’histoire

Face à cette déferlante russe qui bouscule toutes les idées reçues, nombre d’observateurs se demandent qui arrêtera l’Africa Corps et le Kremlin. En 2017, la Russie n’avait que sept accords de coopération militaire en Afrique. En 2023 elle en avait plus de 30.
Tout le monde a titré sur la fin de la Françafrique et tenté d’expliquer ce phénomène par l’influence grandissante de la Russie via Wagner et l’activisme des réseaux de désinformation. Si l’activisme russe a taillé des croupières au pré-carré français, elle n’est pas à l’origine de l’écroulement et du délitement de la sphère d’influence française.
Si le prosélytisme russe a servi de caisse de résonnance amplifiant les tensions et l’ensemble des dysfonctionnements entre la France et ses anciennes colonies, la Françafrique est morte depuis longtemps. Elle n’est plus qu’un acteur de second plan qui n’a pas su s’adapter, s’accrochant à une politique post-coloniale via des prismes culturels, monétaires et militaires ainsi que des valeurs occidentales que l’ensemble des populations africaines rejettent.
Aujourd’hui, les Occidentaux sont bousculés dans cette nouvelle guerre d’influence pour l’Afrique et peinent à trouver la parade. Il n’y a pas que les putschistes qui ouvrent grand leurs bras pour accueillir la Russie, des pays comme le Sénégal ayant une des plus longues traditions démocratiques d’Afrique sont perméables au chant de sirène de Moscou. À l’instar du Mali, du Niger et du Burkina Faso, il y a une volonté du nouveau pouvoir sénégalais, élu démocratiquement et incarné par le président Faye et le Premier ministre Sonko de « passer d’une indépendance qualifiée de formelle à une indépendance réelle » selon les mots de l’expert Erwan Davoux.
Bien que Paris soit le premier partenaire du Sénégal et que 250 entreprises françaises y emploient plus de 30 000 personnes, la Russie est à la manœuvre, instillant le doute, jouant sur le ressenti de la population et attisant avec un certain succès un sentiment anti-français.
Si la France n’y prend garde et ne remet pas l’Afrique au centre de sa politique étrangère, les facteurs qui ont conduit à la mettre dehors de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel pourraient aussi la chasser du Sénégal et du reste du continent. L’ogre russe avance de manière inaltérable sur le continent.

*Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulée « Stratégie d’expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique Sub-saharienne »

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