Le 25 juillet 2021, le président tunisien Kaïs Saïed instaurait un régime d’exception, limogeant le gouvernement de l’époque et suspendant le parlement, avant de le dissoudre en 2022.

Deux ans plus tard, une Constitution présidentialiste est en place, tout comme un nouveau parlement aux pouvoirs restreints. Quant au bilan économique et politique du régime de Kaïs Saïed, il reste mitigé.

Dans le même espace de temps, la Tunisie a vécu de nombreux soubresauts politiques et le pays est entré dans une phase de sa transition démocratique difficile à définir. Les ONG et associations de défense des droits humains dénoncent fréquemment la régression des libertés. Depuis qu’il s’est accaparé des pleins pouvoirs, le président tunisien bafoue les acquis de 2011. Il gouverne par décrets-lois et s’emploie à « museler les voix critiques », selon Amnesty International.

Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent également des arrestations arbitraires et une ingérence dans la justice. « Les libertés en Tunisie sont aujourd’hui menacées et le pouvoir est en dérive autoritaire », selon Hatem Nafti, auteur de Tunisie : vers un populisme autoritaire ? « En deux ans, la Tunisie a chuté de 49 places dans le classement de Reporters sans frontières en matière de liberté d’expression.

Elle devient le 4ème pays arabe en termes de liberté d’expression, après avoir été leader pendant presque dix ans », s’indigne Hatem Nafti. Les journalistes sont harcelés par un cadre juridique, notamment avec une loi contre les fake news, qui crée une sorte d’autocensure. Le président-directeur général de la radio Mosaïque FM, la radio la plus écoutée de Tunisie, a été mis en détention pendant quatre mois, le président le soupçonnant de blanchiment d’argent et, surtout, s’en est pris à lui pour le ton utilisé par sa radio, qui est assez critique envers le régime. Par ailleurs, une trentaine d’opposants sont en prison.

Le cercle des libertés ne fait que se restreindre et de plus en plus de gens ont peur de s’exprimer. Mais aussi, de plus en plus de gens soutiennent la dérive autoritaire parce que le président leur offre des boucs émissaires, ce qui permet de détourner le regard sur la gravissime situation en Tunisie ». 

« Le pouvoir est dans une dérive autoritaire et liberticide »

Migrants subsahariens en situation irrégulière en Tunisie :
Après la colère, les Tunisiens expriment leur pleine solidarité
(Image : elwatan-dz.com)

Récemment, les mauvais traitements réservés aux migrants subsahariens et les discours anti-migrants de Kaïs Saïed ont provoqué l’indignation de la société civile. Lors d’une réunion, Kaïs Saïed avait tenu un discours extrêmement dur sur l’arrivée de « hordes des migrants clandestins » dont la présence en Tunisie était, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ». Il avait aussi insisté sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration.

Un discours qui a depuis plongé les migrants subsahariens dans une situation critique, car ils sont agressés et renvoyés de leur travail ou de leurs domiciles. Certains sont même emmenés dans le désert, à la frontière avec la Libye, où ils sont abandonnés sans eau ni nourriture, selon des images qui font le buzz sur les réseaux sociaux.

Enfin, sur le plan économique, les indicateurs sont au plus bas. Le pays fait face à des pénuries fréquentes de produits alimentaires, faute de pouvoir payer à temps les fournisseurs, alors que les discussions sur le prêt de 1,9 milliard de dollars que la Tunisie négociait avec le FMI depuis plus d’un an sont à l’arrêt.

Si peu de Tunisiens arrivent à se projeter, beaucoup sont résignés face au manque d’alternative politique à Kaïs Saïed, qui garde, jusqu’à présent, un certain capital confiance au sein d’une partie de l’opinion. Un capital qui reste néanmoins en sursis face à la dégradation de la situation économique après ses deux ans au pouvoir.

Qu’est devenu Ennahda, jadis première force politique ?

L’annonce de la victoire de Kaïs Saïed, le 13 octobre 2019 devant ses partisans à Tunis
(Image : REUTERS/Zoubeir Souissi)

En moins de 2 ans, la formation Ennahda, le parti islamo-conservateur, semble avoir complètement disparu de la sphère politique publique. Dès le coup de force de Kaïs Saïed en juillet 2021, les militants ont dénoncé un « coup d’État ». C’est la ligne qu’ils tiennent jusqu’à aujourd’hui, se plaçant de fait dans l’opposition au président de la République et à son régime.

Ennahda est peu soutenu par l’opinion publique, qui l’accuse d’avoir mené la Tunisie à sa crise économique et sociale actuelle. Victime également de problèmes de leadership en interne, le parti a dû faire profil bas ces deux dernières années.

Il a également fait l’objet de poursuites judiciaires constantes. Une vingtaine de ses militants et dirigeants ont été arrêtés dans le cadre de différentes affaires liées à des soupçons de corruption ou de malversations ou même à des déclarations politiques. Le cas le plus emblématique étant celui de son chef depuis plus de 30 ans, Rached Ghannouchi, emprisonné en avril dernier. Les bureaux régionaux d’Ennahda ont été fermés par les autorités et le siège principal à Tunis a été perquisitionné.

La situation reste différente des purges anti-islamistes qui avaient lieu sous la dictature de Ben Ali. Les cadres affirment tenir leur réunion à distance, sous l’égide du président par intérim Mondher Ounissi. Ils disent vouloir éviter un face à face frontal avec Kaïs Saïed mais plutôt tenter de mobiliser leurs troupes sur la durée plutôt que dans la rue.

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