Les Etats-Unis viennent de voter une enveloppe importante d’aide pour l’Ukraine, de l’ordre de 61 milliards de dollars, qui va permettre l’envoi de nouvelles munitions sur le front, mais aussi apporter un avantage psychologique à l’armée ukrainienne.
Un vote décisif. Après de longues et laborieuses tractations, la Chambre américaine des représentants a adopté, le samedi 20 avril, un énorme plan d’aide à l’Ukraine de 61 milliards de dollars (57 milliards d’euros). Cela « empêchera la guerre de se propager » et « sauvera des milliers et des milliers de vies », a très vite réagi le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
À l’inverse, le porte-parole de la présidence russe a affirmé que cette décision tuerait « encore plus d’Ukrainiens à cause du régime de Kiev ».
Le soulagement exprimé par Kiev et ses alliés est à la hauteur de l’urgence ressentie sur la ligne de front.
« La situation en Ukraine devenait extrêmement difficile. C’était une question de semaines », explique à franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de Revue Défense nationale.
Les fonds pourraient arriver rapidement sur le terrain, puisque le plan d’aide devait être examiné le mardi suivant par le Sénat américain, avant d’arriver sur le bureau de Joe Biden pour une dernière signature.
La porte-parole du président a d’ailleurs précisé que le flux d’aide américaine à l’Ukraine reprendrait «immédiatement»après l’adoption de ce texte par les deux chambres du Congrès.
« L’armée américaine a déjà déclaré qu’elle était prête à ce que les transferts commencent très rapidement, puisque cela fait des mois que cette aide est sur la table », confirme l’historien militaire Cédric Mas. Voici ce que cette aide américaine pourrait changer sur le terrain.
Des livraisons de nouvelles munitions
Le plan d’aide américaine contient principalement de l’assistance militaire et économique, même s’il autorise aussi Joe Biden à confisquer et à vendre des actifs russes pour qu’ils servent à financer la reconstruction de l’Ukraine.
« Une partie de cette aide correspond en réalité à des achats sur le sol américain à des industriels américains pour l’armée américaine, qui va pouvoir reconstituer ses stocks et se défaire de matériel plus ancien », explique Cédric Mas.
Dans le détail, 23 milliards de dollars serviront pour l’armée américaine à remplacer les armes et les stocks américains qui partent en Ukraine et 27,1 milliards financeront l’achat d’armes par Kiev, détaille le média ukrainien Hromadske. Près de 10 milliards sont également alloués pour une aide non militaire. La liste des équipements envoyés par les Etats-Unis n’a pas encore été dévoilée, mais l’armée ukrainienne ne doit pas s’attendre à recevoir rapidement des milliers d’avions de combat. « Il va arriver des obus, des munitions, des missiles de longue portée, des missiles de défense antiaérienne », énumère sur franceinfo la politologue et historienne spécialiste des Etats-Unis Nicole Bacharan.
« Cela va être surtout des stocks de munitions d’artillerie, ce qui manquait aux Ukrainiens pour faire face aux attaques russes », explique Cédric Mas qui ajoute que « certaines batteries, certains canons ne pouvaient tirer que cinq ou six coups chaque jour ». Pour le général Jérôme Pellistrandi, l’envoi de matériel se révèle urgent pour l’Ukraine dans deux domaines, « les munitions d’artillerie, y compris les lance-roquettes Himars qui permettent des tirs dans la profondeur, et bien sûr tout ce qui est lié à la défense sol-air ».
Un espoir pour tenir la ligne de front
Contrairement à Israël et son fameux « Dôme de fer » si efficace, le territoire ukrainien est difficile à défendre contre les attaques aériennes, en raison notamment de sa taille. Les Russes ne cessent de multiplier ces dernières semaines de telles offensives, à l’image de la frappe meurtrière du mercredi 16 avril qui a fait 18 morts à Tchernihiv.
Les nouvelles munitions sont cruciales pour l’armée ukrainienne. « L’objectif, c’est de permettre aux Ukrainiens de tenir. Ils ne sont pas en mesure de relancer une offensive terrestre, mais il faut leur donner les moyens de se défendre pour que les Russes ne percent pas la ligne de front », analyse le général Jérôme Pellistrandi. Ces dernières semaines, « la Russie a tenté de profiter de ce qu’on appelle une fenêtre de vulnérabilité » sur la ligne de front, rappelle Cédric Mas, en particulier à cause du blocage de l’aide américaine et du « détournement d’une partie de l’aide occidentale vers Israël à partir du 7 octobre ».
Un véritable carnage des deux côtés
« Il y a des progressions russes de quelques centaines de mètres tous les 2-3 jours, à un prix élevé », observe encore Cédric Mas, « mais pas de percée décisive, pas de bouleversement décisif du front ». Le spécialiste des questions de Défense évoque en revanche des pertes importantes pour les troupes russes.
« C’est un grignotage, mais le problème, c’est que ce grignotage épuise l’armée ukrainienne », observe de son côté le général Jérôme Pellistrandi.
Selon lui, après son échec de l’été dernier, les troupes de Volodymyr Zelensky ne seront pas en mesure de lancer une nouvelle contre-offensive avant 2025.
« L’Ukraine n’a pas la ressource humaine suffisante pour former des bataillons capables d’aller en offensive », estime-t-il. Pour Cédric Mas, l’arrivée de nouvelles munitions va quand même permettre à l’état-major ukrainien de « peut-être prendre plus de risques sur le front, parce que, jusque-là, à chaque fois qu’il était en situation difficile, il préférait lâcher du terrain ».
Un impact psychologique important
Le vote de l’aide par le Congrès américain « change tout dans les têtes », assure Cédric Mas. « La guerre est aussi une affaire de moral. Aujourd’hui, les Ukrainiens ont une perspective. Leur résistance a une perspective de renversement ». Cela « va jouer sur le moral pour les Ukrainiens », reconnaît Jérôme Pellistrandi.
« Pour Kiev, c’est une victoire politique et morale. Les représentants du Parti républicain se sont un peu repris, en prenant de conscience que la chute de l’Ukraine porterait un coup énorme à la crédibilité des Etats-Unis ».
Un signal à Moscou : pas question de laisser tomber l’Ukraine
« Il y a cette clarification parmi la classe politique américaine, soutenue par une majorité dans l’opinion, que l’Amérique n’abandonne pas les démocraties, et a compris que la Russie était une menace pour l’Europe et pour le reste du monde », analyse la politologue Nicole Bacharan. « Ce sont de très mauvaises nouvelles pour Poutine » et « dans l’immédiat, c’est plutôt favorable à Joe Biden », estime-t-elle.
« Ce vote, c’est aussi un message envoyé aussi aux Européens pour les conforter dans leur soutien à l’Ukraine », estime le général Jérôme Pellistrandi.
« Les Européens ne doivent pas se dire : «C’est bon, nous n’avons plus d’efforts à faire». Mais je pense qu’il y a une vraie prise de conscience », ajoute-t-il.
L’UE s’est déjà accordée début février sur une aide de 50 milliards d’euros à Kiev (33 milliards de prêts et 17 milliards de dons), incluse dans une rallonge au budget de l’UE jusqu’en 2027.
« L’aide est conséquente et ne cesse de monter en puissance », confirme Jérôme Pellistrandi.
Les dirigeants de l’UE ont largement salué l’approbation de l’aide à l’Ukraine. « Cela envoie un message clair au Kremlin », a réagi le président du Conseil européen Charles Michel sur X.
Mais le Premier ministre polonais Donald Tusk s’est montré plus circonspect. Ce fervent défenseur de l’allié ukrainien a remercié sur X les États-Unis, tout en soulignant le délai dans l’adoption de ce plan d’assistance. « Mieux vaut tard que trop tard. Et j’espère qu’il n’est pas trop tard pour l’Ukraine », s’est-il réjoui.
L’alerte lancée par Kiev : attention à une 3ème Guerre mondiale
Le Premier ministre ukrainien Denys Shmyhal avait déclaré à la BBC qu’il y aurait une « Troisième Guerre mondiale » si l’Ukraine perdait le conflit avec la Russie et a appelé le Congrès américain
à adopter un projet de loi sur l’aide étrangère au point mort.
Shmyhal s’est dit « prudemment optimiste » quant à la perspective que les législateurs américains approuvent la mesure très contestée, qui allouerait 61 milliards de dollars à Kiev. La proposition comprend un financement pour Israël ainsi que pour la région Indo-Pacifique.
S’adressant à la BBC à Washington le mercredi 17 avril, Shmyhal avait déclaré à propos du programme d’aide américain : « Nous avons besoin de cet argent hier, pas demain, pas aujourd’hui ». « Si nous ne fournissons pas de protection, l’Ukraine tombera. Ainsi, le système de sécurité mondial sera détruit et le monde entier devra trouver un nouveau système de sécurité ».
« Ou il y aura de nombreux conflits, de nombreux types de guerres, et cela pourrait finalement conduire à une Troisième Guerre mondiale ».
Pas une première
Ce n’est pas la première fois que l’Ukraine émet un avertissement catastrophique sur les conséquences d’une éventuelle défaite. L’année dernière, le président Volodymyr Zelensky avait déclaré que si la Russie gagnait le conflit, elle pourrait envahir la Pologne, déclenchant ainsi la Troisième Guerre mondiale.
Mais les responsables de Moscou avaient ridiculisé ces affirmations, les qualifiant d’alarmistes occidentaux. Le mois dernier, le président Vladimir Poutine a rejeté les suggestions selon lesquelles la Russie pourrait un jour attaquer l’Europe de l’Est, les qualifiant de « complètement absurdes ».
La Russie n’a jamais attaqué un pays de l’OTAN, dont la Pologne. Le pacte de défense collective de l’OTAN signifie qu’une attaque contre un membre constitue une attaque contre tous.
La propagande russe très active en Occident
Dans l’interview de mercredi, Shmyhal a été interrogé sur une récente affirmation du président de la commission républicaine des Affaires étrangères, Michael McCaul, selon laquelle des membres de son propre parti étaient « infectés » par la propagande russe.
« Nous devons comprendre que la désinformation et la propagande influencent de nombreuses personnes ici aux États-Unis, et dans l’Union européenne, de nombreuses personnes, comme en Ukraine », a déclaré Shmyhal.
L’opposition de l’aile la plus à droite du Parti républicain a bloqué pendant des mois un programme d’aide à l’Ukraine. Certains de ces parlementaires se sont opposés à l’envoi de milliards de dollars d’aide à l’étranger sans les transférer au préalable vers la sécurité de la frontière américano-mexicaine. Ces conservateurs ont également rejeté toute suggestion selon laquelle ils pourraient avoir été induits en erreur par Moscou.
Le président Joe Biden a déclaré mercredi dans un communiqué qu’il signerait immédiatement le paquet une fois qu’il serait approuvé par le Congrès « pour envoyer un message au monde : nous sommes aux côtés de nos amis ».
Une aide vitale pour Kiev
L’Ukraine dépend fortement des approvisionnements en armes des États-Unis et des Occidentaux pour continuer à tenir tête à la Russie, qui dispose d’une supériorité numérique et d’une artillerie abondante. Des mois d’impasse au Congrès ont déjà eu de profondes répercussions sur le champ de bataille.
L’Ukraine est en infériorité numérique, sous-armée et obligée de battre en retraite en raison du rationnement des munitions et de la baisse du moral.
En février, les troupes ukrainiennes s’étaient retirées d’Avdiivka, une ville proche de Donetsk occupée par les Russes. Les Ukrainiens étaient là depuis 2014.
Oleksandr Tarnavskyi, un général qui a supervisé le retrait, a cité un avantage russe de 10 contre 1 en termes de munitions d’artillerie, et a déclaré que la retraite après des mois de combats était « la seule bonne solution ».
Zelensky a accusé un « déficit d’armes artificielles » et a appelé de toute urgence à davantage d’aide militaire pour éviter une situation « catastrophique ». Biden a attribué le retrait des troupes ukrainiennes à « une diminution de l’approvisionnement (de l’aide américaine) en raison de l’inaction du Congrès ».
31 000 soldats ukrainiens tués depuis 2022 selon Kiev, 70 000 pour Washington, contre 50 000 militaires russes
La perte d’Avdiivka a été la plus lourde pour l’Ukraine depuis le retrait de ses troupes de Bakhmut en mai 2023. Les deux retraits ont eu lieu après des mois de guerre d’usure, au cours desquels les forces russes ont détruit des bâtiments avec une artillerie massive et envoyé des milliers de soldats sur la ligne de front.
Le général Richard Barrons, ancien commandant du commandement des forces britanniques, a récemment déclaré qu’il craignait que l’Ukraine ne soit vaincue cette année 2024 si elle ne recevait pas d’armes et de munitions.
« Nous voyons la Russie attaquer sur la ligne de front, utilisant un avantage de cinq contre un en artillerie, en munitions et en excédent de personnel », a-t-il déclaré.
« L’Ukraine peut avoir l’impression qu’elle ne peut pas gagner. Et quand elle en arrive à ce point, pourquoi les gens voudraient-ils se battre et mourir ? »
Les deux camps ont subi de lourdes pertes au cours des combats, mais l’augmentation des pertes a laissé l’Ukraine à court de population. Plus tôt en avril, le gouvernement a abaissé l’âge de conscription de 27 à 25 ans dans le but de recruter des centaines de milliers de nouveaux soldats.
Zelensky a déclaré que 31 000 soldats ukrainiens ont été tués depuis 2022. Les responsables américains estiment cependant qu’au moins 70 000 sont morts et de nombreux autres sont blessés.
Une enquête de la BBC estime qu’au moins 50 000 soldats russes ont été tués. Des dizaines de milliers de personnes auraient été blessées.