En France, la cuisine africaine peine à s’imposer auprès du grand public. Pas facile pour les restaurants sénégalais, ivoiriens ou camerounais, de rivaliser avec les cuisines françaises, italiennes ou chinoises. Pourtant, les adresses ne manquent pas et de nouveaux chefs émergent, bien déterminés à faire sortir leur art culinaire du « ghetto ».

« Ce soir, italien ou chinois ? » : amorce usuelle, prélude au voyage culinaire. Mais, en France comme dans de nombreux pays européens, le réflexe reste moins évident pour les « restos africains ». Depuis quelques mois, pourtant, l’Afrique à la carte attise l’appétit des entrepreneurs, mais aussi celui de gourmets néophytes et de chefs se voyant ambassadeurs d’un continent largement sous-représenté.

Une nouvelle vague de restaurants africains émerge, à la fois « exotiques », modernes et pratiques, comme en témoigne le concept « Osè – African Cuisine » (Paris Xe). Imaginé par Morlaye Touré, d’origine guinéenne, Gabriel Stein, métis malgache, et Hassoun Camara, d’origine sénégalaise.

Quand on leur demande leur motivation, les trois amis trentenaires évoquent leur propre expérience et les difficultés rencontrées dans les restaurants africains classiques : décoration parfois caricaturale, salle trop bruyante et lenteur du service.

Décidés à faire mentir ces stéréotypes, et après une étude de marché, ils ont récemment ouvert « Osé ». « Notre but est d’interagir avec le client afin qu’il comprenne ce qu’il déguste et qu’il se familiarise avec les divers aspects de la cuisine africaine », souligne Gabriel.

En entrant, un tableau en quatre étapes propose une offre à la fois variée et interchangeable : « la base », accompagnements au riz blanc ou riz rouge malgache, « les sauces », au nombre de sept différentes, un choix de viandes ou de crevettes et, enfin, « le piment maison » allant crescendo – du doux gingembre, on monte en gamme avec le tamarin puis la mangue, pour culminer avec le piment « Osè ».

Et Morlaye Touré promet de prochaines nouveautés : « Des bananes plantains, des mets africains plus régionaux, un plat végétarien, et la livraison à domicile, sachant que c’est le début puisqu’on vise la franchise ! ». Si beaucoup d’autres adresses existent déjà, tel que « Best Africa » pour le fast-food ou dans un genre plus classique encore le « Mono », le « Dogon » ou encore le « Rio dos Camaros » qui, depuis 1994, s’évertue à s’ouvrir à une clientèle au-delà sa diaspora, « Osè » inaugure une manière résolument moderne d’enfin aborder l’Afrique par le menu !

Du « ghetto » aux « bobos »Les fruits, légumes et condiments africains ont longtemps été difficiles à trouver en France. Ce qui a contribué à la « ghettoïsation » de cette gastronomie aux produits issus d’un terroir exotique : poissons séchés, gombo, sorgho, manioc, igname, bissap, safou, viande de brousse, etc.

« Nous sommes l’une des dernières cuisines où les produits sont bruts, non manufacturés », souligne le chef Alexandre Bella Ola du restaurant « Rio de Camaraos » et auteur du livre Cuisine actuelle de l’Afrique Noire ( éditions First-Gründ, 2012).

Dans les années 1960, ces restaurants s’adressaient pour la plupart aux seuls migrants travailleurs puis, par la suite, à une clientèle issue de la diaspora. À partir des années 1980, de nombreux restaurants africains ont ouvert, en région parisienne, mais la cuisine africaine peine à réellement sortir du « ghetto ». Certains tentent de rectifier le tir avec une certaine créativité : « Le Stendhal » (Paris XXe), par exemple, met « les deux cultures dans l’établissement et dans l’assiette, tout en faisant sortir la cuisine africaine du ghetto », selon David Souma.

Ce Français d’origine sénégalo-guinéenne compte vingt ans d’expérience en restauration française. Son nouveau défi : jongler entre carte française le jour et cuisine africaine le soir, dans un cadre d’authentique bistrot parisien.

Une approche contemporaine et atypique, dont le succès « surprend » le restaurateur au point qu’il prépare l’ouverture d’une seconde adresse parisienne…

L’Afrique, mal exportée ?

En province, des villes inattendues s’y mettent. Ainsi à Nice, le « Planet Mafé » ou encore « Le Duplex » font le plein d’une clientèle en quête de nouveauté et de convivialité.

Cela dit, la cuisine africaine sort de l’ombre au moment où d’autres cuisines étrangères occupent le paysage gastronomique depuis de longues années.

Comment expliquer un tel retard ? Sous la pression coloniale, puis dans un désir d’intégration, les générations à même de faire évoluer le commerce de cette cuisine ne se sont pas particulièrement investies dans le secteur de la restauration. En outre, au moment des premières migrations vers la France, la cuisine « afro » ne se trouvait que dans des cercles familiaux et n’a suscité de curiosité que chez les personnes ayant de sérieuses attaches avec le continent; la seule exposition/marchandisation extérieure de cette cuisine se trouvant au sein de foyers de travailleurs.

Il fut un temps où seuls les restaurants destinés à la diaspora, reprenant les codes du pays, avaient pignon sur rue, car « la commercialisation et la présentation culinaire ne font pas partie des habitudes africaines en milieu rural.

Elles ont émergé en milieu urbain avec l’exode rural depuis une cinquantaine d’années avec des formes de restauration informelles telles que les maquis ou le ganda, vers la restauration classique », précise Alexandre Bella Ola, qui s’est intéressé à la problématique.

Une mosaïque de spécialités à découvrir

Mais au juste, quand on parle de cuisine africaine, de quel pays parle-t-on ? L’Afrique, ce sont cinquante-quatre Etats recouvrant une réalité ethnique encore plus foisonnante, donc au moins autant de traditions culinaires.

Or, pour le grand public non africain, seuls les plats sénégalo-maliens sont identifiés, comme le mafé (sauce arachide), le célèbre thiéboudienne (riz au poisson sénégalais) ou le yassa (plat au poulet ou au poisson à base d’oignons avec de la moutarde, du citron).

Des plats moins traditionnels qu’il n’y paraît, selon le chef Alexandre Bella Ola : « Le thiéboudienne, le yassa, le mafé sont des plats urbains apparus il y a une cinquantaine d’années au Sénégal avec des brisures riz cuit façon risotto, mais à la vapeur et non mouillé comme à l’italienne. Leur seule particularité c’est leur nom, car ils sont simples à réaliser dans le monde entier ».

En revanche, le n’dolé camerounais (plat à base de feuilles vertes amères, cousin de l’amenvivè au Bénin, ou de l’aloma au Togo) demande plus de dextérité et de patience : vingt-quatre heures de préparation.

D’autres cuisines – notamment ivoirienne, togolaise ou éthiopienne – ont aussi leurs spécificités, mais sont encore mal connues du grand public.

Pour déguster les mets d’autres pays africains, le néophyte doit donc avoir « le » bon carnet d’adresses, ce qui n’était pas tâche aisée avant l’arrivée d’internet et le succès des sites de réservation en ligne.

Mais pour Alexandre Bella Ola, l’autrbe clé de la réussite – essentielle – « c’est la connaissance du produit d’origine et la maîtrise du métier de la restauration par une formation dans une école (européenne) qui permettra de s’adapter à cette nouvelle clientèle. »

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