Par David Gakunzi / Extraits tirés du livre : Mémoire du Monde noir
« Un peuple qui a la mémoire courte est un peuple qui n’a pas d’avenir »
James Brown : Bayba-aa-ay Bayba-aa-ay Baybaay
Ce 24 octobre 1962 James Brown est à l’Apollo Theater. Son concert restera comme l’un des plus grands moments de sa carrière musicale. J.B. est né le 3 mai 1928 en Géorgie. Avec plus de 100 tubes, 900 enregistrements, sans compter les remixages et les disques pirates, il est considéré comme le king de la soul music.
Riffs de guitare heurtés et chaloupés, basse monolithique, pachydermique et ronflante, cuivres explosant en gerbes régulières, l’orchestre tourne comme une tribune emballée. Tout y passe, les os, le cartilage, la moelle, les nerfs, les ligaments, les muscles, les corps sont mâchés par les formidables mâchoires du rythme de l’orchestre. « Et maintenant Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter Mr Dynamite, le seul, l’unique, le vrai, Jaaaaaames Broooooown. »
James Brown sort du noir, fend le champ de vision des spectateurs. Il gicle jusqu’au pied du micro et grogne avec élégance et profondeur : « bayba-aa-ay bayba-aa-ay bayba-aa-ay ». James Brown hurle, braille, éructe, s’égosille, implore, larmoie sur des tempos frénétiques, avance par hoquets successifs et irrésistibles, remus dans tous les sens, jeu de scène unique, acrobatique ; style âpre, suggestif, violent, hypnotique… les murs de l’Appolo Theater tremblent !!!
Imhotep : PYRAMIDES
A qui doit-on les pyramides ? A Imhotep. Né aux environs de 2778ans avant J.C. Imhotep est à l’origine de la construction des pyramides d’Égypte. Ces monuments sont les plus durables et les plus élevés que l’homme ait jamais bâtis sous le ciel. Imhotep l’architecte était aussi un grand médecin. Il savait diagnostiquer et traiter plus de deux cents maladies.
Comme la mer contre les rochers, les efforts du temps, la force des âges viennent se briser, impuissants sur ses constructions : les pyramides d’Égypte.
Pyramides d’Égypte, force de l’art plus hautes que les humains. Pyramides d’Égypte, mémorial éternel plus immense que les montagnes.
Pour asseoir ses pyramides Imhotep asservit la science.
Lynchages : KKK
1898, USA : les arbres d’Amérique portent d’étranges fruits. Du sang sur les feuilles, du sang sur les racines. 10 000 nègres ont été lynchés ces 20 dernières années. Toujours selon le rituel : des individus habillés de violence de haut en bas les attrapent, les attachent sur des arbres puis les brûlent vifs. Ensuite ces individus font la fête.
Vite enchaînez-le-moi à cet arbre. Qu’on apporte le bois, entassez-le autour de lui. Doucement, pas si vite on perdrait le spectacle de la douleur et de la peur sur son visage. Et maintenant la torche. Ha ! Ha ! Ha ! Le bon bois, les flammes. Ah ! Entendez ce cri sauvage. Qu’il est sauvage, vite apportez de l’eau. Versez-en un peu sur le feu, qu’il ne brûle pas trop vite. Qu’il brûle doucement. Voyez il se tord, gémit… Ses yeux s’écarquillent follement cherchant en vain autour de lui une aide.
Rien que des cagoules portant partout trois lettres lugubres : KKK
Les Amazones : POITRINE AU FEU
Le 4 novembre 1892 les Amazones affrontent les colonnes du colonel Dodds. Malgré leur courage elles livrent leur dernier combat.
Elles sont 4.000, 4.000 guerrières, 4.000 vierges noires. Fer de lance de l’armée dahoméenne (actuel Bénin), elles ont pour devise : vaincre ou mourir. Du matin au soir, elles s’entraînent au maniement des armes. Avec elles le combat est un corps à corps au grand jour. La poitrine au feu, fières et orgueilleuses. A leur passage le peuple se met à genoux en signe de respect. On les appelle les Amazones.
Alexandre Pétion : LA TÊTE DROITE
Homme politique haïtien né en 1770, Alexandre Pétion est le fondateur de la république de Haïti. Il est aussi celui qui a donné à Haïti sa première constitution en 1816. En 1818, Pétion décide de mettre fin à ses jours à cause de la guerre sur l’île entre mulâtres et noirs, qu’il n’arrivait pas à arrêter.
Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein. Quand Bolivar sans argent, sans ami vint le voir, Pétion l’accueillit et l’interrogea : « Comment peux-tu libérer une terre sans libérer ses habitants, je veux dire les esclaves ? ».
Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein. Tout ce qu’il voulait c’était la liberté pour tout le monde : « Toutes les nations sont les mêmes. Mais à elle seule chacune est tout le monde. Toutes les nations doivent être libres. Pour que tout le monde puisse être libre. »
Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein.
Luanda : De quoi demain sera-t-il fait ?
Le 11 novembre 1975, l’Angola accède à l’indépendance dans un climat de guerre.
Les statues et les monuments rappelant la colonisation ont été recouverts, déplacés ou saccagés. Les rues pavoisent discrètement : quelques drapeaux du MPLA par-là, quelques banderoles rappelant les palavros de ordem (mot d’ordre) du mouvement par-ci. L’indépendance, la fin de 500 ans d’occupation coloniale portugaise, c’est pour tout à l’heure. Mais il n’y aura pas d’explosion de joie.
Les visages sont graves et inquiets : le FNLA et l’armée zaïroise (RD Congo actuel) sont à 17 km de la capitale, et la colonne blindée sud-africaine équipée de matériel ultramoderne à 260 km.
De quoi demain sera-t-il fait ?
À zéro heure Agostino Neto proclame la naissance dans le sang de la RPA (République Populaire d’Angola). Le drapeau portugais descend, le drapeau angolais monte. Sur un fond rouge et noir une demi-roue dentée croise une machette. Le tout est surmonté d’une étoile à cinq branches. Paysannerie et classe ouvrière unies sous le signe de l’internationalisme. Tout un programme.
Mais de quoi demain sera-t-il fait ? Une banderole à l’entrée d’une mucèque donne une réponse :
A vitória é certa !
Moumier : Empoisonné
Né en 1925, Félix Moumier fut l’un des leaders historiques de l’UPC (Union des Populations du Cameroun) dont il fut le président de 1952 à son assassinat le 3 novembre 1960 en Suisse.
Docta Moumier était de ceux qui dans leur vie se sont assignés de ne jamais s’écarter du droit chemin. Juste et fraternel, il disait toujours la vérité sans haine à ceux qui mentent. Docta Moumier n’est pas mort terrassé par un dragon à mille têtes, ni par un génie hantant les montagnes. Il est mort empoisonné.