C’est bien souvent que l’on entend, de plus en plus, certains Africains, répéter inlassablement que le champ politique est le lieu où l’on est obligé de cacher ses intentions, et à ses concurrents et même à ses propres partenaires. Autrement dit, en politique, il serait normal de ne jamais avouer ce que l’on pense réellement, entendons-nous, souvent.

Mais devant la corruption qui gangrène fortement nos sociétés nouvelles et qui empêche, de ce fait, un développement cohérent en Afrique, il y a peut-être lieu de revenir aux fondamentaux de la politique en Afrique tels que nous les présente la Palabre africaine. Car soutenir malencontreusement que la politique est le lieu où l’on cache ses intentions, c’est prendre le risque de niveler les mentalités vers le bas. Et sans parler uniquement de la corruption qu’engendre ce type d’assertions inconsidérées, retenons que les affrontements politiques, les violences sociales, le mépris des droits de l’homme, les rebellions, etc…, tirent leur origine de ce petit tissu de mensonge qui, sans que l’on s’en rende compte, obère toute la conscience sociale elle-même.

Et en Afrique, les hauts faits des chefs corrupteurs qui se cachent de l’opinion publique pour ruiner les caisses de nos Etats, par exemple, reposent, de toute évidence, sur cette conviction erronée qu’en se comportant ainsi, ils font de la politique ; et qu’en politique, l’on doit cacher ses intentions. Et voilà comment nous en arrivons facilement à la déstabilisation de nos propres sociétés.

Nous sommes pourtant d’avis pour dire que la politique, dans sa dimension sociale, n’est rien d’autre qu’un service et c’est à ce niveau qu’elle semble vraiment utile parce qu’elle couvre toute l’activité humaine : l’économique sociale, la santé, l’éducation, la culture et les arts dont l’art militaire également, la production et les échanges économiques, etc… Ajoutons à ces présentes  activités  toutes celles qu’on voudra et l’on arrive à circonscrire l’activité humaine elle-même, presque dans sa globalité. Or, et permettez-moi de le répéter, l’activité humaine semble largement portée par la politique, en tant  que mode de service de la société.

Dès lors, comment voudrions-nous qu’un acteur politique qui porte en lui la triste conviction qu’en politique, les intentions sont faites pour être cachées, se comporte en bon gestionnaire et pratique la bonne gouvernance ? J’allais dire que si le discours politique devrait reposer sur l’art de la trahison ou sur la duperie permanente des concurrents, des partenaires et de l’opinion, alors, que l’on ne s’étonne pas que son applicabilité sur le terrain s’avère, elle aussi, grossière et inefficace. Or, justement, c’est bien ce qui semble se constater, pour l’instant, sur nos territoires, en Afrique.

En effet, la gestion de nos ressources semble approximative parce que nous acceptons que notre discours politique dont elle est l’émanation, soit faux. Les armées nationales sont peuplées de rebelles parce que notre discours politique cache toujours ses vraies intentions. Dans certains pays, les écoles délivrent des parchemins de complaisance parce que le politicien qui en a la charge, cache ses intentions. En théorie, il semble que, dans un pays donné, si le discours politique cachait ses intentions, l’économie, l’armée, l’éducation, la santé, la culture, etc… fonctionneraient forcément sur les bases de la duplicité et de la ruse, et cela n’étonnerait personne comme c’est le cas dans bon nombre de nos pays.

En fait, sur le fond, cette question est avant tout en rapport avec ce que l’on désigne par le terme ‘‘moralisation de la vie publique’’ car elle fait appel, évidemment, à la morale des acteurs politiques de tous les horizons. Il serait donc injuste de croire que  cette tare, est uniquement liée à la pratique politique en Afrique. Qu’il me soit permis de rappeler qu’en France,  durant la présidentielle de 1995, Monsieur Edouard Balladur, ayant bien caché ses intentions et voulant jouer sa chance de façon égoïste, avait crée la mauvaise surprise, à mon sens, en se déclarant candidat contre son ami de ‘‘trente ans’’, Jacques Chirac qui l’avait pourtant proposé comme premier Ministre au président François Mitterrand. Il ainsi trahi non seulement Chirac, mais Balladur avait également trahi tout son parti politique d’alors, le RPR, pour tenter de défendre, subitement, les couleurs d’un autre parti politique. Alors, dites-moi où est la morale dans un comportement de cette nature ? Mais alors, quelle est cette morale qui n’est pas capable de respecter  et d’honorer les liens de l’amitié ? Et quel message laisse-t-on à la jeunesse qui nous observe, en termes de dignité et de noblesse quand l’on peut trahir, sans scrupule, une amitié ou une fraternité au nom d’une carrière politique ? Le faisant, l’on ment comme un vulgaire tricheur et au nom de cette fausse règle admise, tout se passe comme s’il n’y avait aucun mensonge dans ce comportement. Mais comment peut-on être digne de confiance et quel visage présente-t-on à la jeunesse, à elle encore une fois, lorsque l’on ne peut être fidèle à ses engagements de départ  et à la parole donnée ?…  Dans cette triste situation, le délit que tout le monde semble tolérer, tient à cette contradiction selon laquelle l’on partirait de la ruse, du mensonge, de la traîtrise, pour pouvoir arriver à la gestion de l’avenir de tous les autres citoyens et à celle de la vie  de la Nation elle-même. A mon avis, ‘‘la moralisation de la vie publique’’ ne devrait pas seulement tenir à sanctionner les mauvais gestionnaires des deniers de l’Etat et les maîtres de la corruption. L’on devrait  également sanctionner les auteurs des ‘‘trahisons publiques’’ d’ordre moral ; un serviteur de la Nation que toute la jeunesse regarde, ne devant pas avoir les mêmes pratiques qu’un dealers de drogue.

Mais partant de cette duperie officielle, en Afrique, et c’est l’espace qui nous intéresse le plus ici, le discours politique cache ses intentions, et ses acteurs cachent leurs économies, prises dans les caisses de nos Etats, en Suisse ou dans les paradis fiscaux. Ils ‘‘cachent leur santé’’ dans les meilleurs hôpitaux étrangers et laissent les populations souffrir la faim et la soif. Ils cachent des armes dans les pays voisins au leur pour l’attaquer plus facilement et endeuiller leurs frères, au gré de leurs humeurs. Si l’homme politique tient un discours mal intentionné, attendons-nous à ce que  l’économiste soit faux, que le médecin le soit, que l’éducateur le soit, que l’agriculteur le soit en proposant des produits avariés à la population, etc… attendons-nous à ce que la corruption devienne la règle générale.

Il semble donc dangereux de conditionner les esprits et surtout la jeunesse, de corrompre ainsi son jugement, en répétant qu’en politique, il est normal que l’on cache ses intentions… Si on procède ainsi pour griller la politesse aux autres dans le but de passer devant eux, pour pouvoir garder toujours sa position, l’acteur politique continuera à recourir à la duperie. Mais c’est fragiliser toute la société elle-même.

Or il semble encore possible de faire un vrai retour sur la Palabre africaine qui nous enseigne, par exemple, que l’Afrique n’est ni de Droite ni de Gauche…

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