
La tournée d’Emmanuel Macron dans l’océan Indien (Mayotte, La Réunion, Madagascar) met en lumière l’importance stratégique du canal du Mozambique, selon une tribune publiée par RFI.
Ce long bras de mer de 1 500 km qui sépare le continent africain de Madagascar concentre des intérêts politiques, énergétiques et commerciaux. Jean-Marc Balencie, expert de la région et auteur du blog « Horizon 2035 », décrypte les enjeux autour de cette zone maritime disputée.
Pour lui, le canal du Mozambique est effectivement redevenu une route stratégique car, suite aux tensions en mer Rouge, notamment les attaques par les rebelles houthis du Yémen contre des navires à partir d’octobre 2023, une grande partie du trafic international passant par le canal de Suez a été détournée et obligée de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Ce qui a entraîné une augmentation du trafic maritime via le canal du Mozambique, venant notamment du Moyen-Orient, du sous-continent indien ou du détroit de Malacca, permettant ainsi d’accéder à l’Atlantique et aux marchés d’Amérique latine, d’Amérique du Nord ou d’Europe.
Mais à son avis, il est exagéré d’affirmer que lorsque l’on contrôle le canal du Mozambique, on contrôle une partie du commerce maritime international. En effet, soutient-il, il est facile de contourner ce canal en passant à l’est de Madagascar pour les navires en provenance du détroit d’Ormuz ou d’Asie. Donc, même si ce canal raccourcit les délais, ce n’est pas un enjeu majeur à l’échelle internationale.
La sécurité du trafic maritime reste l’enjeu essentiel. Par exemple, aux grandes heures de la piraterie somalienne, les pirates étaient descendus pratiquement jusqu’à l’entrée du canal du Mozambique. Il y avait des craintes qu’ils y arrivent. Aujourd’hui, cette menace a quasiment disparu, mais le véritable danger pourrait venir de changements politico-juridiques du droit maritime avec des pays riverains cherchant à étendre leur souveraineté sur ces espaces, imposant potentiellement des restrictions au trafic maritime.
Plusieurs pays présents dans la région

À la question de savoir quels pays dominent cette région actuellement, l’expert cite la France, qui est présente grâce à Mayotte et aux îles Éparses, et dispose d’une présence militaire via La Réunion – avec des moyens navals qui patrouillent. Ces îlots permettent de disposer de zones économiques exclusives (ZEE) riches en ressources halieutiques et potentiellement en hydrocarbures.
L’Afrique du Sud également est un acteur relativement important, ajoute-t-il, précisant qu’elle a déployé des moyens jusqu’en Tanzanie au moment où la menace des pirates somaliens était arrivée à son apogée. On note également la présence de bâtiments indiens qui patrouillent dans l’océan Indien central, et qui souvent font escale aux Seychelles, à Maurice. Assez récemment, il y a eu d’importantes manœuvres organisées par la marine indienne avec un certain nombre de marines africaines régionales dans la zone.
Il relève aussi des présences plus ou moins régulières de bâtiments chinois et une forte présence de la marine américaine, mais beaucoup plus au nord – au débouché de la mer Rouge et en mer d’Arabie, à proximité du détroit d’Ormuz.
Pour la France, l’expert signale que le véritable enjeu réside dans la préservation de sa souveraineté au niveau de Mayotte face aux Comores et surtout au niveau des îles Éparses, face aux menaces malgaches, qui sont relativement limitées étant donné que Tananarive a d’autres priorités actuellement, et éventuellement les menaces qui pourraient provenir de certains pays riverains comme le Mozambique ou la Tanzanie, même si cela n’a pas réellement été formulé jusqu’à présent.
Mais si les découvertes de gisements d’hydrocarbures devaient se confirmer, il y aurait sans doute une évolution de la donne et peut-être un regain de formulation de souveraineté de la part de ces États.
Existence de ressources halieutiques importantes

Il existe des ressources halieutiques importantes dans cette partie et également des gisements majeurs de gaz offshore, notamment au large du Mozambique et de la Tanzanie. Plusieurs grands opérateurs occidentaux, comme TotalEnergies, se sont positionnés sur ces projets depuis quelques années.
Le problème, c’est que si les gisements en Tanzanie ont commencé à être exploités, au Mozambique, là où se situe apparemment le potentiel le plus important, le projet a pris beaucoup de retard du fait de l’insécurité régnant au Cabo Delgado, dans le nord du pays, à la frontière avec la Tanzanie, avec une insurrection jihadiste qui est apparue depuis quelques années. Toutefois, celui-ci commence à redémarrer petit à petit et TotalEnergies espère pouvoir vraiment relancer ses opérations de développement du gisement à compter de la fin de l’année 2025.
Cependant, si cette zone est aujourd’hui surnommée la « nouvelle mer du Nord », pour Jean-Marc Balencie la comparaison est à prendre avec précaution. Mais il reconnaît que le potentiel gazier du Mozambique est très important et pourrait transformer cette région d’Afrique.
Quant aux revendications de Madagascar sur les îles Éparses, l’expert explique que depuis plusieurs décennies il y a une offensive diplomatique et juridique malgache pour tenter de récupérer le contrôle de ces îles, sur lesquelles la France maintient des petits détachements militaires du niveau d’une section, accompagnés par des équipes de météorologues qui assurent le suivi météo d’une zone assez exposée aux événements extrêmes.
Des prétentions malgaches sur certaines îles

Les Malgaches contestent la présence française, estimant que ces îlots étaient des dépendances de Madagascar et qu’une fois l’indépendance acquise, ils auraient dû revenir à Madagascar. Depuis plusieurs décennies, il y a très régulièrement des interventions malgaches à cet effet au niveau des Nations Unies, de la SADC et de diverses organisations internationales couvrant la zone de l’océan Indien.
Un peu partout sur la planète, ces positions d’Outre-mer sont confrontées à pas mal de menaces : en Nouvelle-Calédonie par exemple, ou un pays aussi improbable que l’Azerbaïdjan mène une stratégie délibérément opposée et hostile aux intérêts français. On a vu également des relais au niveau des Antilles.
Au cours des prochaines décennies, du fait de l’importance des zones économiques exclusives qui sont adjacentes à ces territoires insulaires, les richesses halieutiques et les richesses énergétiques vont alimenter énormément d’appétit chez les rivaux potentiels de la France.
Sur les îles Éparses où il n’y a pas de population autochtone, les positions juridiques françaises concernant les conventions internationales en matière de souveraineté peuvent être analysées comme relativement fragiles. Donc, il y a des risques réels de voir monter la pression.
À Madagascar, où chaque élection est souvent suivie de contestations, il est possible un jour de voir un régime opposé à la lignée de ce qui aura été conclu précédemment avec la France et remettre en question le deal qui pourrait être trouvé lors de la prochaine rencontre prévue entre le président Macron et le chef de l’État malgache.