De nombreux Afro-descendants du monde entier pourraient bientôt acquérir la nationalité béninoise. Le gouvernement a présenté le 8 mai en Conseil des ministres un projet de loi qui en définit les conditions d’obtention.
Aux termes du projet de loi, les bénéficiaires ne pourraient ni voter, ni travailler dans la fonction publique, mais il s’agit d’une reconnaissance à des éventuels descendants de Béninois victimes de la traite négrière jusqu’au XIXème siècle. Car le Bénin a été l’un des pays qui ont le plus subi la traite négrière, surtout la ville côtière d’Ouidah.
Le projet sera transmis à l’Assemblée nationale. On ignore encore tous ses détails mais dans sa justification, le gouvernement affirme qu’elle a « laissé des blessures profondes sur l’Afrique et les descendants des personnes déportées ».
Le Bénin est cité comme un pays qui a subi pendant des siècles la traite négrière. La ville de Ouidah, sur la côte, était un port d’embarquement des esclaves. Le président béninois Patrice Talon développe un tourisme mémoriel sur ce passé, et ce depuis son arrivée au pouvoir.
C’est pour aider les « déportés » à retrouver un lien avec leurs origines que la loi a été initiée, explique le gouvernement. Peut en bénéficier « toute personne dans le monde qui, d’après sa généalogie, a un ascendant africain subsaharien déporté hors du continent dans le cadre de l’esclavage ».
Ces personnes pourraient se trouver, entre autres, en Haïti, au Brésil, dans les Caraïbes ou encore aux États-Unis.
Reconnaissance définitive soumise à un séjour dans le pays
Dans le processus stipulé, le candidat doit faire une demande en apportant la preuve de l’Afro-descendance par documents officiels d’état civil, des témoignages authentifiés ou tests ADN. En cas d’éligibilité, on délivre un passeport béninois valable trois ans, une acquisition par reconnaissance. Mais l’obtention du certificat de nationalité définitif est subordonnée à l’obligation de séjourner dans le pays quelques jours avant l’expiration du passeport.
Derrière ce projet, il y a un intérêt touristique et une démarche de valorisation et de reconnaissance. Patrice Talon s’est rendu récemment en Martinique et a décidé d’envoyer des troupes en Haïti. Le 10 janvier 2024, il a lancé les « Vodun Days », un évènement qui a drainé plusieurs Afro-descendants.
Le projet a été salué par les Haïtiens, qui sont les Afro-descendants les plus nombreux vivant au Bénin. Après le séisme du 12 janvier 2010, le Bénin avait accueilli et financé les études de 110 étudiants haïtiens. Certains s’y sont établis.
Esclavage : les pays qui se sont excusés et ceux qui ne l’ont pas fait
Les excuses pour la traite et l’esclavage se multiplient, avec ou sans polémiques sur la « repentance » dans les anciennes métropoles coloniales. Qui en a présenté – ou pas – et comment ? Tour d’horizon chronologique, en commençant par les faits les plus récents.
Pays-Bas – La Haye a reporté fin juin des excuses prévues pour le 1er juillet, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage, en 1863, dans ses ex-colonies (Surinam, Caraïbes, Indonésie). Il faut beaucoup de temps aux autorités pour apurer le passé. La responsabilité dans la déportation quasi totale des juifs néerlandais a été reconnue sur le tard, en 2020, avec les excuses aussi officielles qu’inattendues du Premier ministre Mark Rutte. Sur l’esclavage, il estime qu’il y a un risque de « polarisation » de la société. Seulement 35 % des Néerlandais soutiennent des excuses à ce titre, selon un sondage Een Vandag.
Il faudra attendre pour savoir si les excuses, recommandées en 2021 par un comité spécial institué par le gouvernement, seront faites ou non. La coalition au pouvoir est divisée. La droite estime que « les contemporains ne peuvent être tenus pour responsables des agissements de leurs ancêtres », tandis que les partis de centre et chrétiens plaident pour un « geste de réconciliation ».
La ville d’Amsterdam, dirigée par l’écologiste Femke Halsema, et la Banque ABN Amro ont pris les devants. Elles ont présenté des excuses au titre de leur participation dans l’esclavage, pour la première en juillet 2021 et la seconde en avril 2022. La Banque centrale leur a emboîté le pas le 1er juillet dernier, après de « profonds regrets » qui n’ont sans doute pas suffi en février 2022. L’institution publique s’est finalement excusée, et a reconnu avoir payé des indemnités à ses directeurs et des planteurs après l’abolition de l’esclavage.
Belgique – Par la voix de son roi Philippe, Bruxelles a émis de « profonds regrets » en juin 2021 et juin 2022 pour la colonisation au Congo – ce qui englobe les pratiques esclavagistes qui y avaient libre cours, notamment dans les plantations de caoutchouc sous le règne de Léopold II. Des « excuses » ont été prononcées le 20 juin par le Premier ministre Alexander de Croo pour le meurtre de Patrice Lumumba, Premier ministre à l’Indépendance de l’actuelle République démocratique du Congo.
Fin octobre 2021, dix experts mandatés par une commission parlementaire spéciale ont rendu un rapport sur le passé colonial, qui recommande des réparations, comme la présentation d’excuses officielles et la restitution d’œuvres volées. C’est sur la restitution que les avancées les plus probantes sont faites à ce jour, en attendant la clôture des travaux de la Commission parlementaire instituée en décembre 2021 sur le passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi.
Grande-Bretagne – En visite en Jamaïque le 23 mars dernier, le prince William a présenté, au nom du royaume de Grande-Bretagne, ses excuses solennelles quant au commerce d’esclaves. « Je tiens à exprimer ma profonde tristesse. L’esclavage était odieux et cela n’aurait jamais dû arriver », a ainsi reconnu le duc de Cambridge. Il met fin à une politique de « profonds regrets » sans excuses portée en 2006 par le Premier ministre Tony Blair.
La monarchie emboîte le pas de la Banque centrale et de grandes entreprises comme Lloyds Bank, Royal Bank of Scotland et le brasseur Greene King, qui ont reconnu en juin 2020 avoir bénéficié de la déportation de plus de 10 millions d’Africains entre les XVe et XIXe siècles. Le tout, dans un contexte de manifestations mondiales contre le racisme après le meurtre de George Floyd aux États-Unis, mais aussi de révélations faites par la base de données « Legacies of British slave-ownership » de l’University College of London (UCL).
Allemagne – Berlin n’a pas pris de position claire à ce jour sur l’esclavage ou son passé colonial. Elle a reconnu en 2004 les génocides commis au début du XXe siècle en Namibie contre les peuples nama et herero, et s’en est excusée le 28 mai 2021. Avec à la clé, des projets de développement financés pour 1,1 milliard d’euros sur 30 ans. Une manière de contourner des demandes de réparations plus importantes, sur le modèle des 820 millions de dollars (valeur de 1952) versés à Israël après la Seconde guerre mondiale.
Espagne – De son côté, Madrid refuse de présenter des excuses publiques pour le passé colonial, l’esclavage ou le génocide des peuples aztèques et mayas. Excuses ardemment demandées au roi d’Espagne par deux fois, en mars 2019 et août 2021, par Andrés Manuel Lopez Obrador, le président du Mexique, de même que par le Venezuela de Nicolas Maduro en 2021. L’Espagne se montre catégorique : c’est trois fois non. Le gouvernement socialiste a « fermement rejeté le contenu » de la première lettre d’Obrador au roi Felipe VI, et expliqué que « l’arrivée il y a 500 ans des Espagnols sur le territoire mexicain actuel ne peut pas être jugée à l’aune des considérations contemporaines ».
Portugal – C’est la première puissance à s’engager dans la traite transatlantique et ses colonies africaines étaient de peuplement. Pourtant, il n’est pour l’instant pas question de présenter quelque excuse que ce soit.
Italie – En 2008, le gouvernement Silvio Berlusconi a présenté ses excuses solennelles à la Libye du colonel Kaddafi et s’est engagée à verser 5 milliards de dollars sur 25 ans au titre de dédommagements pour les crimes coloniaux dans la première moitié du XXe siècle. En contrepartie, l’engagement de Tripoli à lutter contre la migration clandestine a été obtenu. Mais sur l’esclavage, qui reste d’actualité aussi bien en Libye qu’en Italie avec la traite moderne de migrants, silence radio.
États-Unis – Bill Clinton a exprimé des « regrets » pour l’esclavage lors d’un déplacement en Ouganda en 1998, tandis que le Congrès a adopté une résolution présentant des « excuses » aux Afro-Américains en 2008. L’élection de Barack Obama a débouché sur les pleines excuses du Sénat « au nom de la nation » au titre de l’esclavage et de la ségrégation, en juin 2009. Aux États-Unis, les débats portent surtout sur les réparations, qui sont étudiées par une commission parlementaire.
France – Plutôt que des excuses, Paris a adopté une loi qui porte le nom de la députée socialiste qu’était alors Christiane Taubira, le 10 mai 2001, reconnaissant comme crimes contre l’humanité « la traite des Noirs et l’esclavage des populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes, perpétrés en Amérique et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe, à partir du XVe siècle ». Depuis, l’esclavage est inscrit dans les programmes scolaires d’histoire et chaque année, son abolition fait l’objet d’une commémoration officielle le 10 mai. À cette occasion, le président socialiste François Hollande a déclaré en 2013 que la traite était un « outrage fait par la France à la France, à son propre honneur, à sa propre grandeur », ainsi qu’une « monstrueuse entreprise qui a réduit des êtres humains à l’état d’animal ».