Depuis février 2022, le monde est en guerre. Que ce soit en zone de combats ou dans les salons feutrés des arènes internationales comme l’ONU, ou via les réseaux sociaux débordant de fake news, de manipulation et de propagande, l’affrontement a pris une dimension mondiale hors norme.

L’ Afrique est submergée par la vague de l’intégrisme islamique et des groupes djihadistes souhaitant établir un califat. En février 2022, le président Mnangagwa du Zimbabwe confronté à l’insurrection djihadiste chez son voisin mozambicain ne disait pas autre chose dans une interview à la Libre Belgique : « Les fondamentalistes veulent installer un califat en Afrique australe ».
Le continent africain fait face à trois vagues d’islamisme intégriste qui constituent autant de poudrières géopolitiques. L’arc de violence djihadiste qui ne cesse de progresser depuis plus de 28 ans va du Sahel au sens large du terme à l’Afrique australe, en passant par l’Afrique de l’ouest, le bassin du Tchad, la Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Est.
La première vague concerne le cas specifique du Sahel. Ici, on ne parle généralement que du Mali, du Niger et du Burkina Faso, alors qu’il faudrait y inclure la Mauritanie, le sud de l’Algérie, une partie du Sénégal et le nord du Nigeria.
Cependant, l’épicentre des combats est situé sur l’axe Liptako-Gourma où les trois pays disposent d’une frontière commune. Depuis le retrait des troupes françaises, le phénomène a largement débordé sur le nord du Burkina Faso et le centre du Mali, provoquant des déplacements de population par centaines de milliers, couplés à des massacres qui depuis plus de 15 ans ont fait des dizaines de milliers de morts.
Avec la fin de la Françafrique et de Barkhane, l’explosion du G5 Sahel avec le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso, la fin de la Minusma et le départ de ces trois pays de la CEDEAO, ceux-ci se sont entièrement tournés vers la Russie et ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES).

Wagner dans la danse

Le Groupe Wagner, aujourd’hui dénommé Afrika Corps, est présent depuis longtemps au Mali et y augmente régulièrement sa présence et son emprise. Il est également présent maintenant au Burkina Faso, alors que la coopération entre Moscou et le Niger a été considérablement renforcée.
L’Afrika Corps prend donc la place des Français dans le combat contre les groupes djihadistes, à savoir la Katiba Macina, une des factions du GSIM (le groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) affiliée à Al-Qaida, et l’EIGS (État islamique au grand Sahara) lié a Daesh. L’efficacité des hommes de l’Afrika Corps laissent plus qu’à désirer. Les rapports de l’ONU et d’ONG, comme ACLED spécialisée dans la collecte des données des zones de conflit, sont unanimes. La fin justifie les moyens pour les mercenaires russes, pillages et pas seulement des ressources minières, viols, massacres de masse, la torture banalisée et appliquée en toutes circonstances, sans compter de multiples exécutions sommaires. Tel est le quotidien qu’ils font subir à la population malienne sans réussir à contenir la montée des groupes djihadistes.
Pour l’ensemble de la région et de la sous-région, c’est un réel danger aussi grand que celui posé par les groupes djihadistes !
Dans cette Afrique en constante évolution et chamboulement géopolitique et qui, en quatre ans, a connu huit putschs, sept en Afrique francophone et un au Soudan, et deux manqués en Guinée Bissau et au Sierra Leone, les juntes militaires pourraient devenir des modèles pour d’autres États en déliquescence, qui seraient alors tentés par l’instauration de dictatures.
Ce qui entrainerait un risque de nouveaux cycles de répression et de violence qui auraient pour conséquence de permettre aux groupes djihadistes de recruter encore plus parmi les jeunes et donc de se renforcer.

Des répercussions dans les pays limitrophes

La situation dans le Sahel a également des répercussions sur les pays limitrophes côtiers, le Bénin, le Togo, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, gangréné par Boko Haram entre autres. Les attaques des groupes djihadistes se font de plus en plus fréquentes et ces États sont incapables de faire face à l’intégrisme islamique.
Dans cette perspective, si les régimes militaires prolifèrent, la gangrène islamiste risque de se poser en recours crédible. Il est dès lors certain que les mouvements salafistes sahéliens et ouest-africains, qui se sont déjà immiscés dans les secteurs clés de l’éducation, de l’aide à la jeunesse, du social et du développement, pourront alors commencer à instaurer des Califats islamiques. Et c’est un tsunami dévastateur qui emportera les « failed states » de la région.
La seconde vague islamiste concerne le bassin du lac Tchad, englobant le Tchad, le Nigeria, un partie du Niger et le Cameroun. Les trois groupes dominants dans la région sont Boko Haram, l’ISWAP (État Islamique en Afrique de l’Ouest) issu d’une scission de Boko Haram et le JAS (1) issu d’une scission avec l’ISWAP.
En 2021, la direction centrale de l’État islamique (en Syrie et en Irak) a demandé à l’ISWAP de créer quatre califats à Borno, dans le nord-est du Nigeria. Ceci afin de contrôler ses activités dans le bassin du lac Tchad et dans ses environs.
Les califats proposés sont le lac Tchad, Sambisa qui est la forêt du Borno où les combattants de Boko Haramm se cachent généralement, Tombouctou, à ne pas confondre avec la ville malienne mais qui est en fait le surnom local de la forêt d’Alagarno et Tumbuma, chacun administré par un gouverneur (wali).
Ces quatre califats seraient réunis autour de celui du lac Tchad et administrés par un conseil de la choura (assemblée consultative) et un amirul jaish (chef militaire).(2)
En dehors de combattre les armées des États de la région, l’ISWAP, le JAS et Boko Haram s’affrontent régulièrement pour le contrôle de territoires et de ressources. Actuellement le JAS domine les confrontations armées.

Une poudrière géopolitique

Si l’ISWAP semble le plus apte à porter le fer dans cette région, du fait qu’il se montre plus « clément », son impopularité, celle de Boko Haram et celle du JAS en raison de leurs violences à l’encontre des communautés locales, portent atteinte pour le moment à toute velléité d’installation d’un Califat.
Cependant, leur degré de brutalité est tel que ces groupes djihadistes sont une menace permanente pour la stabilité de la région et constituent également une poudrière géopolitique.
Enfin, la troisième vague de l’Islam intégriste concerne la Corne de l’Afrique et donc la Somalie, l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Certains experts mettent la Somalie à part. Néanmoins, du fait des liens qui se sont créés entre les Al Shabaab de Somalie, membre d’Al Quaïda, avec les ADF (Allied Democratic Forces), groupe djihadiste d’origine ougandaise qui s’est installé en République démocratique du Congo et Ansar Al Sunnah au Cabo Delgado, ces deux derniers étant affiliés à l’État islamique, il faut les inclure dans le même arc de cercle d’insurrections jihadistes, étant donné qu’ils partagent des camps d’entrainements.

La situation en Afrique de l’Est et de l’Ouest encore plus dangereuse

Si la situation au Sahel est proche de l’explosion, celle de de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe est encore plus dangereuse et volatile selon trois axes identifiés. Le premier axe concerne l’influence des Al-Shabaab. Si ces derniers ont subi plusieurs lourdes défaites en Somalie, ils ne sont certainement pas affaiblis, comme l’attestent leurs dernières attaques contre une base militaire et contre un hôtel à Mogadiscio.
De plus, leurs attentats répétés au Kenya continuent de déstabiliser la sous-région. Leur coopération militaire dans des camps d’entrainements au Kivu et en Ituri avec les ADF et Ansar Al Sunnah font d’eux un « joueur » participant à la déstabilisation de l’ensemble de l’Afrique de l’Est et Australe.
Deuxième axe : la situation au Cabo Delgado (Mozambique) où l’insurrection djihadiste est active depuis 2017. Ansar Al Sunnah, le groupe djihadiste a subi une série de revers en 2022 face à la SAMIM, force d’intervention de la SADC (3) et face au corps expéditionnaire rwandais, fort de 2 000 hommes, qui protège principalement les installations de Total.
Tant le Mozambique que ses partenaires de la SADC, excepté le Zimbabwe qui est à la pointe du combat contre l’islamisme, ainsi que l’ONU ont cru que celui-ci n’était plus une menace. D’où la décision de retirer la SAMIM en juillet 2024.
Erreur d’analyse. Depuis novembre 2023, le groupe djihadiste remarquablement armé est repassé à l’offensive dans nombre de provinces et districts, infligeant défaites après défaites aux Forces armées mozambicaines et obligeant le déplacement de plus de 100 000 personnes.
À nouveau, la progression des djihadistes se répercute sur les Etats voisins comme la Tanzanie et la Zambie et constitue une menace régionale.

L’est de la RDC, le ventre mou

Le dernier axe et point de rupture, le ventre mou de toutes ces régions, est l’Est du Congo. Dans les provinces de l’Ituri, du Sud-Kivu, du Nord-Kivu, du Maniema et du Tanganyika, plus de 252 groupes armés ont été répertoriés dont 14 étrangers. Une situation à même de laisser le champ libre à une balkanisation et à la mise en place potentielle d’un califat islamique.
Tant les autorités congolaises, que l’ONU, l’Union européenne et la SADEC, qui vient de déployer une force d’intervention la SAMIDRC (4), ne pointent du doigt que le M23 comme agent principal de déstabilisation, négligeant les autres groupes et principalement les ADF (Allied democratic Forces).
Si l’ensemble des groupes armés sévissant dans les provinces de l’Est ont une connotation locale, à l’exception du M23, les ADF, depuis leur allégeance à l’État islamique, sont devenus sans aucun doute la plus grande menace régionale.
En effet, ayant établi leur base en RDC, et proclamant le groupe comme faisant partie de l’ISCAP (Province de l’État islamique en Afrique centrale), ils ont un « global reach » recrutant non seulement en Ouganda mais également au Burundi , en Tanzanie, en RDC et au Mozambique. Ce qui confirme les liens renforcés entre les ADF et Ansar Al Sunnah du Cabo Delgado. Financés par l’ISI et récoltant de nombreux fonds grâce aux trafics locaux entre l’Ouganda et la RDC, ils disposent de plus de moyens que la plupart d’autres groupes armés. Ce qui leur permet de mener des actions non seulement en RDC mais également dans des pays limitrophes comme la Tanzanie.
La plupart des experts de la région craignent un embrasement régional encore plus étendu et l’installation définitive d’un premier Califat islamique dans les mois à venir. C’est la troisième poudrière géopolitique.

Est-il tard pour agir ?

Est-il trop tard pour arrêter le fléau de l’islam intégriste et éviter l’explosion ? Sans doute ! Cependant, certaines mesures peuvent être prises pour tenter de le contenir. Il est prouvé que la meilleure manière de combattre l’intégrisme islamique, en dehors d’instaurer une politique de sécurité efficace qui protège les communautés locales, est d’adopter une politique de dialogue avec les populations et résoudre les problèmes économiques et sociaux auxquels elles sont confrontées. De même, il faut lancer des programmes auprès des jeunes, qui sont sensibles aux sirènes des djihadistes. Tant le Kenya et la Mauritanie ont réussi à lancer ce genre d’initiatives avec un certain succès.

Il ne fait aucun doute que si la Communauté internationale ne change pas de paradigme ou ne s’implique pas davantage pour soutenir la société civile et apporter une aide économique concrète afin de maintenir une influence sur les pays sous la menace des groupes islamistes, le « choc djihadiste » emportera nombre de pays africains et l’Europe sera en première ligne. Selon le vieil adage que l’on attribue à Lénine, à savoir « Qui tient l’Afrique tient l’Europe », l’urgence est à nos portes.

Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’Expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique subsaharienne ».
(1) JAS : Jama’tu Alhis Sunna Lidda’awati wal-Jihad ;
(2) Source : Agenza Fides ;
(3) SADC-SAMIM : South African development Community-South African development Community Mission in Mozambique ;
(4) SAMIDRC : South African development Community Mission in the Democratic Republic of Congo.

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