Depuis quelques semaines, la vie politique congolaise est mouvementée par l’avant-proposition de loi sur « la Congolité ». Endossée par un député national, la désormais proposition de loi consacre l’exclusion des non-Congolais « de père et mère » à l’accès à certaines fonctions régaliennes de l’État et ouvre la voie à la double nationalité ainsi qu’à l’irrévocabilité de la nationalité congolaise.

Pour justifier le bien-fondé de la réforme, les auteurs avancent principalement la thèse de la nécessité d’éviter l’infiltration des « étrangers » au sommet de l’État et instituent ainsi le verrou à l’accès aux fonctions de souveraineté nationale.

À cet égard, poser la question de savoir si cette proposition de loi viole la Constitution congolaise revient à se demander fondamentalement si l’on peut justifier les limitations aux droits de l’homme (ici l’éligibilité) dans une société démocratique en instituant des catégories de citoyens dont certains auront plus de droits que d’autres. Cela conduit à vérifier si cette initiative n’est pas, à l’aune des exigences des Droits de l’Homme, à la fois rétrograde (1), discriminatoire (2) et inopportune (3).

1. Une proposition de loi rétrograde

Le texte n’est pas une nouveauté dans l’histoire politique et juridique de la RDC. La question de l’accès aux fonctions régaliennes de l’État, comme la présidence de la République, aux seuls Congolais de père et mère s’est posée sous la deuxième République. La loi du 1er février 1984 portant organisation de l’élection du Président du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), président de la République disposait, à son article 7 : « Tout candidat au poste de président du MPR, président de la République, doit avoir la nationalité zaïroise d’origine, c’est-à-dire être des père et mère zaïrois ». Le verrou dont se vante la proposition actuelle n’est nullement une innovation, sauf à considérer l’élargissement du champ d’application.

En 2004, cette exclusion a été abandonnée au profit d’un consensus trouvé autour de la nouvelle législation sur la nationalité congolaise issue du dialogue inter-congolais et relayée par la Constitution du 18 février 2006.

Cette proposition de loi pourrait ramener le pays en arrière. Le pays vient de loin dans son cycle des conflits pour lesquels des vies ont été fauchées et des familles disloquées.

Il est de notoriété publique que l’une des causes majeures à la base de ces conflits est liée à la contestation des nationalités et/ou à l’exclusion de certains groupes à la participation aux charges publiques.

Faire un pas pour en reculer trois est un pari à ne pas risquer. La stabilité du pays peut bien en être bousculée. De plus, cela peut donner lieu au recours à des voies extraconstitutionnelles. Revenir en arrière alors que l’on connaît les effets pervers des législations antérieures sur cette question serait aussi suicidaire.

Enfin, penser que les Congolais de père et mère seront exclusivement loyaux à la RDC, c’est oublier l’Histoire du pays, marquée par des cas de trahison de certains citoyens congolais de père et mère, qu’on n’a pas besoin de citer.

2. Une proposition de loi discriminatoire

Dans la mesure où la proposition de loi prévoit qu’est Congolais d’origine l’enfant dont le père ou la mère a la nationalité congolaise, ce serait une discrimination de disqualifier les Congolais d’origine ayant un parent étranger comme s’il avait choisi de naître dans ces conditions.

Comment peut-on envisager de discriminer un enfant de père congolais et de mère étrangère alors qu’il est fortement attaché et enraciné à la RDC, qu’il considère comme sa seule patrie ? Et pourtant il peut n’avoir aucune attache avec le pays de sa mère.

Supposons que pareille disposition soit prévue dans tous les pays, quel sort réserver aux enfants nés de couples « hétéronationaux » ? Du fait des conditions de leur naissance, ils seraient exclus partout de certains postes publics.

La restriction de l’accès à certaines fonctions régaliennes de l’État constitue une limitation aux Droits de l’Homme (ici l’éligibilité). Cependant, les limitations aux Droits de l’Homme sont soumises, pour leur régularité, à un certain nombre de conditions : 1) légalité, 2) justification dans une société démocratique et 3) proportionnalité. C’est la deuxième condition qui pose problème.

Il ne semble pas normal, dans un État démocratique, d’instituer des catégories de citoyens dont certains auront plus de droits que d’autres. Le problème est que cette réforme conduirait à l’exclusion de certains Congolais (nés d’un parent congolais) de leur droit politique et cela va à l’encontre de la Constitution de 2006, en violant ses articles 220, al. 2 et 12.

En fait, le législateur ne peut pas réduire les droits des citoyens là où cela est interdit au constituant dérivé, encore moins traiter les Congolais de manière inégale.

3. Une proposition de loi inopportune

Après l’analyse de deux premiers points, on peut se poser la question de l’opportunité d’une telle réforme. Au fond, la proposition de loi ne répond pas à la préoccupation de ses auteurs de mettre fin à l’infiltration.

Ils ne veulent pas que des personnes avec des origines étrangères puissent occuper des postes importants.

Un Congolais d’origine, marié à une femme naturalisée congolaise, mais d’origine rwandaise, ne verra-t-il pas son enfant être traité comme Congolais de père et de mère ?

Conclusion: D’autres voies sont possibles

L’idée qui consiste à lutter contre l’infiltration des institutions de la République par des puissances étrangères n’est pas en soi mauvaise, mais elle ne peut pas être l’occasion de justifier la limitation des Droits de l’Homme (participation politique) dans une société démocratique. Toutefois, il est possible d’utiliser d’autres voies pour lutter contre l’infiltration. Il peut s’agir, par exemple, d’organiser l’administration, de renforcer les frontières nationales et d’identifier la population.

Le pays est actuellement confronté à des défis sécuritaires et socio-économiques plus importants et qui demandent plus d’attention. Visible ment, cette proposition n’intervenant pas in tempore non suspecto, l’on peut l’inscrire sous le registre politicien tendant à écarter certains candidats potentiels de la course à l’élection présidentielle prévue en 2023. Ce qui serait une entorse et un coup fatal à la démocratie et à l’État de droit.

La proposition de loi sur la nationalité étant organique, elle sera absolument soumise à la Cour Constitutionnelle dans le cadre du contrôle a priori de constitutionnalité. C’est au gardien des libertés et droits fondamentaux de sauver le temple de la démocratie et de l’État de droit en péril.

Prof. Eugène Bakama Bope pour Onésha Afrika

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