C’est une décision mémorielle inédite. L’État français a annoncé, le dimanche 28 juillet, que six tirailleurs sénégalais, exécutés en 1944 sur ordre d’officiers de l’armée française au camp de Thiaroye, près de Dakar au Sénégal, ont été reconnus « morts pour la France ». Une décision prise dans le cadre des commémorations de la Libération.
C’est un pas de plus, une avancée dans ce dossier historique, douloureux et complexe. Quatre Sénégalais, un Ivoirien et un soldat de la Haute-Volta, devenue le Burkina Faso, sont reconnus « Morts pour la France à titre posthume », une décision prise le 18 juin dernier par l’Office national français des combattants et des victimes de guerre, alors que la France s’apprête à célébrer les 80 ans du Débarquement de Provence.
« Ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la Libération de la France comme dans la perspective du 80ème anniversaire des évènements de Thiaroye », indique le secrétariat d’État français chargé des anciens combattants qui ajoute : « C’est une nouvelle étape. C’était essentiel, il est désormais temps de regarder notre histoire comme elle fut ».
Je ne voyais pas l’État ne pas se saisir de cette commémoration. Ces combattants, avant d’être massacrés à Thiaroye, ont combattu aux côtés des soldats français pendant la Seconde Guerre mondiale (…). C’était une reconnaissance qui leur était due ».
« Regarder notre histoire en face »
Une décision « vraiment salutaire », estime également l’historien sénégalais Samba Diop, qui travaille sur le massacre de Thiaroye depuis 30 ans, « d’abord pour la mémoire de ces six tirailleurs identifiés », mais aussi « pour les familles de ces six tirailleurs reconnus ». Cela va permettre à ces familles, ajoute-t-il, « de pouvoir finalement faire leur deuil après 79 ans ». Et d’espérer que l’on pourra identifier leurs tombes, « mettre quelque chose sur leurs épitaphes encore vierges ».
« C’est une décision salutaire pour toute la communauté ouest-africaine, et je dirais même africaine. Parce c’est un combat qui avait été lancé depuis très longtemps, et je crois que c’est le pas le plus important à ma connaissance. C’est un acquis dans l’étude de l’histoire de 40-44. Nous nous sommes posé suffisamment de questions par rapport au nombre de tués, par rapport à leurs lieux d’enterrement ».
Officiellement, 35 tirailleurs ont été exécutés le matin du 1er décembre 1944 dans le camp de Thiaroye alors qu’ils réclamaient leurs arriérés de soldes. Mais les historiens ont toujours contesté ce bilan donné, à l’époque, par les autorités françaises.
En 2014 à Dakar, le président François Hollande avait rendu officiellement hommage à ces tirailleurs. Quant à Emmanuel Macron, il souhaite que « nous regardions notre histoire en face », indique le secrétariat d’État qui précise que cette première décision « pourra être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie ».
« Une heureuse surprise »
L’historien Martin Mourre, spécialiste des tirailleurs sénégalais, en particulier du massacre de Thiaroye, se félicite pour sa part de ce pas en avant fait par l’État français. À ses yeux, cette décision est à la fois politique et diplomatique. « La France prend prétexte de ce 80ème anniversaire du Débarquement. On sait que les commémorations servent aussi à poser des gestes diplomatiques », explique-t-il.
« Là, on est dans une diplomatie mémorielle entre la France et le Sénégal. On est dans une situation géopolitique qui est compliquée entre la France et l’Afrique de l’Ouest. Donc, il y a bien sûr un intérêt de l’État français à prendre cette décision. Malgré tout, je pense que pour les communautés africaines et en tout cas pour le Sénégal, c’est un geste qui était important ».
« On peut toujours dire que c’est trop peu, trop tard, poursuit l’historien, mais il faut avant tout saluer. » Cela « s’inscrit, fait-il valoir, dans la continuité des gestes qui avaient été faits par le président François Hollande sur la naturalisation et le retour d’une dizaine d’anciens tirailleurs sénégalais », et « dans la politique mémorielle d’Emmanuel Macron vis-à-vis de l’Afrique ».
C’est une décision extrêmement importante, qui n’était pas forcément attendue, donc c’est une heureuse surprise. Je ne sais pas si c’est un signe d’apaisement. C’est toujours l’ambiguïté quand on parle de mémoire, je ne suis pas sûr qu’il y ait des mémoires qui soient en affrontement et qu’on pourrait apaiser par des gestes comme ça. Je pense que ce qu’il reste de Thiaroye, c’est quand même un mystère sur le nombre de morts, sur le lieu d’inhumation des victimes et que l’État français a tout intérêt à essayer de faire un maximum la lumière sur ce qui s’est réellement passé. C’est, à mon sens, une décision qui en appelle d’autres sur la question du nombre de morts, la question des réparations symboliques que l’État français peut effectuer et la question, bien sûr aussi, des liens entre la France et le Sénégal. C’est une histoire évidemment commune. On sait ce que représentent les communautés afro-descendantes en France, et je pense que ce geste a autant de significations pour les communautés d’origine africaines qui vivent en France que pour les communautés africaines en Afrique ».