L’ITSCI, un mécanisme censé fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T, facilite le blanchiment de minerais de contrebande en provenance des mines contrôlées par des groupes armés et profitant au Rwanda voisin.

En tout cas ce sont là les affirmations faites par Global Witness dans un rapport publié le 7 juillet 2022, selon lequel 90% des quantités de coltan (principale source du tantale), d’étain et de tungstène, trois minerais plus connus sous l’appellation « minerais 3T », exportés par le Rwanda sont introduits illégalement à partir de la RDC.

L’ONG britannique, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne, rappelle que « les métaux issus de la fusion des minerais 3T sont très largement utilisés dans les équipements électroniques, tels les téléphones portables, les ordinateurs et les systèmes automobiles ou aéronautiques ».

Un programme défaillant

Intitulée « La laverie ITSCI : Comment un système de diligence raisonnable semble blanchir des minéraux de conflits », l’étude menée par Global Witness révèle que l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI/ International Tin Supply Chain initiative), un mécanisme ayant pour objectif de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T, permet la contrebande et le blanchiment de ces minerais extraits en RDC.

« Un acteur clé du lancement du programme ITSCI au Rwanda estime que seulement 10% des minerais exportés par ce pays avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90% restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC », précise l’étude.
La preuve la plus frappante avancée par l’ONG sur les failles du mécanisme en RDC se trouve dans la région de Nzibira, où un centre de négoce représentait près de 10% des minerais étiquetés dans la province du Sud-Kivu en 2020.

Des sources fiables

Pour mener son enquête, Global Witness s’est appuyé sur des recherches de terrain dans plus de dix zones minières à travers le Nord et le Sud-Kivu en RDC ainsi que sur des entretiens menés avec plus de 90 membres du gouvernement, du secteur minier, de la société civile et du monde universitaire, et sur des dizaines de vidéos filmées par des chercheurs locaux.
Deux autres sources de l’industrie minière ont déclaré à Global Witness qu’elles avaient « averti à plusieurs reprises, depuis 2013, des délégations d’entreprises internationales, dont Apple et Intel, que les minerais 3T provenant de la contrebande représentaient jusqu’à 90% des minerais exportés du Rwanda, en leur fournissant des preuves ».

Ces mêmes sources disent avoir « alerté les groupes Motorola, Samsung, KYOCERA AVX Components et Kemet Corporation contre le risque élevé de recevoir des minerais de contrebande provenant de la RDC lorsqu’elles s’approvisionnent au Rwanda ».
Citant de nombreuses sources du secteur minier en RDC et au Rwanda, l’étude a révélé que « le gouvernement rwandais a parfaitement conscience que les volumes de production sont artificiellement gonflés par la contrebande », indiquant que ni le gouvernement ni le programme ITSCI ne publie des données relatives à la production à l’échelle des mines qui permettraient de prouver le contraire.

Manifestation des femmes du Nord-Kivu pour la paix et la sécurité de la ville de Goma (Image d’archive / Source : rtbf.be)

Une fraude qui justifie tout

Global Wintess précise dans ce cadre que « si l’ITSCI a bien pris des mesures contre certains cas de contrebande mineurs, les grands exportateurs de minerais frauduleux n’auraient rencontré aucune résistance ». La plus grosse de ces sociétés, Minerals Supply Africa (MSA), a pendant plusieurs années été le principal exportateur de minerais 3T du Rwanda.
Au premier trimestre 2021, note-t-on, la production des mines validées de la zone de Nzibira représentait moins de 20% des 83 tonnes de minerais 3T étiquetés localement.

Les entretiens menés avec des fonctionnaires, des négociants, des exploitants et d’autres acteurs confirment que « la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail d’enfants ».

D’autres failles similaires du programme ITSCI ont été repérées à sept autres points d’étiquetage dans le Nord et le Sud-Kivu.
« Avec ses effectifs limités et l’insuffisance de ses contrôles, l’ITSCI ne dissuade pas le blanchiment de minerais mené par les exploitants et les négociants. D’autres sources affirment en outre que, sans autorisation, des équipes de terrain d’ITSCI collaborent activement avec les exploitants et les autorités pour blanchir des minerais, voire dans certains cas, pour prendre leur commission sur ces recettes illégales.
Les agents de l’Etat, généralement mal payés, compensent leur salaire en étiquetant un maximum de sacs de minerais, quelle qu’en soit la provenance. », a révélé l’ONG dans son étude.

Les responsables d’ITSCI nient formellement l’implication de ce programme dans la facilitation du blanchiment à grande échelle de minerais de contrebande au Rwanda et démentent toute allégation de faute intentionnelle ou de collusion.
Du côté de l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz, l’on affirme opérer en toute conformité avec les lignes directrices de l’OCDE et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Mais lorsque l’on connaît la politique du mensonge, soigneusement observée par Kigali, il est difficile de faire foi à cette affirmation.

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