Imbroglio total autour des prétendants pour succéder à Macky Sall, aussi bien dans le rang du pouvoir que celui de l’opposition, depuis que le président sortant a été contraint par la rue de renoncer à briguer illégalement un troisième mandat.

Le 3 juillet dernier, le président Macky Sall prononçait un discours fleuve, dans lequel il déclarait qu’il n’était pas candidat à l’élection présidentielle de 2024 dans son pays, après des journées d’émeutes et de nombreux morts qui l’ont forcé à respecter la constitution. Du coup, l’effervescence a gagné aussi bien le camp du pouvoir que celui de l’opposition, qui perdait aussi par là le bénéfice qu’il avait tiré de la rue.

Au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), proche du président sénégalais, plusieurs personnalités ont d’emblée affiché leurs ambitions. À commencer par le Premier ministre Amadou Ba, mais aussi son prédécesseur à ce poste, Mohammed Dionne. Tous les coups semblaient désormais permis.

Le choix du candidat devant concourir pour le camp présidentiel demeure du ressort du chef de file, à savoir Macky Sall. Mais les ambitions qui se révèlent tentent de lui forcer la main, sans oublier, en sourdine, la menace de candidatures indépendantes en cas de frustrations.

Déjà pressenti comme dauphin du président en cas du renoncement de celui-ci, ce qui est aujourd’hui le cas, le Premier ministre en poste subit des coups de butoir des leaders de sa propre coalition, qui s’emploient à torpiller sa candidature, même non encore déclarée.

« Il n’a aucune base politique. On ne veut pas de lui », a lancé un cacique du principal parti de la coalition, l’Alliance pour la république (APR), qui le décrit comme « trop clivant et trop vieux pour parler aux jeunes », qui constituent un électorat largement majoritaire au Sénégal, où l’âge moyen avoisine les 19 ans.

Les détracteurs d’Amadou Ba, 62 ans et élu député en 2022 à Dakar, estiment que celui-ci hypothèquerait les chances de la coalition de l’emporter en 2024 et, donc, de rempiler. Aussi, des campagnes de dénigrement sont lancées contre lui, au bénéfice d’autres candidats potentiels.

Amadou Ba souffre du manque d’ancienneté dans son parti. Il ne s’en est en effet rapproché qu’en 2012, après avoir longtemps été aux côtés de l’ancien président Abdoulaye Wade.

Directeur des Impôts en 2008, le président Macky Sall le bombarde en 2013 ministre de l’Économie et des Finances, un méga-ministère qui lui attire la méfiance des caciques du parti, au point de contraindre le président à le scinder en deux et ainsi diluer l’importance grandissante de son titulaire.

En 2019, il est nommé aux Affaires étrangères, un poste prestigieux mais ressenti comme une sorte de rétrogradation par rapport au ministère des Finances, qui lui avait permis de piloter tous les grands projets de reconstruction initiés par Macky Sall. Il s’agit notamment du Train express régional (TER) ou de l’autoroute à péage, où son professionnalisme lui a permis de gagner du crédit et d’élargir son carnet d’adresses dans les pays occidentaux ainsi qu’auprès des bailleurs des fonds.

Parmi ses concurrents, on cite Abdoulaye Daouda Diallo, ancien directeur de cabinet du président passé au ministère des Finances, avant de prendre les commandes du Conseil économique, social et environnemental. En dehors de lui, on cite aussi Aly Ngouille Ndiaye, ancien ministre de l’Intérieur qui a migré à l’Agriculture.

Les tensions au sein de la coalition présidentielle sont telles que Macky Sall tarde à annoncer le nom de son favori pour l’élection de 2024. Il a même été contraint de charger le président du parlement de mener des consultations parmi les différents ténors de la coalition et de lui faire rapport en vue d’une décision finale.

Un outsider qui redistribue les cartes

Mohammad Boun Abdallah Dionne, alors Premier ministre du Sénégal
(Image d’archive : août 2017 / Source : referenceactu.com)

Alors qu’Amadou Ba faisait jusque-là figure de favori, voici que débarque le 11 juillet de Paris, où il était parti pour des soins, un deuxième challenger à l’investiture au sein de la coalition présidentielle. Il s’agit de Mohammed Dionne, un ancien Premier ministre qui avait été joué un rôle prépondérant dans le lancement du Plan Sénégal émergent (PSE), ayant servi de tremplin à tous les programmes de développement qui ont marqué la présidence de Macky Sall.

Contrairement à Amadou Ba, le nouveau venu est un pur ami du président et un fidèle de première heure. Deux atouts non négligeables susceptibles de jouer en sa faveur au moment du sprint final, en tant que dauphin rêvé à même de poursuivre les projets de développement initiés par le président sortant.

De même, Amadou Ba peut également être desservi pour n’avoir pas défendu Macky Sall alors qu’il était mis en déperdition lors des émeutes consécutives à l’arrestation, en juin, de l’opposant Ousmane Sonko, dont il fut d’ailleurs le professeur à l’École nationale d’administration et de magistrature. Pour sa part, Dionne peut se targuer d’être un allié sûr, même s’il est quelque peu handicapé par son absence du pays depuis 2021.

L’opposition déboussolée du fait de l’inéligibilité de Sonko

L’opposant Ousmane Sonko, sa candidature reste en attente
(Image source : leral.net)

Dans la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), la situation n’est guère plus luisante, surtout que le retrait de Macky Sall de la course à la présidence lui a privé de son argument principal : la rue.

Pour rappel, le très populaire leader du Pastef Ousmane Sonko, qui a fait l’objet d’une série de condamnations, est depuis assigné à résidence. Mais l’on sait que la stabilité du Sénégal tient au sort qui sera réservé au mythique opposant. « L’empêcher d’être candidat équivaut à défier les millions de jeunes Sénégalais qui ne jurent que par lui », a commenté un analyste qui est formel : « Que Macky Sall dise qu’Ousmane Sonko ne sera pas candidat et le Sénégal ne dormira plus ».

En effet, l’opposant a largement démontré sa capacité de soulever les foules. Son arrestation serait de nature à embraser le Sénégal une fois de plus. Ce que le pouvoir ne peut se permettre, à la vue des événements qui avaient secoué le pays, au prix de nombreux morts.

Accusé de viol en juin et condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », les émeutes qui ont suivi ont fait 15 morts selon le décompte officiel, et 23 victimes à en croire Amnesty international, des suites d’affrontements avec les forces de l’ordre.

Par ailleurs, l’opposant qui donne des insomnies au camp du pouvoir demeure en liberté mais pourrait être appréhendé à tout moment, selon les termes utilisés par le président Macky Sall dans son discours fleuve du 3 juillet, où il renonçait à défier la Constitution.

Mais Macky Sall n’est pas à sa première. Avant Sonko, il avait déjà réussi à éliminer de sa route deux autres figures de l’opposition : Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye, et l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, tous deux condamnés par la Justice et frappés d’inéligibilité. Néanmoins, les deux personnalités sont susceptibles de bénéficier de la grâce présidentielle à la faveur de leur participation au Dialogue national, tenu en mai dernier, contrairement à Ousmane Sonko qui, lui, avait boycotté les assises, estimant le forum à la botte du pouvoir.

Khalifa Sall, pour y avoir pris part, a du coup été diabolisé par les partisans de Sonko, qui l’accusent d’avoir pactisé avec le diable. Mais au cas où Ousmane Sonko serait définitivement empêché de briguer les suffrages, cela pourrait bénéficier à Khalifa Sall, bien implanté dans la seule capitale, alors qu’ailleurs il ne bénéficie d’aucune notoriété, contrairement à Sonko.

Selon un analyste, néanmoins, il ne faut pas le sous-estimer, car l’homme est respecté des religieux. Ce qui n’est pas rien dans ce pays profondément croyant. Son passage en prison lui a également conféré une image de martyr. Ce qui compte aussi dans ce pays.

En cas de l’inéligibilité définitive de Sonko, un autre candidat peut également se placer au starting-block. Il s’agit de Dethié Fall, un autre leader de la coalition YAW proche de Sonko. Président du Parti républicain pour le Progrès (PRP), qui avait également boycotté le Dialogue national, il pourrait constituer une autre possibilité, sans toutefois être sûr de rallier les partisans du leader du Pastef, qui ont tout misé sur le renouveau que représentait leur champion, Ousmane Sonko.

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