Accueil Politique « Rwanda Classified » : l’enquête qui présente les crimes de Kagame

« Rwanda Classified » : l’enquête qui présente les crimes de Kagame

Au pouvoir depuis 2000, le président rwandais Paul Kagamé mène une répression contre ses opposants bien au-delà de ses frontières, y compris en Europe. - Mélody Da Fonseca / Forbidden Stories (Source : radiofrance.fr)

Les chaînes de télévision du monde occidental ont quasiment diffusé toutes, mercredi 29 mai, une enquête collective coordonnée par le Collectif Forbiden Stories et menée par 17 médias et près de 50 journalistes, dont des Allemands, des Belges, des Britanniques et des Français.

L’enquête intitulée « Rwanda classified » présente « la face sombre du régime rwandais dirigé d’une main de fer par le président Kagame ». Elle a été déclenchée par la mort du journaliste rwandais John Williams Ntwali, décédé en janvier 2023 des suites d’un accident après qu’une voiture a percuté son moto-taxi. Un accident apparemment banal mais qui comportait des zones d’ombres.
En effet, les enquêteurs ont rencontré ses proches et des confrères rwandais, qui ont témoigné que le journaliste se disait constamment suivi et menacé. L’un des messages de menaces qu’il avait reçus sur son portable était prémonitoire. « Tu te feras rouler dessus un jour que tu seras à moto ». C’est ce qui lui est exactement arrivé.
Le journal belge Le Soir, qui a participé à l’enquête « Rwanda classified » avec la chaîne publique RTBF, révèle également « la nature multiforme de la répression du régime de Kagame contre les membres de la diaspora rwandaise qui osent critiquer le pouvoir ».

De l’espionnage classique à l’espionnage électronique pour scruter les opposants

Pour le quotidien belge, Kigali s’est spécialisé dans la traque des opposants jusqu’en dehors des frontières, « de l’espionnage classique avec des agents sous couverture à l’espionnage électronique via le logiciel Pegasus, en passant par des opérations coup de poing » contre des manifestants. Le quotidien cite l’exemple de la répression lors d’une visite de Kagame en Belgique.
Pour sa part, le journal britannique The Guardian affirme que John Businge, ambassadeur rwandais à Londres, nommé en 2022, a utilisé Interpol pour traquer les opposants du monde entier alors qu’il était à l’époque ministre de la Justice.
Le journal Le Monde, qui a également collaboré à l’enquête, révèle que « Rwanda classified met en lumière l’autre visage du Rwanda, parfois présenté comme un modèle de développement ou le Singapour d’Afrique, mais qui est en réalité verrouillé par le Front patriotique rwandais, un parti quasi-unique ».
Le quotidien français cité dans l’enquête déplore que Kagame sera finalement reconduit le 15 juillet pour un quatrième mandat « joué d’avance » et « sûrement un cinquième » devant permettre à l’autocrate rwandais de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034.

L’ombre des violences à l’est de la RDC dans l’assassinat de Ntwali

En janvier 2023, le journaliste rwandais John Williams Ntwali meurt dans un accident de la route à Kigali. Menacé, il confiait craindre pour sa vie, alors que son travail acharné pour documenter les violations des droits humains, la persécution des opposants et le bâillonnement de la presse lui avait valu l’hostilité farouche du pouvoir.
John Williams Ntwali avait aussi enquêté sur la présence des troupes rwandaises dans l’est de la République démocratique du Congo. Il avait été alerté par le nombre croissant de deuils organisés à Kigali concernant des militaires morts au combat. Ce qui lui avait valu d’être particulièrement surveillé par le régime.
Trois journalistes qui ont mené l’enquête pendant plusieurs mois autour de la mort du journaliste Ntwali pour le compte de Forbiden Stories, dont Christina Schmidt du quotidien allemand Die Zeit, ont été confrontés à la volatilité des déclarations officielles ainsi que le flou entourant le procès qui a suivi.
Ces enquêteurs ont découvert qu’à de multiples reprises et jusqu’au jour même de sa mort, John Williams Ntwali avait confié à des confrères, des proches et des membres d’ONG de défense des droits humains être traqué et menacé par les services de renseignement rwandais.

Le Rwanda : 144ème pays sur 180 sur l’échelle de la liberté de la presse

Lenteur à identifier le corps, déclarations officielles contradictoires quant au lieu et à l’heure de l’accident, déroulé confus du procès : Forbiden Stories a disséqué les procédures policières et judiciaires brumeuses ayant suivi la disparition du reporter.
Son décès dans des circonstances opaques a alourdi le climat de peur et de suspicion pesant sur les opposants et les journalistes au Rwanda, qui émarge à la 144ème place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.
« On m’a fait des promesses maudites en me disant que je finirai en prison ou mort.
Je ne peux pas rentrer chez moi car une voiture me suit quand je prends une moto-taxi. Quand j’entre dans un bureau, à la sortie, je la vois garée dehors », a confié le journaliste.
En janvier 2022, John Williams Ntwali prévient un de ses anciens confrères de la surveillance constante qu’il subit à Kigali. « Ils font leurs affaires la nuit, jettent le cadavre où ils veulent et inventent leur version », avertit le reporter dans des messages envoyés à son collègue exilé, en faisant référence aux services de renseignements.

Il était constamment suivi et exprimait sa peur

Exactement un an plus tard, dans la nuit du 17 au 18 janvier 2023, John Williams Ntwali meurt percuté par une voiture, alors qu’il occupe le siège passager d’une moto-taxi, selon la version officielle. Ses messages sonnent désormais comme une sombre prémonition.
« John m’avait dit qu’il avait peur », témoigne sous couvert d’anonymat un autre confrère du journaliste, avec qui il échangeait encore quelques jours avant sa mort.
« Il disait avoir reçu des menaces provenant des services de renseignements lui annonçant qu’il allait être assassiné : “On va te rouler dessus quand tu seras en moto ”», menaçait l’un des messages.
À Kigali, la seule évocation de son nom ou de l’accident fait figer les interlocuteurs. Même les plus téméraires refusent de s’exprimer. Un journaliste a expliqué aux enquêteurs les lignes rouges à ne pas franchir au Rwanda dans le métier. Sur les circonstances de la mort de son collègue, il chuchote : « Je lui avais dit qu’un jour il se ferait tuer ».

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