En 2015, la Fondation Mo Ibrahim dans son rapport annuel a révélé que les pays d’Afrique francophone sont en retard sur leurs pays frères d’Afrique anglophone. Cet écart intrigue plus d’un. A l’analyse, les pays francophones assujettis à l’utilisation de la monnaie du franc Cfa rattaché à l’euro sont les plus grands perdants. Explication.

L’Afrique évolue à deux vitesses. Il y a d’un côté l’anglophone qui cartonne et de l’autre sa sœur francophone qui peine à décoller. Le constat est, on ne peut plus, édifiant. Selon le classement établi par la Fondation Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance 2015, rendu public récemment, les pays qui occupent la tête du peloton sont tous anglophones. Il s’agit de l’Ile Maurice, du Cap Vert, du Botswana, de l’Afrique du Sud, de la Namibie, des Seychelles et du Ghana.

Alors que ceux qui ferment le classement sont majoritairement francophones. L‘écart séparant les deux Afriques est, de surcroît, reflété par d’autres indicateurs. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les pays anglophones ont longtemps expérimenté une croissance de 6 à 7%. En 2010 et 2011, leur croissance a même atteint 7,9 et 7,1%, hors produits pétroliers.

Alors que les pays de la Zone franc, à savoir les huit membres de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) et les cinq Etats de la Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) ont enregistré une croissance moyenne beaucoup plus faible, durant la même période, passant de 3,4% en 2009 à 4,9% en 2015, avec un pic de 6,1% en 2012. Abondant dans le même sens, le rapport Doing Business de 2015 note que le climat des affaires chez les anglophones d’Afrique subsaharienne est « nettement plus propice ».

Quelles sont les raisons de ce retard ? Est-ce les intérêts français ?

Le même document souligne que les quatre meilleurs réformateurs de leur environnement des affaires sont anglophones. L’Ile Maurice, le Rwanda, le Botswana et l’Afrique du Sud dépassent même les pays du Maghreb, en l’occurrence la Tunisie et le Maroc qui occupent respectivement à la cinquième et sixième position.

Un autre indicateur qui n’est pas des moindres: le premier TGV (Train à grande vitesse) de l’Afrique de l’Ouest ne verra pas le jour dans un pays francophone, mais plutôt au Nigéria, pays du Commonwealth (organisation intergouvernementale composée de 53 États membres qui, pour la plupart, sont d’anciens territoires de l’Empire britannique), qui devrait l’inaugurer à la mi-juillet 2016, selon la presse africaine et internationale.

S’attardant sur les raisons de ce « retard accusé par les Africains d’expression française par rapport à ceux d’expression anglaise », Anadolu a approché des géopoliticiens de renommée pour mieux éclairer sur ce déphasage. Le professeur béninois des Relations internationales à l’Institut Pratique du journalisme de France (IPJ), Francis Laloupo évoque une conjonction de causes.

«A l’origine de cet écart, il y a le politique et par conséquent l’économique et le culturel », dit l’analyste. Pour lui, « les anciennes colonies françaises ne se sont pas bien préparées à l’Indépendance ». Ces pays peinent toujours, poursuit-il, à s’assurer une autonomie complète.

Ce qui explique, en partie, les incessants déplacements de certains chefs d’Etats à destination de Paris. La dépendance de ces pays d’Afrique francophone à l’égard de la France est régie, explique Laloupo, par un « pacte colonial qui sert en premier les intérêts français ».

«Au plan économique, le Franc CFA hérité de la colonisation et qui est arrimé à l’euro ne permet pas aux États africains francophones de mener une politique monétaire correspondant à l’état de santé de leurs économies respectives. Car, le Fcfa est piloté à partir de la Banque centrale européenne (BCE) qui reçoit les réserves des pays de l’Uemoa et de la Cemac», détaille le géopoliticien.

Ce handicap de taille empêche, dit-il, l’industrialisation des pays francophones qui se contentent jusque-là d’une économie de services peu rentable, à grande échelle.

 «Si le Nigéria pèse lourd, aujourd’hui, sur le plan économique et à l’échelle continentale et mondiale, c’est parce qu’il a très tôt investi dans l’industrialisation ainsi que dans la migration d’une économie de consommation vers une autre de transformation ».

C’est l’observation de ce géopoliticien, soulignant qu’il est plus facile de créer une entreprise dans un pays anglophone que dans un Etat francophone. Ce dernier ayant hérité d’une « si compliquée bureaucratie française ». S’agissant du volet culturel, Laloupo estime que les anglophones sont mieux armés pour la mondialisation, vu que la langue de Shakespeare domine le monde. « D’autant qu’ils disposent d’un système éducatif mieux ouvert et plus adapté au marché de l’emploi », a-t-il encore dit.

L’exemple du Burkina Faso

Selon Larba Israël Lompo de l’ONG Œil d’Afrik, « pour tous les achats à l’extérieur, l’État Burkinabè fait appel au Trésor public français par une demande dite « causée » et le trésor public valide ou invalide la demande.  Autrement dit, le Burkina Faso et tous les autres pays de zone franc n’ont aucun pouvoir de choisir librement avec qui commercer sans l’aval  préalable de la France impérialiste.

Au cas où la demande est validée, c’est le trésor public de France qui  prélève dans les comptes d’opération des 50% des avoirs que l’État Burkinabè dépose quotidiennement et fait les achats pour le compte de l’État Burkinabè.

Si toutefois le Burkina choisit d’acheter des marchandises que la France produit, avec un autre pays concurrent, la France met son véto même si ce pays propose de meilleurs prix ou de meilleurs produits. C’est ainsi que la France impose aux africains la consommation de ses produits à des coûts trois fois plus chers que le prix normal sur le marché. (Voir métro d’Abidjan marché attribué à une société française)».

Cet exemple montre aisément que tant que les pays d’Afrique francophone continueront d’utiliser le franc Cfa, arrimé à l’euro, leur développement sera une utopie.

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