A César, ce qui est à César
La France a remis le 9 novembre 2021 au Bénin, 26 trésors nationaux royaux, du patrimoine mémorial après trois (3) ans de tractations. Au delà de ce geste, ce sont des milliers d’œuvres d’art africains qui attendent de rejoindre le bercail.
Les richesses culturelles de l’Afrique reviennent petit à petit au bercail. Toutefois de nombreuses interrogations persistent quant à la volonté réelle des puissances occidentales de remettre à l’Afrique ce qui lui revient. Tandis que vingt-six pièces du «trésor du Béhanzin» sont rendues au Bénin par la France, d’autres pays européens sont engagés dans ce processus qui suscite de nombreuses interrogations au sein du monde de l’art et au-delà. Outre les 26 pièces du «Trésor de Béhanzin» provenant du pillage du palais d’Abomey, la capitale historique du Danhomè, en 1892 et restituées au Bénin, la France s’est engagée à poursuivre le processus. Prochainement, le Sénégal doit ainsi récupérer la pleine propriété d’un sabre et de son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXe siècle. Ce sabre est déjà exposé à Dakar dans le cadre d’un prêt de longue durée, mais il est détenu par le Musée de l’Armée à Paris. Une loi votée fin 2020 a rendu possible ces restitutions au Bénin et au Sénégal en permettant des dérogations au principe d’inaliénabilité des œuvres dans les collections publiques, dans le cas de pillages caractérisés.
Une question d’actualité
En fait, la question du retour des biens issus du pillage des pays africains pendant la conquête coloniale est une question d’actualité, depuis plusieurs décennies. Autant que la mémoire permette de fixer la chronologie des faits, c’est déjà sous la période coloniale, en 1951 au moins, que cette question a été soulevée, dans le cadre de l’UNESCO par Alexandre Adandé, un praticien du patrimoine alors en service à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) à Dakar, comme nous le révèle la publication de l’ouvrage collectif L’art nègre qui a été réédité à l’occasion du festival Les arts nègres de Dakar en 1966. C’est une longue histoire qui mérite d’être rappelée d’autant plus que la remise des objets aux autorités de la République du Bénin, le 9 novembre 2021, marque une étape importante dans ce processus dont l’origine remonte à plusieurs décennies. Il est vrai que les opinions divergent quant à l’appréciation de ce fait, mais comme on dit, mieux vaut un tien que deux tu l’auras, quand on se rappelle les difficultés avec lesquelles les autorités du Bénin, qui ont relancé cette problématique, ont pu obtenir ce résultat qu’on pourrait qualifier d’important, mais de provisoire. Fin 2020, la France a par ailleurs remis en dépôt à Madagascar une couronne en métal doré et velours qui surmontait jadis le dôme du dais royal de la Reine Ranavalona III, souveraine malgache qui avait résisté pendant son règne (1883-1897) au colonialisme français. De son côté, la Côte d’Ivoire, qui a officiellement demandé fin 2018 à la France la restitution de 148 œuvres, se verra bientôt remettre le Djidji Ayokwe, le tambour parleur du peuple Ebrié, réclamé de longue date. Objet symbolique, cet outil de communication avait été confisqué par les colons en 1916 et est actuellement conservé au musée du Quai Branly à Paris.
L’Allemagne en avance, la Belgique en étude
Le Nigeria a conclu mi-septembre un accord avec l’Allemagne pour la restitution à partir de l’été 2022 d’objets d’art pillés pendant l’ère coloniale. Outre-Rhin mille pièces ont été a identifiées dans les collections publiques, mais le nombre final d’œuvres restituées dépendra de leur état. Le Musée ethnologique de Berlin possède 530 objets historiques provenant de l’ancien royaume béninois, dont 440 bronzes. Auparavant, l’Allemagne avait restitué en 2019 à la Namibie la croix en pierre de Cape Cross, monument de plus de trois mètres. Erigée en 1486 par des navigateurs portugais, la croix fut expédiée dans les années 1890 à Berlin, pendant la colonisation allemande. Concernant la Belgique, le gouvernement a présenté début juillet une feuille de route pour restituer à la République démocratique du Congo (RDC), son ancienne colonie, des milliers d’objets culturels acquis abusivement, particulièrement lors des violences commises sous le règne de Léopold II entre 1885 et 1908. Le processus pourrait durer plusieurs années. Julien Volper, conservateur du Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, près de Bruxelles, l’une des plus importantes collections européennes d’art africain, s’alarme d’ailleurs du «préjudice qu’il peut représenter pour les collections nationales». A César, ce qui est à César, et à l’Afrique ce qui est à l’Afrique.