En République démocratique du Congo, les autorités et la justice veulent restaurer la moralité dans la société en général, mais aussi durcir le ton contre l’homosexualité, malgré la désapprobation de certains milieux. Mais c’est loin d’être un cas isolé en Afrique, où 31 États sur 54 répriment l’homosexualité.
Après l’injonction du nouveau ministre de la Justice, Constant Mutamba, le procureur général près la Cour de cassation a instruit, le jeudi 20 juin, les magistrats pour réprimer les auteurs des actes homosexuels et d’autres pratiques devenues virales comme le sexe en groupe.
La RDC, rappelle-t-on, est un pays à prédominance catholique et pentecôtiste, mais la mesure faisant la chasse aux homosexuels n’est officiellement pas appuyée par une loi. Le ministre de la Justice avait souhaité que seuls ceux qui font l’apologie de ces pratiques sexuelles soient poursuivis. Mais le procureur général Firmin Mvonde est allé plus loin. Dans sa correspondance à tous les procureurs à travers le pays, le numéro 1 congolais des magistrats débout s’attaque aux pratiquants. Il estime que ces pratiques sexuels portent atteinte aux bonnes mœurs.
Faire triompher la loi
« La loi étant mise à l’épreuve, il sied de la faire triompher », explique-t-il, affirmant qu’il en « va de la sérénité dont le pays a besoin ». Il préconise une répression, dit-il, « plus responsable » après des actes de sommation doublés d’une campagne de sensibilisation pour éviter « d’inutiles résistances qui mettraient davantage à mal la quiétude recherchée », reconnaît-il.
Les ONG avaient déjà critiqué cette mesure alors qu’aucune loi n’incrimine l’homosexualité en RDC. Elles avaient proposé au ministre d’initier un texte avant d’instruire les magistrats.
Plusieurs sources judiciaires affirment cependant que des homosexuels et auteurs d’autres pratiques jugées déviantes ne peuvent être condamnés que pour « atteinte à la pudeur et attentat aux bonnes mœurs » à une seule condition : celle de pratiquer l’acte en public ou d’en faire l’apologie.
De nombreux pays durcissent leur législation anti-LGBT+
Le Ghana, qui vient d’adopter un projet de loi répressif contre l’homosexualité, rejoint le banc des pays africains décidés à renforcer leur arsenal juridique à l’encontre des personnes LGBT+. Le 28 février dernier, le Parlement ghanéen avait adopté un projet de loi censé promouvoir les « droits sexuels convenables et les valeurs familiales ».
Cette loi expose désormais toute personne reconnue comme appartenant à la communauté LGBT+ (à savoir lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées) à une peine allant jusqu’à trois ans de prison.
En cas de « promotion » ou « soutien » d’activités LGBT+, la sanction grimpe jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, voire dix ans s’il s’agit de « campagnes LGBT+ à destination des enfants ».
Le texte, qui doit encore être approuvé par le président Nana Akufo-Addo, est parmi l’un des plus homophobes du continent. Mais il est loin d’être le seul : sur les 61 pays du monde qui criminalisent les relations homosexuelles, la moitié sont en Afrique.
L’Ouganda dans le peloton de tête, avec une peine de prison à perpétuité
Plus grave encore, ces dernières années ont été marquées par une flambée de lois discriminatoires à l’égard des personnes LGBT+ sur le continent africain.
« On observe une tendance au durcissement des lois existantes », déplore Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
En mai 2023, c’est l’Ouganda qui s’est doté d’une loi anti-LGBT draconienne, prévoyant la prison à perpétuité pour les actes d’homosexualité, voire la peine de mort en cas de récidive. Certains pays tentent de lui emboiter le pas, comme le Kenya, qui planche sur un projet de loi similaire, ou encore la Tanzanie, où certains députés réclament la peine de mort pour les homosexuels, qui risquent déjà une peine incompressible de vingt ans.
« On l’a aussi vu au Sénégal (en 2022), avec une tentative d’adopter une loi encore plus répressive à l’égard des personnes LGBT+. Ce texte, un peu sur le même modèle que celui qui vient d’être adopté au Ghana, est d’autant plus inquiétant qu’il pourrait servir de modèle dans la région d’Afrique de l’Ouest », rappelle Samira Daoud, basée à Dakar.
31 États sur 54 répriment l’homosexualité en Afrique
En Afrique, ces pays ne font pas figure d’exception : Amnesty International dénonce une « guerre juridique homophobe ». Si certains ont récemment dépénalisé l’homosexualité, comme le Botswana (2021), le Gabon (2020) et l’Angola (2019), au total ce sont 31 États sur 54 qui répriment l’homosexualité, dont quatre jusqu’à la peine de mort. Sur le continent, seule l’Afrique du Sud, pionnière en la matière, autorise le mariage entre personnes de même sexe, depuis 2006.
Cet arsenal juridique s’accompagne de campagnes de haine et de discours homophobes répétés. Au Burundi, par exemple, le président Evariste Ndayishimiye a ainsi appelé en décembre 2023 à « lapider » les couples gays qui auraient, selon lui, « choisi le diable » et attireraient une « malédiction » nationale avec le mariage pour tous, une « pratique abominable ». « Personnellement, je pense que si on voit ce genre d’individus au Burundi, on devrait les mettre dans un stade et les lapider avec des pierres. Et ce ne serait pas un péché pour ceux qui le feront ! », a déclaré le chef d’État de ce pays majoritairement catholique.
Les violences, aussi bien verbales que physiques, envers les personnes LGBT+ sur le continent sont largement documentées. Au Cameroun, les personnes soupçonnées d’homosexualité sont arbitrairement arrêtées, battues ou menacées, selon Human Rights Watch.
Au Sénégal, la dépouille d’un homme présumé gay a même été exhumée puis brûlée en octobre dernier. Enfin, selon un rapport de l’ONU de 2020, certains sont même victimes de viols « correctifs », des violences sexuelles commises pour de prétendus objectifs de « conversion », notamment au Nigéria, au Kenya et en Afrique du Sud.
Victimes de chantage et d’extorsions, persécutés et même parfois assassinés, les homosexuels ougandais vivent un véritable calvaire depuis l’adoption de la loi. « Chaque jour, quelqu’un est attaqué, quelqu’un est maltraité, quelqu’un est expulsé de sa maison ou perd son emploi, simplement à cause de ce qu’il est, et une organisation qui le soutenait ferme ses portes parce qu’elle ne peut pas continuer à survivre », raconte Isaac Mugisha, activiste LGBT et responsable sûreté au sein du Consortium des populations clés de l’Ouganda.
« Les gens essaient autant que possible de fuir le pays parce que la loi est sévère et que les personnes qui sont connues pour être homosexuelles, et dont on sait que les zones de résidence sont ciblées, doivent se cacher ».
« Protéger la culture du pays »
Pour la présidente du Parlement ougandais, il s’agit avant tout de « protéger » la culture du pays. « L’Occident ne viendra pas gouverner l’Ouganda », avait-elle déclaré face à la pluie de critiques internationales, notamment de la part des États-Unis, qui avaient immédiatement promis des sanctions économiques.
Une motivation affichée par plusieurs pays africains, qui adoptent des lois anti-LGBT à la pelle, fondées sur l’idée que l’homosexualité est importée d’Occident. « C’est de la surenchère pour se positionner comme un pays qui tient tête à l’Occident », affirme Larissa Kojoué, chercheuse sur les questions des droits LGBT en Afrique pour Human Rights Watch.
Ces déclarations permettent ainsi de gagner les faveurs d’une opinion publique fortement divisée. « C’est une manière d’avoir l’amour des masses. Quand on va sur la question LGBT, il n’y a plus de polarisation, et on se déresponsabilise des problèmes économiques, d’accès à l’eau, à la santé… », assure Larissa Kojoué.
« Pour un responsable politique, il suffit de discriminer davantage les homosexuels et vous serez considéré comme un grand homme qui a su préserver les valeurs dites africaines », confirme Samira Daoud.
Ousmane Sonko, l’un des chefs de l’opposition au Sénégal, promettait ainsi, avant les législatives de 2022, de durcir la loi contre l’homosexualité s’il devenait président, tandis que Mahamadou Kassogué, le ministre malien de la Justice, a indiqué vouloir la sanctionner. « Malheureusement, je ne pense pas que ça va s’arrêter en Ouganda, au Ghana, au Kenya ou dans n’importe quel autre pays. C’est une vague qui va probablement balayer la plupart des pays conservateurs africains », s’alarme Isaac Mugiha.