Les choses bougent en République démocratique du Congo où le 2ème mandat du Président Félix Tshisekedi semble avoir démarré sous le signe de la responsabilisation de la Justice en vue de traquer les infractions de détournement des deniers publics.
Ainsi, à peine le nouveau ministre de la Justice en possession des clés de son bureau, il a annoncé sa première mesure, celle visant à ériger une prison spéciale pour cette catégorie des « délinquants en costume » qui écument les caisses de l’État.
« Notre justice est malade », s’était plaint une fois le chef de l’État congolais dans un message à la nation. Le ministre Constant Mutamba, l’unique membre issu de l’opposition dans le gouvernement Judith Suminwa, veut ainsi mettre un terme aux nombreuses reproches formulées en direction de l’appareil judiciaire congolais, qui s’évertue plutôt à remplir les prisons de citoyens coupables de délits mineurs, en protégeant ceux qui piochent dans le Trésor public et retardent le développement national.
Les premiers à en faire les frais sont l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi et son collègue du Développement rural François Rubota. Si ce dernier a été rapidement placé en détention, le jeudi 27 juin à la Prison centrale de Makala, en compagnie de l’homme d’affaires Mike Kasenga, ce n’était plus qu’une question de temps et de procédure pour le tout-puissant argentier Nicolas Kazadi, qui a été bel et bien auditionné par le parquet mais laissé provisoirement libre en attendant la levée de son immunité parlementaire acquise à l’issue des législatives du 20 décembre. Ce qui est déjà acquis.
La surfacturation querellée et l’avis du procureur
Les trois personnalités sont accusées d’implication dans le dossier de surfacturation de forage et de stations mobiles de traitement devant fournir de l’eau de qualité aux populations des milieux reculés à travers la RDC.
La décision judiciaire relative à la surfacturation d’un paiement obtenu en procédure d’urgence par le consortium Stever Construct du sieur Mike Kasenga concerne des stations de forages en faveur de 1 000 localités facturés à hauteur de plus de 398 millions USD.
Aussitot l’affaire révélée, M. Nicolas Kazadi, encore ministre en fonction, s’était empressé de convoquer la presse pour tenter de se dédouaner de ses responsabilités. En vain. Au contraire, il avait aggravé un peu plus encore son cas. « Ayant relevé que le coût retenu dans le contrat précité était très élevé, le ministre des Finances Nicola Kazadi avait invité le ministre du Développement Rural, François Rubota Masumbuko, à négocier avec le consortium pour revoir à la baisse ledit coût », avait écrit le procureur général Firmin Mvonde dans sa correspondance adressée au bureau de l’Assemblée nationale en vue d’étayer sa demande de levée de l’immunité.
Il précise : « Suite à des négociations intervenues entre l’entrepreneur Mike Kasenga Mulenga et le ministre François Rubota Masumbuko du Développement rural, le consortium s’est engagé à augmenter le nombre de stations d’eau à installer de 340 unités à un total de 1 340, sans diminuer le coût initial du contrat ».
Mais de l’avis du procureur, bien qu’ayant constaté la surfacturation des forages, après les négociations survantées, « le ministre des Finances Nicolas Kazadi a reconnu, au cours du briefing de presse tenu par le ministre de la Communication et médias, le mercredi 24 avril 2024, avoir payé la somme de 71 000 000 USD pour l’installation de 241 stations d’eau, soit 294 605 8 USD par forage, apparemment en l’absence de tout élément d’évaluation technique pouvant lui permettre de connaître le coût réel de chaque station d’eau ».
Un montant aussi exorbitant a l’unité, même au premier regard d’un novice, il était aisé de remarquer la supercherie. À moins de se proposer complice du méfait.
Levée de l’immunité
Le samedi 15 juin 2024, l’Assemblée nationale a autorisé l’ouverture d’une instruction judiciaire à charge de l’ancien argentier, élu député national du Kasaï oriental, soupçonné de détournement de deniers publics.
Quelques jours auparavant, une ONG, l»Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), avait déjà plaidé pour une enquête judiciaire crédible sur les conditions de passation et d’exécution de ces marchés publics. L’ACAJ avait dénoncé des « irrégularités dans le processus de passation des marchés, telles que des pratiques frauduleuses, des conflits d’intérêts ou un favoritisme flagrant ».
Mesures conservatoires
À en croire les révélations d’Africa Intelligence, les comptes bancaires au nom de Nicolas Kazadi logés dans des banques à travers la RDC ont été gelés. Le ministre des Finances du gouvernement sortant semble ainsi être lâché par le président Tshisekedi, qui a personnellement demandé à la justice de poursuivre son enquête.
Africa Intelligence révèle également que l’incriminé avait été reçu par le chef de l’État congolais la nuit du 11 mai. Confronté au numéro un de l’Inspection générale des Finances Jules Alingete, l’intéressé a échoué à convaincre le président Tshisekedi, qui a alors laissé la justice aller au bout de la procédure.
En avril dernier, alors qu’il était toujours en fonction, Nicolas Kazadi, également cadre du parti présidentiel l’UDPS, avait été débarqué nuitamment à l’aéroport de N’Djili de l’avion qui devait l’amener à Paris. Les personnes averties avaient d’emblée pressenti la déchéance et la descente aux enfers du tout-puissant argentier national. Une première dans l’échiquier politique en la RDC.
Fin juin, l’incriminé avait curieusement réussi à obtenir l’autorisation de la justice congolaise de voyager vers la France pour des raisons de soins médicaux.
Malgré la polémique suscitée par cet acte de la Cour de cassation, Nicolas Kazadi a finalement quitté le pays le 30 juin. « Il sera de retour dans quinze jours pour affronter ses juges », assurent ses proches.