« La troisième économie du monde » : c’était l’expression consacrée pour évoquer le Japon. Elle est sans doute en train de tomber en désuétude, selon les dernières projections du Fonds Monétaire International (FMI) parues début octobre.

Le produit intérieur brut (PIB) nominal (en prix courants, sans correction en fonction de l’inflation) de l’Archipel est devancé cette année par l’Allemagne. Un vrai changement d’époque : le Japon avait justement ravi la deuxième place à l’Allemagne en 1968, avant de se faire déloger à son tour par la Chine en 2010.
« Même en tenant compte de biais statistiques, notre économie n’a pas beaucoup progressé au cours des trente dernières années. En tombant de la troisième place, c’est comme si le Japon chutait du podium olympique », a commenté à la radio l’analyste Kohei Morinaga.
« Cette année, le montant des investissements devrait atteindre un niveau record. Nous lançons des politiques économiques qui nous permettront de nous remettre des 20 ou 30 dernières années », s’est défendu le ministre japonais de l’Économie Yasutoshi Nishimura.
Il est commun de dire du Japon qu’il est une puissance économique mais un nain politique. Au-delà de son caractère politiquement incorrect, cette image d’un Japon économiquement puissant mais militairement et politiquement limité semble avoir vécu. D’une part, l’archipel nippon n’est plus un pôle de ce qu’on a longtemps appelé la Triade (Ohmae, 1985) à lui tout seul, mais a été rejoint par ses voisins sud-coréen puis chinois dans la montée en puissance de l’ère régionale de l’Asie du Nord-Est.
Le modèle économique japonais connaît également une transformation durable imputable à des ruptures sociales internes lentes mais sûres, conduisant à revoir l’idée de la puissance économique florissante et prospère. D’autre part, si d’armée on ne peut véritablement parler, les forces d’auto-défense japonaises se sont rapidement modernisées et sont régulièrement déployées à l’étranger depuis le tournant historique de la guerre en Irak des années 2000.

Une vraie transformation

Les ambitions politiques du gouvernement actuel de Nakasone visent, enfin, à renforcer la place du pays dans le concert international des nations, en particulier dans son ère régionale : le Japon n’est plus la puissance muette qu’elle pouvait être il y a vingt ans.
Ces quelques considérations rapides montrent à quel point le Japon s’est transformé en une vingtaine d’années. L’image d’une puissance ambivalente et fragile reste d’actualité, mais pour de toutes autres raisons que celles qu’un imaginaire collectif resté bloqué dans les années 1980 et 1990 continue de véhiculer.
Pour pouvoir identifier les nouveaux enjeux de la fragile puissance japonaise, il convient de revenir aux fondements de ce qui constitue une puissance. Pour l’analyste Gérard Dorel, il s’agit avant tout d’un « État qui, dans le monde, se distingue non seulement par son poids territorial, démographique et économique, mais aussi par les moyens dont il dispose pour s’assurer d’une influence durable sur toute la planète en termes économiques, culturels et diplomatiques » (Dorel, 2008).
Une distinction plus générale oppose le hard power que détermine l’envergure politique et militaire d’un État, ainsi que sa capacité à maîtriser son territoire et les ressources vitales à sa pérennité, d’un côté, et le soft power constitué des sphères de l’économique, du culturel et de la démographie, de l’autre.
Si on couple l’approche en hard et en soft à celle proposée par Gérard Dorel, on se rend compte que le Japon se trouve à un moment charnière de son histoire, où les fondements de sa puissance évoluent dans des directions opposées.
En effet, le poids territorial nippon est assez réduit en termes de superficie. Ce n’est pas forcément le cas de ses ressources.

Le Japon décèle des richesses insoupçonnées

Certes, l’archipel est peu pourvu en hydrocarbures, mais il possède de l’eau en très grandes quantités, un fort potentiel énergétique renouvelable et des ressources non négligeables situées dans son immense Zone économique exclusive (ZEE) (nodules polymétalliques, poissons, algues et même hydrocarbures offshore autour d’îlots disputés avec la Chine).
Le poids démographique d’un pays est un facteur incontestable de puissance. Le Japon est très peuplé, mais la nature et les dynamiques de ce peuplement hypothèquent les perspectives de sa puissance, marqué qu’il est par le vieillissement et le déclin.
Le poids économique est lui aussi marqué du sceau de l’ambivalence. Le Japon demeure un pays particulièrement riche. Il est toutefois rattrapé par la Chine qui, en termes de PIB par habitant, reste toutefois encore très nettement derrière. L’archipel connaît depuis une quinzaine d’années une renaissance économique timide, accélérée semble-t-il par les réformes néolibérales du gouvernement actuel de Nakasone, qui tend toutefois à augmenter les disparités sociales et spatiales.
Le taux d’endettement public du pays, enfin, le plus élevé au monde (plus de 220 % du PIB) constitue une autre hypothèque à la santé économique à long terme.

Regain d’influence

Malgré ces trajectoires diverses des différents leviers de sa puissance, le Japon connaît un regain d’influence et de rayonnement dans le monde. Il ne s’agit pas seulement du déploiement de ses capacités diplomatiques et militaires : la culture japonaise ne s’est jamais autant exportée que dans les années 2010. Conséquence de cette fascination montante pour le Japon, les touristes internationaux n’ont jamais été aussi nombreux à se rendre sur l’archipel : l’objectif des 20 millions de touristes étrangers pour 2020, année des Jeux Olympiques d’été de Tokyo, a été atteint en 2015, avec cinq ans d’avance sur les objectifs gouvernementaux.
Deux thématiques ont été prises en compte dans cette analyse, en raison d’une part de leur ampleur et de leur importance dans le Japon actuel et, d’autre part, de la place que les programmes scolaires du secondaire et du supérieur leur accordent : il s’agit de la démographie (vieillissement, dépopulation, inégalité de peuplement, shrinkage) et de la renaissance urbaine des grandes métropoles en tant que pôles de rayonnement économique et culturel.

Une analyse qui balaie tous les secteurs

Bien entendu, d’autres questions tout aussi cruciales ont été abordées : le nucléaire et la catastrophe de Fukushima, la renaissance des campagnes par l’art contemporain, les « villes intelligentes », les Jeux Olympiques, la Bulle financière des années 1980-1990 et ses conséquences, la reconstruction des territoires du Nord-Est détruits par le tsunami du 11 mars 2011…
Une première partie présente les tensions et les contradictions de la géographie et de l’aménagement du territoire japonais.
Une seconde partie interroge plus en détails les fondements de la puissance économique de l’archipel, en particulier au regard des deux thèmes principaux retenus dans le dossier (démographie et métropoles), auxquels les spécialistes ont ajouté l’enjeu, socialement brûlant, du nucléaire, à cheval entre la puissance économique civile et la puissance militaire.

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