Un professeur congolais a analysé le système d’enseignement supérieur dans son pays. Pour lui, « l’enseignement supérieur détruit l’intelligence de notre jeunesse ». Une assertion qui conforte l’idée que notre enseignement est en totale inadéquation aussi bien avec nos réalités africaines que celles du 21ème siècle, dominé par l’avancée fulgurante de l’intelligence artificielle (IA). Ci-après son analyse.
Le néolibéralisme congolais
Détruit la jeune classe intellectuelle du Congo et de l’Afrique. Elle en est, en tout cas, une des victimes. Le néolibéralisme peut être facilement défini comme un mode de production dans lequel le marché a le dernier mot. Dans le contexte néolibéral, le profit est l’horizon infranchissable de l’action humaine. Ce n’est pas différent en République démocratique du Congo ou en Afrique. L’argent, ou la recherche désespérée de cet argent, est le principal moteur des institutions et des relations. Dans ce post, je voudrais me concentrer sur l’enseignement supérieur en RDC et son rôle dans la destruction de l’intelligence de la jeunesse congolaise. Les étudiants, déterminés à développer leur intellect, se rassemblent dans quatre facultés : médecine, droit, économie, communication et, dans une moindre mesure, informatique. Le point commun de toutes ces facultés est qu’elles n’enseignent pas aux Congolais ce dont ils ont absolument besoin pour vivre longtemps, heureux et en bonne santé.
L’intellect du jeune Congolais est exposé à tant de sujets qu’à la fin de ses études il ne sait rien, il ne maîtrise aucun sujet. C’est un maître encyclopédiste qui sait tout et ne sait rien. Il n’a aucune raison de penser à reconstruire sa situation de vie. Sa seule option est de quitter le pays et de vivre dans un pays plus organisé où il pourra gagner sa vie en effectuant des petits boulots, les études qu’il a effectuées au Congo n’étant d’aucune utilité à l’étranger.
En Amérique, on voit beaucoup de Congolais travailler comme chauffeurs de taxi ou infirmiers gériatriques, alors qu’ils sont diplômés en médecine. Pour eux, il vaut mieux immigrer aux États-Unis que pratiquer la médecine au Congo, dont ils ne comprennent pas les enseignements.
Il en va de même pour les juges et procureurs, qui préfèrent travailler dans un magasin ou une usine de chaussures américaine plutôt que de porter les vêtements d’un procureur congolais ou d’un juge du tribunal de grande instance.
Jetons un regard phénoménologique sur l’état actuel des facultés et, en particulier, sur la manière dont elles sont impliquées dans la destruction des jeunes intellectuels congolais.
La faculté de médecine

La médecine accepte des étudiants avec une moyenne scolaire légèrement supérieure. Au bout de quelques années, ce sont de nouvelles têtes congolaises exposées à tellement de substances qu’elles sont détruites. Ils deviennent médecins sept ans après leurs études, mais pendant ce temps ils apprennent tout et rien en même temps.
Après les années de médecine, nos brillants étudiants n’ont plus qu’à prescrire des molécules occidentales. Étant chargé de prescrire ces molécules, le rôle des médecins est d’aider les usines pharmaceutiques occidentales à écouler leurs produits. Nous formons des étudiants prescripteurs des médicaments fabriqués à l’étranger. Ils sont les alliés des colonisateurs et permettent aux pharmacies occidentales de continuer à produire des médicaments pour les Congolais.
Pourtant, la plupart de ces médicaments sont fabriqués à partir de plantes trouvées dans les forêts et les savanes congolaises. Nous n’avons pas fourni l’effort d’étudier les plantes et de comprendre leurs effets thérapeutiques, les parties du corps qu’elles affectent et leurs effets secondaires. Ces études ne font pas partie de la formation des jeunes médecins, puisque leur métier consiste à prescrire des molécules occidentales.
La Faculté de médecine est une perte nette pour la RDC. Il n’y a pas assez de ressources pour concentrer les enseignements congolais sur la biodiversité indigène et les produits forestiers non ligneux de la RDC. La solution à ce cas particulier est d’investir dans la recherche en phytothérapie et la codification d’une pharmacopée.
En général, tout enseignement supérieur nécessite moins de cours pour aider les étudiants à mieux maîtriser ce qu’ils lisent et apprennent. C’est une blague lorsqu’on dit que les spécialistes savent tout d’un rien, alors que les généralistes ne savent rien de tout.
Nous ne produisons pas seulement des généralistes, mais aussi des experts encyclopédiques. Le cerveau d’un médecin est bourré de plus de 40 cours du programme universitaire. Un système conçu pour laisser les futurs médecins sans rien, ou presque.
Mes étudiants en médecine traditionnelle m’ont attesté que ce n’est qu’après avoir absorbé la théorie et dix ans de pratique qu’ils deviennent de vrais médecins.
La faculté de droit

Les états généraux convoqués dernièrement a Kinshasa sont éloquents. Avant sa tenue, le ministre de la Justice et garde des Sceaux avait libéré plus de 1 000 détenus de la prison centrale de Makala, où ils étaient parfois pendant plus de dix ans pour des délits mineurs, tel que le vol d’un téléphones portable, au moment où les personnes qui ont détourné l’argent de l’État, volé la jeunesse et l’avenir des Congolais sont en liberté dans des bureaux climatisés.
Le système judiciaire congolais est en difficulté, reconnaissent les autorités du pays. Nous savons que les étudiants en droit sont particulièrement vulnérables à la corruption, à cause de l’exemple donné par les juges et les membres de haut rang du système judiciaire. Imaginez un instant que vous êtes un avocat dont le devoir est d’utiliser vos compétences oratoires et de logique pour défendre un client. Mais en face, votre adversaire essaie de corrompre un juge, qui est d’accord avec lui. Peu importe la matière dont vous argumentez, vous perdrez le procès.
Les étudiants en droit se préparent généralement à plusieurs années de chômage. Dans une pharmacie libanaise de la place, j’ai reconnu des diplômés en droit remplir les rayons de médicaments.
Les facultés de droit du Congo forment les étudiants au Droit congolais, mais elles ne s’attaquent pas aux plus grands obstacles auxquels les futurs avocats seront confrontés : la corruption et la faible rémunération des juges. Pour survivre, ces derniers sont contraints de considérer les justiciables comme des vaches à lait. Dans le jargon des magistrats, on fait référence à la « tête ». « Il y a deux têtes à la prison centrale de Kenge », a déclaré le juge. Ce qui signifie que ces deux justiciables lui fourniraient des fonds pour leur libération.
Il n’est pas impossible d’entendre en public des discours diamétralement opposés de deux avocats exceptionnels, et on ne sait plus vraiment ce que l’on enseigne à nos étudiants dans les facultés. Le mensonge et la corruption deviennent la norme. Ainsi, il nous avait été annoncé avec assurance que l’ancien Premier ministre n’avait pas de juge naturel. On apprend peu de temps après qu’il était un justiciable comme les autres. Les juristes congolais nous ont habitué a des prononcements antithétiques.
La faculté d’économie

Cette faculté est la plus paradoxale à mon sens, car elle est censée être une faculté qui produit des analyses de la baisse du taux de profit mais ne le fait pas. Je ne vois vraiment pas à quoi elle sert dans la vie de tous les jours. La baisse du taux de profit est la force motrice de tout comportement capitaliste. Le cancer du capital est une baisse des marges bénéficiaires. Dans le capitalisme, mode de production existant, les profits doivent toujours être positifs. Car tel est l’horizon infranchissable de l’activité humaine.
Cependant, le capitalisme implique une baisse continue des profits, car les machines remplacent souvent les humains, qui seuls génèrent des profits.
Tout au long de l’histoire, la guerre et la colonisation ont été un moyen pour le capital d’augmenter son taux de profit. La Faculté des sciences économiques n’a pas cette idée. La finance, le marketing ou la publicité sont le résultat de compétences limitées car ils ne produisent rien mais gèrent ce qui existe.
Les familles congolaises ne fonctionnent pas selon l’économie qu’elles ont apprise à l’école. Oikia, maison-propriété d’Aristote, ne fait pas partie des plans des soi-disant économistes congolais.
La faculté de Communication

Disons en bref que les compétences en communication sont un véritable passe-temps et le plus grand tueur des intelligences congolaises. On n’y apprend rien qui puisse aider à changer notre pays. Il n’y a pas d’industrie journalistique au Congo, d’où la grande pauvreté des journalistes. Il y a près de 50 matières inutiles ou en double à la Faculté de Communication. On continue ainsi pour exploiter les étudiants et détruire leur intelligence en même temps, car une personne ne peut pas se concentrer et maîtriser plus de quatre matières par semestre. Certaines universités privées parlent de professeurs assis et des professeurs debout. Ces derniers dispensent des cours, tandis que les premiers sont assis dans leurs bureaux à percevoir l’argent des cours enseignés par des assistants. Ce système est simplement de la mafia.
Trop de cours a pour conséquence de détruire l’intelligence de notre jeunesse. Saturer les neurones d’un étudiant avec trop de cours est donc le moyen le plus sûr de détruire son intelligence.
Nous avons besoin de personnes courageuses pour transformer notre système éducatif en un système qui produira les compétences dont notre pays a besoin, des personnes intègres et, par-dessus tout, des individus qui peuvent aider à construire le Congo. Les Chinois travaillent dur pour former des ingénieurs, et les Américains font de même avec les avocats pour améliorer leur niveau de vie. Sans le courage de transformer notre système universitaire, notre nation sera privée de l’intelligence nécessaire pour échapper à la destruction structurelle à laquelle nous sommes confrontés. Et nos jeunes intelligents iront prospérer à l’étranger.