D’après le dernier rapport de 296 pages produit par des experts de l’ONU soumis au Conseil de Sécurité en juin 2024, l’implication du Rwanda dans la guerre contre la République démocratique du Congo prend des proportions de plus en plus importantes. Au point que bientôt elle passera du statut de guerre larvée à celui de guerre ouverte entre les deux pays.
Le soutien de Kagame au M-23 est bien réel et n’a rien de nouveau et ce depuis la fondation de ce mouvement terroriste le 6 mai 2012. Formé majoritairement de des Tutsi anciens du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), c’est entre 2012 et 2013, avec le soutien logistique du Rwanda, qu’il commence à devenir un acteur clé à l’Est du Congo et un agent déstabilisateur pour l’ensemble du pays.
Durant cette période, il s’empare de Goma et de nombre de territoires du Nord-Kivu jusqu’à ce qu’il soit contraint, sous la pression de la communauté internationale et suite à un accord conclu via la médiation des pays des Grands Lacs de quitter la ville et d’entamer des négociations avec le gouvernement congolais. Ce dialogue, dont on constate vite l’échec, conduit finalement à une action militaire conjointe des FARDC et de l’ONU à l’automne 2013 pour vaincre le M23, entraînant la fuite des combattants vers le Rwanda et l’Ouganda.
Vaincu, le M23 décide de rendre les armes et de mettre définitivement un terme à la rébellion le 5 novembre 2013. Ses troupes sont désarmées et transférées dans des camps en Ouganda et, le 12 décembre, un accord de paix est signé à Nairobi mettant officiellement fin à la rébellion.
Pendant plus ou moins 10 ans, le M23 est resté un « agent dormant » des ambitions de Kagame jusqu’à la fin de l’année 2021, lorsque le groupe renouvèle ses attaques. En mars 2022, il prend le contrôle de vastes parties du territoire de Rutshuru, puis enchaîne avec le raid sur la base militaire de Rumangabo en mai 2022 et la prise de la ville frontalière de Bunagana en juin.
La première attaque a permis au M23 de mettre la main sur un stock d’armes de qualité, la seconde opération a permis au M23 d’augmenter son volume de revenus grâce à la taxation illégale du commerce frontalier. Fin novembre 2022, le M23 s’est également emparé des groupements stratégiques de Kibumba et Buhumba, dans le territoire de Rutshuru.

Les leçons de l’Histoire

Ce gain de territoire leur a donné la possibilité de couper la Route nationale 2, un des axes majeurs d’accès à Goma, leur permettant de contrôler les approvisionnements de la ville, première étape d’une reconquête de la ville.Aujourd’hui les combats font rage dans l’ensemble du Kivu. D’un côté les FARDC (Forces armées de la République démocratiques du Congo) et leurs supplétifs du groupe d’autodéfense les Wazalendo, de l’autre le M23 soutenu militairement principalement par le Rwanda mais également par l’Ouganda qui profite du marasme et de l’instabilité de la sous-région pour avancer ses pions et procéder à des modifications de frontières en sa faveur entre autres.
La recrudescence des combats et l’avancée du M23 se sont aussi concrétisées par une nouvelle alliance avec l’AFC (Alliance du Fleuve Congo) de Corneille Nangaa, qui vient de conquérir Kanyabayonga, verrou clé pour la route du Nord-Kivu vers Butembo et Béni.
On dit souvent que l’histoire ne se répète pas mais dans le cas de la RDC, c’est hélas le cas. Le Rwanda souhaite un Congo affaibli et à sa botte. En novembre 1995, lors de la réunion à la Maison Blanche entre Anthony Lake, le National Security advisor du président Clinton, William Thom en charge de l’Afrique à la DIA, Richard Orth également DIA, Dan Simpson, nouvel ambassadeur des États-Unis au Zaïre, Shawn McCormick du National Security Council, le sort du Maréchal Mobutu fut scellé. Considéré comme n’étant plus le principal allié fiable des USA pour l’Afrique centrale, il fut décidé de le remplacer par Kigali comme pièce maitresse du dispositif américain dans la sous-région. Le Rwanda devenant alors le gendarme de la région et le faiseur de roi pour les américains.
À l’automne 1996, quand la rébellion de l’AFDL se met en route avec le soutien des États-Unis et du Rwanda pour renverser Mobutu, il y a quatre dirigeants dont Laurent-Désiré Kabila qui est le moins visible. Décrit par Che Guevara dans son journal sur ses expériences dans le maquis congolais comme un « noceur aimant trop les femmes et l’alcool », Mzee Kabila est considéré comme le moins important des leaders quand l’AFDL est formé à l’automne 1996. Cependant, suite à l’assassinat en janvier 1997 du général Kisase Ngandu, tombé dans une embuscade commanditée par le Rwanda car il refusait le oukase du président Kagame, Kabila cède à toutes les exigences du Rwanda : mainmise sur les ressources minières de l’Est et massacre libre des Hutus réfugiés, afin de devenir président.
Au bout d’un an de pouvoir, Kabila renonce à tous ses engagements auprès de ses sponsors rwandais et ougandais. Se sentant trahis par leur protégé, les deux pays tentent de renverser Kabila, chacun sponsorisant un ou plusieurs groupes rebelles. Ce sera la 1ère guerre mondiale africaine de 1998 à 2003, impliquant neuf pays et permettant ainsi au cycle de violence du Congo, débuté en 1996, de perdurer jusqu’à aujourd’hui. Faisant de l’Est un chaudron de guerres, de massacres et de génocide, de rébellions, de milices et de groupes armés. Un Congo faible est la certitude pour ses voisins de pouvoir le piller, le dominer et ainsi accroître leurs richesses.

Malgré son Global reach, le terrain de chasse préféré de Kagame reste la RDC

Le Rwanda est devenu au fil des années un des seuls pays africains qui dispose d’un réel « Global Reach » selon les termes de Stephen Ambrose. C’est-à-dire qui a une réelle capacité de projeter sa puissance militaire et économique et d’agrandir sa zone d’influence. Deux exemples flagrants illustrent cette réalité. En Centrafrique, l’influence croissante du Rwanda est bien présente. Non seulement de par le fait qu’il est le principal fournisseur de casques bleus de la Minusca, mais également parce que Kigali a envoyé des troupes suite à un accord bilatéral pour combattre les rebelles et stabiliser les institutions. De plus, le Rwanda devient un partenaire économique d’importance en s’emparant de concessions minières et investissant dans le domaine agricole.
Au Mozambique, où depuis 2021 plus de 2 000 soldats rwandais protègent les installations gazières du groupe Total et combattent les islamistes d’Ansar Al Sunnah, membre de l’ISCAP (Province de l’État islamique en Afrique centrale). L’efficacité des troupes de Kigali a permis la récupération des territoires perdus par le gouvernement mozambicain. Cependant, l’insurrection a repris son offensive et fait un retour en force. De ce fait, le Rwanda vient de décider d’envoyer 2 500 hommes supplémentaires et bénéficie du soutien financier de la Commission européenne à hauteur de 21,3 millions d’euros. Profitant de leur « position » dominatrice au niveau du Cabo Delgado, les Rwandais récoltent nombre de contrats dans les domaines de la sécurité, des mines et de l’immobilier.
Cependant, le terrain de chasse préféré du Bismarck d’Afrique centrale, Paul Kagame, reste et demeure la République démocratique du Congo, changeant ses alliances au gré des retournements politiques et géopolitiques afin de pouvoir poursuivre l’exploitation de l’Est. Tant que les président et gouvernement congolais sont dociles et laissent le Rwanda piller les richesses et gérer la sécurité, les relations sont au beau fixe. Dans le cas contraire, Kagame pousse ses pions – le M23 principalement aujourd’hui – et déstabilise le Congo et l’ensemble de la sous-région.
En dehors du contrôle des richesses minières, il ne s’agit plus d’une simple déstabilisation. En permettant dans un premier temps la jonction entre le M23 et l’Alliance du Fleuve Congo, puis dans un deuxième temps en positionnant de nouvelles troupes des Forces armées rwandaises, Kagame démontre que son objectif final est sans nul doute l’affaiblissement et le renversement du président Tshisekedi.
En effet, selon le rapport des experts de l’ONU qui va être publié, le Rwanda a déployé plus de 4 000 hommes, soit une force supérieure au 3 000 combattants du M23. Il les a placés dans des « positions militaires clés » avec des armes de haute technologie, ce compris dans les collines de la ville stratégique de Sake à 25 km de Goma. Les soldats rwandais participant directement aux combats ayant permis d’encercler Goma, avec le M23 qui en fait le siège et attend tranquillement que le « fruit mûr » tombe.
Selon une note interne de la DIA, l’objectif final de Kagame, si le pouvoir congolais ne se plie pas à ces exigences, est d’appuyer la prise de pouvoir de l’Alliance du Fleuve Congo (AFC) en partenariat avec le M23, ce afin de totalement contrôler le nouveau régime s’il parvient à l’installer. Le State Department et la Maison Blanche ne se gènent plus pour condamner les agissements du Rwanda au Congo et dénoncer son implication réelle sur le terrain ; mais le fait que le Pentagone continue d’être le meilleur soutien politique et militaire de Kagame permet à celui-ci de poursuivre ses objectifs et, comme Bismarck, toujours avoir cinq fers au feu pour préserver ses intérêts et ceux du Rwanda. Et peu importe si des milliers de Congolais doivent mourir.

Max Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’Expansion et d’Hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique subsaharienne »

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