Le lundi 4 octobre 2021, le monde des réseaux sociaux a connu l’une de ses journées les plus sombres. En effet, Facebook et ses produits, à savoir Instagram et WhatsApp, ont fait face à une importante panne sur leurs serveurs.
L’une des conséquences du désagrément a été la perte par la firme de plus de 7 milliards de dollars en moins de 7 heures. Ce qui a plongé l’économie mondiale dans le désarroi. Cette panne a été ressentie à travers la planète, jusqu’en Afrique où ses conséquences ont notamment influé sur les transactions financières.
Si le géant du numérique a avoisiné 7 milliards de dollars (environ 6 milliards d’euros) de perte en quelques heures en Bourse, en Afrique, les conséquences économiques ont été souvent lourdes pour les entrepreneurs, dont les affaires dépendent largement de ces différentes plateformes, tel que l’a montré France 24 qui a réalisé un appel des téléspectateurs pour recueillir les différentes réactions à l’issue du phénomène.
À Tshikapa, dans la province du Kasai, dans le centre de la République démocratique du Congo par exemple, John Batshuay, gérant d’une quincaillerie, a vu son chiffre d’affaires baisser de 30 % sur la journée, alors que WhatsApp ne répondait plus en début d’après-midi. Il confie être passé d’un chiffre d’affaires de 3 000 à 2 000 dollars dans la seule journée du 4 octobre 2021.
« Nous avons été très affectés hier par la panne sur WhatsApp. Nous avons trois points de vente et c’est par cette messagerie que nous échangeons le plus souvent entre employés pour gérer les ruptures de stock. Cela arrive très souvent qu’un magasin n’ait plus dans son stock les articles demandés par les clients. Il faut donc faire appel aux deux autres pour voir s’ils en disposent à leur niveau. Auquel cas, on peut rediriger le client vers les boutiques concernées. Et tout se fait par WhatsApp parce que les unités de communication mobiles ici coûtent très cher ».
Même son de cloche du côté de Dakar
Le même désagrément est advenu à Dakar, au Sénégal, où Papa Mamadou Diouf gère une boutique en ligne sur Facebook et sur Instagram. La panne lui a fait comprendre sa grande dépendance aux réseaux sociaux.
« Hier (NDLR: mardi 4 octobre 2021), c’était une journée sombre. Nous faisons habituellement un chiffre d’affaires de 300 000 francs CFA (environ 450 euros) essentiellement avec notre boutique en ligne sur Facebook. Nous avons eu seulement 50 000 francs (environ 75 euros) de commande à livrer aujourd’hui. Bien qu’on ait un magasin phyique, nous vendons exclusivement sur les réseaux sociaux: des produits cosmétiques pour les femmes, des vêtements, des chaussures, des produits tech ou multimédia.
À partir de 15 h, on n’avait plus de réactions sur nos pages Instagram et Facebook et on ne recevait plus de messages sur nos comptes WhatsApp. Or, nous dépensons jusqu’à 800 000 francs CFA (1 200 euros) par mois pour sponsoriser nos pages. C’est dire à quel point notre business dépend des plateformes de Facebook.
Nous pensons déjà à d’autres options. Comme développer une communauté sur Snapchat ou orienter nos clients vers notre site internet. Mais c’est difficile parce que les Sénégalais n’ont pas la culture du commerce en ligne ». Il ajoute: « J’ai aimé car ça m’a rappelé les bons souvenirs de l’enfance quand il n’y avait ni Internet ni réseaux sociaux ».
Toutefois, la panne mondiale de Facebook n’a pas fait que des malheureux. Certaines personnes se sont réjouies de l’absence pendant quelques heures des réseaux sociaux, à l’instar de Moise, habitant de Kinshasa, en République démocratique du Congo, qui a pu savourer un temps de liberté.
Le profit au détriment de la sécurité
En toile de fond de cette panne, il faut relever les critiques formulées contre le réseau social. Son ancienne directrice chargée des produits, Frances Haugen, a dressé à ce propos un véritable réquisitoire contre Facebook et son patron devant le Sénat américain, le 5 octobre.
Au fil de son témoignage et des questions des sénateurs, elle a déroulé de façon implacable les contradictions et les turpitudes des dirigeants de Facebook, qui « financent leurs profits avec notre sûreté », selon elle. « Un catalyseur », voilà comment un élu a décrit la lanceuse d’alerte Frances Haugen, dont l’exposé a écorné mardi l’image de Facebook au point de pousser le Congrès à promettre de mieux réguler le géant californien.
« Banqueroute morale », « spirale », l’ingénieure informatique de 37 ans a décrit, avec calme et précision, la situation d’une entreprise qui a renoncé, selon elle, à quelques principes moraux au nom du profit. « Vous avez été un catalyseur pour le changement comme je n’en ai encore jamais vu et je travaille sur ces sujets depuis 10 ou 15 ans », a commenté le sénateur démocrate Richard Blumenthal lors de l’audition de l’ancienne employée de Facebook par la commission au Commerce du Sénat.
Visage de la rébellion
Le visage de cette trentenaire, encore inconnue il y a peu, informaticienne parmi d’autres à la carrière réussie mais loin des cercles dirigeants de Facebook, a fait le tour du monde. Elle incarne aujourd’hui, au moins pour quelques jours, la rébellion contre la toute-puissance des géants de la tech.
« Je sais que Facebook a les ressources et potentiellement la motivation pour ruiner mon existence, mais je l’accepte parce que je sais que je suis en accord avec mes valeurs et ce en quoi je crois », a lancé cette diplômée de Harvard dans une vidéo mise en ligne au lendemain de sa déposition au Sénat américain.
« Vous êtes une héroïne du 21ème siècle, qui a averti notre pays des dangers que courent notre jeunesse et notre démocratie », a pour sa part salué solennellement le sénateur démocrate Ed Markey en réconfort. Et d’assurer: « Notre Nation vous est reconnaissante. »
« Agir maintenant »
« Nous avons encore le temps d’agir. Mais il faut le faire maintenant », a exhorté Frances Haugen, qui a quitté Facebook en mai dernier après deux ans passés au sein de l’entreprise. Au fil de son témoignage et des questions des sénateurs, elle a déroulé de façon implacable les contradictions et les turpitudes des dirigeants de Facebook.
Parmi les dérives du groupe, selon elle, figurent les méthodes qui poussent les adolescents à utiliser Instagram à haute dose, au point de sombrer parfois dans l’addiction. Frances Haugen a décerné une mention spéciale à Mark Zuckerberg, co-fondateur et patron du groupe Facebook. Plusieurs sénateurs ont d’ailleurs invité celui-ci à venir répondre à leurs questions.
« Il n’y a pas d’entreprise aussi puissante qui soit contrôlée de manière aussi unilatérale. Donc au final, la responsabilité revient à Mark. Et il ne rend des comptes à personne. Mark Zuckerberg est, dans les faits, le concepteur en chef des algorithmes », a assuré l’ingénieure.
M. Zuckerberg s’est défendu peu après l’audition, dans une longue publication sur sa page Facebook. « Au cœur de ces accusations réside l’idée que nous privilégions les profits plutôt que la sécurité et le bien-être. Ce n’est tout simplement pas vrai », écrit-il.
Reprenant de nombreux points du témoignage de la lanceuse d’alerte qui a dénoncé l’indifférence de Facebook aux études montrant l’influence toxique des réseaux sociaux du groupe sur les adolescents, M. Zuckerberg a rétorqué: « Si nous voulions ignorer la recherche, pourquoi créerions-nous un programme d’études de pointe pour comprendre ces problèmes importants ? Si nous ne nous soucions pas de lutter contre les contenus préjudiciables, pourquoi embaucherions-nous autant de personnes qui s’y consacrent ? ».
La polémique est néanmoins lancée sur les avantages et les inconvénients des réseaux sociaux. Aussi, il revient à chacun de tirer les leçons du désagrément causé par la panne géante de Facebook.