Le 24 août 2023, les ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso et du Mali ainsi que le numéro deux de la diplomatie algérienne se sont rendus à Niamey pour réitérer leur solidarité avec les Nigériens, après les menaces brandies par la Cédéao quant à une intervention militaire.
Le point.
Plusieurs visites ont eu lieu à Niamey le 24 août 2023. Des visites des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso et du Mali, mais aussi du numéro deux de la diplomatie algérienne. Les deux ministres malien et burkinabè, Abdoulaye Diop et Olivia Ragnaghnewendé Rouamba, ont été rejoints par le ministre des Affaires étrangères Bakary Yaou Sangaré, désigné par le nouveau pouvoir en place à Niamey depuis le coup d’État du 26 juillet qui a renversé le président Mohamed Bazoum.
Le Burkina Faso et le Mali ont répété leur solidarité face aux sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qualifiées d’illégales, illégitimes et inhumaines. Des sanctions, ont-ils dit, qui sont en violation des textes de ces institutions.
Les trois parties ont affirmé la nécessité de renforcer la coopération sur les plans politique, économique, scientifique et culturel et ils ont convenu de tenir des commissions tripartites de coopération.
Sur le plan sécuritaire, il faut d’abord relever la volonté affirmée de mutualiser les moyens dans la lutte contre le terrorisme, ensuite l’annonce de la signature de deux ordonnances par le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte nigérienne. Deux textes qui autorisent les forces de défense et de sécurité du Burkina Faso et du Mali à intervenir en territoire nigérien en cas d’agression, sous-entendu en cas d’opération militaire de la Cédéao.
L’Algérie appelle à nouveau à privilégier la « négociation »
Par ailleurs, le même jour, Lounès Magramane, le numéro deux de la diplomatie algérienne, s’est rendu à Niamey. Selon la Radio nationale nigérienne, il a appelé à privilégier la « négociation », indiquant qu’« une intervention au Niger aura des conséquences naturellement désastreuses, non seulement sur le Niger mais aussi sur tous les pays de la région ».
À noter également que le ministre des Affaires étrangères d’Algérie a rencontré, le 25 août à Cotonou, son homologue du Bénin Olushegun Bakari pendant plus d’une heure.
Ahmed Attaf est en tournée dans la région pour convaincre des pays membres de la Cédéao de renoncer à l’intervention militaire et de privilégier « la solution politique ».
Devant la presse, le ministre algérien a expliqué pourquoi son pays s’oppose à une intervention militaire : « Le recours à la force a toujours été un élément de complication et non de solution. Laissons le temps politique emprunter ses voies, utiliser ses ressources. Qui sait ? », a lancé Ahmed Attaf.
Une position qui ne signifie que l’Algérie valide le coup d’État militaire du général Abdourahamane Tiani : « Le principe du refus et du rejet du changement anticonstitutionnel tient particulièrement à cœur à l’Algérie. Et nous ne pouvons que la réaffirmer avec force au vu de la crise au Niger, qui est une crise conséquente à un changement anticonstitutionnel. »
Le Benin soutient la Cédéao
Le Bénin n’a pas varié dans sa position. Le pays est très engagé dans les résolutions de la Cédéao, que ce soit le dialogue ou l’option militaire. Le ministre des Affaires étrangères Oleshegoun Bakar a tenu à « rappeler notre volonté à un retour à l’ordre constitutionnel au Niger et le ministre Attaf a été très clair là-dessus. Si ce transfert ne se fait pas le plus rapidement possible, tous les autres moyens pourront être utilisés. »
Le chef de la diplomatie algérienne a expliqué: « Nous explorons une voie politique, nous l’explorons dans toute sa complexité », au sujet de Niamey. Après Cotonou, Ahmed Attaf a rencontré le président ghanéen à Accra, dernière étape de sa tournée.
À noter que, dans le même temps, les militaires au pouvoir ont nommé 41 nouveaux préfets, pour mieux prendre en charge, dit-elle, les questions de défense et de sécurité des localités confrontées au banditisme armé et au terrorisme. Pour la première fois au Niger, qui compte 63 préfectures et huit régions, tous les préfets nommés sont des militaires.
Le Mali et la Russie appellent à un règlement «uniquement pacifique» de la crise
Une réunion militaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) était convoquée les 17 et 18 août au Ghana, pour évoquer une possible intervention armée au Niger et rétablir le président Mohamed Bazoum renversé par un coup d’État. Cette réunion se tenait après celle d’Abuja, siège de la Cédéao, sans arriver à une décision définitive de sortie de crise.
En attendant, la Russie et le Mali ont appelé, le 15 août, par la voix de leurs présidents, à une résolution de la crise « uniquement par des moyens pacifiques politico-diplomatiques ».
Un échange téléphonique Moscou-Bamako a eu lieu « à l’initiative malienne », a précisé le service de presse du Kremlin. Dans un communiqué, ce dernier a indiqué que les présidents russe Vladimir Poutine et malien Assimi Goïta ont « souligné l’importance de régler la situation autour de la République du Niger uniquement par des moyens pacifiques politico-diplomatiques ».
Quelques heures plus tard à peine, lors de la 11ème conférence sur la sécurité internationale près de Moscou – un rendez-vous organisé par l’armée russe –, le ministre malien de la Défense s’est montré bien plus direct. Sans la nommer, mais dans une remarque transparente, Sadio Camara a sévèrement critiqué la Cédéao : « L’incurie des organisations régionales, incapables de trouver des solutions, mais promptes à condamner, menacer, sanctionner, voire attaquer militairement les peuples libres, engendre la création de nouvelles formes d’alliances basées sur la perception d’une communauté de destins et prête à se structurer et concurrencer l’architecture existante. »
Moins de trois semaines après le sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, cette conférence sur la sécurité internationale a accueilli officiellement plus de 800 invités venus de 76 pays, mais aucune délégation militaire issue d’un pays occidental.
Impossible consensus au sein de la Cédéao pour l’option militaire
Une session extraordinaire – virtuelle – du Parlement de la Cédéao s’est tenu le 12 août. Elle a mis en évidence l’opposition de nombreux représentants de cet organe consultatif à une possible intervention militaire au Niger. Le parlement de la Cédéao, composé de politiciens issus des différents États membres de la Cédéao, souhaite organiser une nouvelle mission de médiation à Niamey.
Vingt-trois membres de ce parlement, qui compte 115 sièges, ont pris part aux discussions virtuelles lors de cette session extraordinaire. La majorité d’entre eux s’est dite opposée à une intervention militaire au Niger, d’où sont originaires certains parlementaires.
Le Nigérien Amadou Ali Djibo a notamment souligné que les sanctions imposées actuellement à son pays ont déjà conduit à la fermeture de nombreuses écoles et qu’une guerre aurait des conséquences délétères sur la vie des plus vulnérables.
De son côté, Mohammed Ali Ndume, un sénateur du Nord-est du Nigeria, a estimé que son pays ne pourrait pas partir en guerre sans l’approbation non seulement de l’Assemblée nationale, mais aussi du Conseil de sécurité de l’ONU.
À l’issue de cette rencontre virtuelle, les représentants du parlement de la Cédéao n’ont pas signé de résolution mais sont tombés d’accord sur l’idée de mettre sur pied une délégation pour tenter de poursuivre les négociations entre la Cédéao et les membres du pouvoir militaire au pouvoir à Niamey.
Les modalités d’une telle médiation doivent être discutées, au plus vite, avec le chef de la Cédéao, le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu. Cette nouvelle initiative a pour avantage de réunir des représentants originaires des différents pays impliqués.
D’autres initiatives pour renouer le dialogue
« Rétablissez l’ordre constitutionnel et tout deviendra possible » : c’est le message qui doit être porté ce dimanche aux nouvelles autorités nigériennes par un autre canal, celui d’un richissime homme d’affaires de la sous-région. La diplomatie américaine s’active également. Un diplomate des États-Unis pourrait effectuer un déplacement à Niamey.
Autre intervenant, le Togo. Le président Faure Gnassingbé était présent lors du dernier huis clos d’Abuja et comme souvent, il a parlé peu selon des sources, pas du tout selon d’autres. Mais on sait que le Togo fait partie des rares pays qui jouent à fond la carte du dialogue et de la négociation pour trouver une issue à la crise. Lomé aurait parlé au moins deux fois avec les militaires au pouvoir à Niamey. Parmi les demandes formulées : la libération du président Mohamed Bazoum et l’ouverture de négociations sincères pour la suite du processus.
Un interlocuteur, au fait du dossier, ajoute : les Togolais ne sont pas pour une intervention militaire, mais pour des négociations, pour aller de l’avant.
Discussions «difficiles» entre membres du Conseil paix et sécurité de l’UA
Le Conseil paix et sécurité (CPS) de l’Union africaine a également tenu une réunion à Addis-Abeba le 14 août 2023. La question des sanctions décidées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) contre le Niger n’a pas fait consensus au sein du CPS, ont expliqué des diplomates.
Une réunion « difficile », « très franche » et « très longue », confie une source diplomatique africaine qui y voit le signe d’une prise de conscience des États membres d’une situation inédite.
« Il y a eu six coups d’État en moins de trois ans » sur le continent, rappelle cette source. Conséquence : « Nous sommes face à une réalité à laquelle nos textes continentaux ne correspondent plus » et les séances du Conseil paix et sécurité, dit-elle, deviennent de plus en plus « difficiles ».
Selon la même source, le cœur des débats a porté sur le positionnement de l’Union africaine par rapport aux décisions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). « Certains, au sein du Conseil, ont souhaité pouvoir émettre des réserves et demander des clarifications dans la séquence qui pourrait conduire » à l’option militaire envisagée par la Cédéao.
De son côté, un autre diplomate africain, qui a participé à la réunion, affirme que les pays d’Afrique australe et d’Afrique du Nord étaient « vent debout contre toute intervention militaire ». Les pays d’Afrique centrale, toujours selon cette source, ont, eux aussi, exprimé leur désaccord.
À l’issue de la réunion, le texte du communiqué est entré dans une « procédure de silence », selon un diplomate. Les pays membres du Conseil paix et sécurité négociaient depuis le 14 août ses termes exacts. Car il s’agit d’un document qui « nous engage collectivement », a tenu à rappeler notre source.
L’ambassadeur de France prié de quitter le Niger
Le régime militaire a par ailleurs ordonné le départ de l’ambassadeur de France. Un mois jour pour jour après le coup d’État militaire contre le président Mohamed Bazoum, le bras de fer se poursuit entre Niamey et Paris. Vendredi 25 août, les militaires ont donné 48 heures à l’ambassadeur de France pour quitter le pays, dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères du Niger. Des fausses nouvelles ont ensuite été propagées autour d’une expulsion de représentants d’autres pays.
Dans un communiqué publié le 25 août au soir, le régime militaire avance une première raison pour expulser le représentant français à Niamey : l’ambassadeur de France Sylvain Itté a refusé de répondre à un entretien organisé le même jour à l’initiative du ministère nigérien des Affaires étrangères, assurent les autorités militaires.
Dans ce même communiqué sont pointés « d’autres agissements du gouvernement français », qu’ils qualifient, sans les nommer, de « contraires aux intérêts du Niger ».
Paris fait de la résistance
Le Quai d’Orsay a réagi peu après cette annonce, en rejetant la demande de départ de son ambassadeur. Selon le ministère français des Affaires étrangères, « les putschistes n’ont pas autorité pour faire cette demande, l’agrément de l’ambassadeur émanant des seules autorités légitimes nigériennes élues », celles du président Mohamed Bazoum, renversé la 26 juillet.
Une position partagée par Hassoumi Massoudou, chef de la diplomatie de M. Bazoum, qui sur X (ex-Twitter), « rappelle que l’ambassadeur est accrédité auprès du président élu ».
Depuis le début de la crise au Niger, Paris continue d’affirmer reconnaître comme seul pouvoir légitime le président démocratiquement élu. Cette posture avait déjà conduit la France à rejeter début août la dénonciation par le CNSP des accords militaires conclus entre Niamey et Paris.
De fausses lettres sur le départ d’autres ambassadeurs
Des lettres donnant 48 heures à d’autres ambassadeurs que l’ambassadeur de France pour quitter le Niger avaient été publiées dans la foulée, avant d’être déclarées fausses, notamment par le ministère nigérien des Affaires étrangères.
Le 25 août, alors que la nuit n’a toujours pas enveloppé la ville de Niamey, une note verbale du ministère des Affaires étrangères est publiée. Le Niger donne 48 h à l’Ambassadeur de France pour quitter le pays. Les agences de presse et d’autres médias ont reçu copie de la lettre. L’expéditeur : la branche du CNSP qui a l’habitude de communiquer avec la presse. Quelques instants plus tard, par le même canal, des lettres annoncent la demande de départ d’autres diplomates, les ambassadeurs d’Allemagne, des États-Unis, de Côte d’Ivoire et du Nigeria.
Quelques dizaines de minutes plus tard, rétropédalage. Sur les réseaux sociaux, le compte connu pour être très proche du nouveau pouvoir parle de fausse nouvelle en ce qui concerne les quatre derniers courriers.
La source des journalistes au sein du pouvoir n’est plus joignable un moment. Elle revient et se dit « désolée » de ne considérer que, comme vraie, la lettre comminatoire adressée à l’ambassadeur de France.
Le numéro 2 du ministère nigérien des Affaires étrangères dit la même chose à des interlocuteurs. Si certains parlent de simple cafouillage, d’autres vont plus loin jusqu’à voir des dissensions au sein du nouveau pouvoir. « Le plus important est la clarification apportée », répond un diplomate nigérien.