Depuis la nuit des temps, les mercenaires, soldats professionnels combattant contre espèces sonnantes et trébuchantes ont participé à nombre de conflits et à la construction et/ou destruction de royaumes, d’empires et d’États. Des cités-États grecques, en passant par la Rome antique, les grandes compagnies de la Guerre de Cent ans, puis les cités-États italiennes de la Renaissance, les « affreux » des guerres coloniales des années 60 et maintenant les PMC (Private military companies), on assiste à leur retour en force sur la scène internationale.

Serge Reggiani, l’immense artiste franco-italien chantait en 1968 « Les affreux », une ode moqueuse contre la guerre célébrant les aventures d’un Français de Montreuil parti combattre au Katanga. Les paroles de la chanson sont édifiantes : « …..Est reparti soldat aux sources du pactole qui coulent au Katanga… ».
Le mercenaire au cours des siècles a bénéficié de multiples réputations, faiseur de rois, meilleur combattant professionnel, tueur, violeur, déloyal, massacreur et vendant son âme au plus offrant, seulement attiré par l’appât du gain.
Les mercenaires existent dans la réalité politico-militaire et dans l’imaginaire depuis l’Antiquité. Permettant à ceux qui les engageaient soit de se défendre, soit d’étendre leurs territoires ou simplement de renverser une cité ou un empire rival.
À cette époque, il n’y a pas un empire ou une cité comme Carthage pendant les guerres puniques qui n’utilise leur service. Les mercenaires sont soit Celtes, Ibères ou Parthes dans l’Empire romain. Du côté des cités grecques, les hoplites mercenaires permettent à celles-ci de renforcer leurs effectifs avec des vrais professionnels et de compenser le manque d’expérience de leurs soldats-citoyens.
Cependant, le poids financier de ces recrutements pèse lourdement sur les finances des cités, surtout que l’on n’est jamais certain de la fidélité de ces forces auxiliaires si les caisses deviennent vides.
Dans la foulée, les grandes compagnies de mercenaires entre le XIIème et le XIVème siècle, entre autres pendant la Guerre de cent ans, se vendent au plus offrant. On les appelle les « Routiers », car appartenant à une route, ce qui veut dire une troupe armée, en ancien français.
Ces mercenaires extrêmement organisés, efficaces et mobiles constituent un facteur décisif dans nombre de batailles. Que ce soit Henri II ou Jean sans Terre d’Angleterre ou même Philippe Auguste, le Roi de France, ils les utilisent régulièrement. Avec le risque permanent de les voir passer à l’ennemi si leur solde n’est pas réglée. Un des meilleurs exemples étant lorsque Jean sans Terre ne les paya pas, ils passèrent avec armes et bagages chez le Roi de France.
Lorsqu’ils ne sont plus rétribués, en période de paix, ils ravageaient les campagnes françaises, allemandes ou autres. D’où la peur qu’ils inspiraient et leur réputation de pilleurs, tueurs et violeurs.

Les Condottiere et la professionnalisation du mercenariat

À la Renaissance, les cités-États italiennes comme grecques dépendent énormément des mercenaires car elles sont confrontées aux mêmes facteurs handicapants que leurs lointains modèles de l’Antiquité, à savoir la taille moyenne des cités-États, l’incapacité de mobiliser rapidement leurs citoyens peu expérimentés et les confrontations permanentes avec les cités voisines, qui les forcent à avoir recours au service des mercenaires qui, depuis la fin du Moyen-Age, se sont largement professionnalisés.
En effet, sous la direction des Condottiere (chefs de mercenaires), ces derniers deviennent de vraies armées, organisées, disciplinées et remarquablement entraînées. Leur omniprésence dans les guerres d’Italie entre cités-États, entre François 1er et le Duché de Milan, est essentielle.
Si les mercenaires suisses sont défaits à Marignan en 1515, leur rôle-clé dans les guerres de Bourgogne et la défaite de Charles le Téméraire en 1477 a définitivement assis leur réputation.
Durant cette période, nombre de Condottiere et autres chefs de compagnies et régiments ont à un moment ou un autre tenté de capitaliser et de profiter de leur ascendant et de leurs succès militaires pour renverser leurs employeurs. Certains ont échoué comme Cesare Borgia, surnommé le « Valentinois »., d’autres comme Sforza, brillant militaire et politique, s’empare du Duché de Milan qu’il est censé défendre et protéger et fonde sa propre dynastie en 1450.
La Renaissance est sans aucun doute l’âge d’or du mercenariat. Puis il y a les mercenaires des princes allemands du XVIIIème siècle, celui des lumières, exportant leur redoutable savoir-faire au Québec et durant la guerre d’indépendance américaine pour la Couronne anglaise.
Par la suite, grâce à l’émergence des États-nations et la croissance de la population, de manière progressive les mercenaires sont remplacés par des armées de citoyens, en pleine expansion en raison de la conscription et du service national. La disparition du mercenariat, qui traîne une réputation sulfureuse, réjouit les États occidentaux.

L’émergence des affreux

Le contexte géopolitique de la guerre froide et l’indépendance des anciennes colonies après 1945 fournit un contexte idéal pour le retour en force des mercenaires. Et ce, toujours pour les mêmes raisons, un énorme besoin en hommes et en expertise militaire professionnelle.
Le Congo qui accède à l’indépendance en 1960 devient un véritable terrain de chasse et de jeux pour la rivalité entre l’Occident, mené par les USA, et le bloc de l’Est dirigé par Moscou. Il en est de même pour les nouveaux mercenaires du 20ème siècle que l’on affuble du sobriquet « les affreux ».
Financés soit par l’État belge soit par l’Union minière du Haut-Katanga ou par la CIA, dans un premier temps pour faire barrage au communisme, puis pour soutenir la sécession du Katanga, Français, Belges et autres nationalités se mettent au service d’intérêts politiques. Ils travaillent pour les plus offrants, jusqu’à leur révolte en 1967 contre leur employeur, le nouvel homme fort du pays le général Mobutu .
Les noms des mercenaires combattant au Congo sont restés célèbres. Il y a le Britannique Mike Hoare, du côté belge l’ancien colon, le colonel Jean Schramme, en passant par Roger Bracco ou encore Christian Tavernier et, du côté français, celui qui à tort ou à raison est considéré comme le plus grand mercenaire français, Bob Denard.
Ce dernier corsaire de la République française dans les années 60 prend ses ordres chez Jacques Foccart, le conseiller Affaires africaines et malgaches du Président De Gaule. Il est, comme d’autres, viscéralement anticommuniste. De l’Angola à l’Afrique du Sud, du Tchad au Yemen en passant par le Bénin et le Gabon, il écume la planète ente 1960 et 1995. Il termina aux Comores, d’abord dans un premier temps comme vice-roi, puis chassé, il tenta un dernier coup d’État qui fut un échec total. Ses anciens camarades continuèrent également à parcourir l’Afrique, comme Tavernier, que ce soit au Soudan, au Zaïre ou au Congo-Brazzaville.
Ce recours aux mercenaires pendant la guerre froide est aussi dû au fait que les grandes puissances souhaitant éviter une confrontation directe entre blocs peuvent en toute impunité nier d’avoir utilisé leurs services. Corps expéditionnaire cubain en Angola, Air America au Laos créé et financé par la CIA pour fournir armes et logistiques aux mouvements anticommunistes en ancienne Indochine française durant la guerre du Vietnam, les exemples sont légion.

Les PMC, mercenaires modernes

Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide disparait le risque majeur d’une guerre mondiale nucléaire et d’une confrontation globale. Cela entraîne dans la plupart des pays la fin de la conscription et la réduction drastique des effectifs des armées occidentales, alors qu’en Russie, dans le chaos du coup d’État raté contre Gorbatchev, l’ex-armée soviétique ressemble de plus en plus à un tigre de papier.
Dans ce nouveau contexte géopolitique mondial, où les sociétés occidentales ne supportent plus les pertes humaines, le syndrome américain du « body bag » de la guerre du Vietnam les ayant fortement marqués et où le manque d’effectifs se fait sentir, un nouveau type de mercenariat émerge.
Appelées pudiquement, Sociétés militaires privées ou PMC (Private military companies), ces mercenaires d’un nouveau genre s’emparent de la privatisation des fonctions souveraines et particulièrement de tout ce qui concerne la logistique des armées et peuvent fournir un nombre considérable d’hommes expérimentés au combat pour pallier au déficit des États.
Les pionniers en la matière sont les Sud-africains de l’Executive Outcome fondé par Eeben Barlowe en 1989, ancien des Forces spéciales, qui a écumé l’Afrique et l’Asie, ainsi que les Anglais de Sandline international, Tim Spicer ancien colonel des Scots Guards et Simon Mann ancien SAS (Special Air Service), qui étaient aussi parties prenantes à la mise en place de la Société de Barlowe. Sandline travaillant au Sierra Leone, au Libéria, en Angola et en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Dans leur sillage, des multinationales de mercenaires se sont créées, Blackwater de Erik Prince, tristement célèbre pour ses actions en Irak devenu aujourd’hui Academi, Aegis Defence Services créé par Tim Spicer après l’échec de Sandline qui, à un moment, employa 20 000 hommes en Irak et s’occupait de la sécurité des ambassades et autres organismes internationaux en Afghanistan.
D’autres géants de la sécurité et du mercenariat se sont créés, à l’instar des sociétés américaines Triple Canopy, GardaWorld, MPRI (Military professional Ressources Inc.), qui font partie maintenant du conglomérat Engility Holdings ou encore du côté français comme Amarante International. Tous écumant la planète à la recherche de contrats de sécurité ou de zones de guerre où exercer leur talent. Le terrain de jeu préféré de ces nouvelles sociétés de mercenaires demeurent toujours le continent africain.
Dans le contexte géopolitique particulier de l’Afrique où des coups d’États se sont succédés à la pelle depuis 2021, Guinée Conakry, Mali, Gabon, Niger, Soudan et Burkina Faso, elles se positionnent comme la solution ultime pour sauver des régimes militaires en perdition. Alors que leur but premier est généralement de piller les ressources minières ou autres des pays concernés, de manière légale par des contrats à leur avantage ou illégale.

La nébuleuse Wagner

Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie s’est réarmé et a reconstruit son armée tout en utilisant depuis 2014 les services de sociétés ou groupes de mercenaires affiliés ou sous contrôle du Kremlin. Tout d’abord en Syrie puis en Afrique. Tous ces coups d’États militaires s’inscrivant dans la perspective de la lutte d’influence entre l’Occident et particulièrement Paris avec le Kremlin.
Suite à l’explosion du G5 Sahel, au départ de Barkhane et des troupes françaises, à la sécession du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO, la société de mercenaires russes Wagner de Prigojine a pris pied dans nombre de pays africains.
Depuis 2018, déjà présente en République Centrafricaine pour protéger ou plutôt contrôler le président Touadéra et exploiter les mines et autres richesses, Wagner avec le soutien du Kremlin s’est positionné comme chien de garde du Maréchal Haftar en Libye et ses hommes essaiment partout au Niger, au Mali, au Burkina Faso et au Soudan. La société s’est en fait constitué un empire taillant des croupières aux Occidentaux.
Si pour Prigojine la présence de son groupe en Afrique était au départ principalement pour s’enrichir, il a malgré tout permis à Moscou de faire progresser son agenda géopolitique et d’étendre son influence.
Sa mort et d’une grande partie de la direction de Wagner dans le « crash » d’avion du 23 août 2023 n’a rien changé à l’activisme du Kremlin sur le continent.
Rebaptisé Afrikakorps, même si la plupart des experts et observateurs continuent à l’appeler Wagner, le corps des mercenaires russes est maintenant fermement sous l’autorité de Poutine. Celui-ci continue d’étendre son emprise via une myriade de sociétés commerciales et principalement le groupe Concord, qui se sert dans les ressources naturelles de chaque pays où l’Afrikakorps est présent et fournit des gardes prétoriennes censées protéger les régimes des putschistes.
Cependant, face aux vagues djihadistes qui progressent aussi bien au Sahel qu’en Afrique de l’Ouest, que dans la Corne de l’Afrique ou en Afrique australe, l’ancien groupe de Prigojine peine à démontrer son efficacité. Au Mozambique en 2020 face aux insurgents islamistes de Ansar Al Sunnah, Wagner a subi de lourdes pertes et a dû se retirer. En fait, ils passent plus de temps à massacrer et torturer les populations qu’à réellement combattre les groupes islamistes. Lorsqu’ils les affrontent, ils peinent à les défaire. Ou alors, comme face à une coalition de rebelles Touaregs du CSP-DPA (Combattants du Cadre stratégique pour la Défense du peuple de l’Azawad), les mercenaires russes avec leurs alliés maliens subissent de violentes défaites.
Quoiqu’il en soit, si nombre de pays ont lancé leurs SMP-PMC à l’assaut de l’Afrique, que ce soient les Turcs de SADAT déployés au Niger ou la Société britannique basée à Dubai, Physical Risk Solutions au Somaliland, au Puntland et en Somalie, ou encore l’américaine Bancroft Global Development qui tente de s’implanter en Républicaine Centrafricaine, la déferlante de celles-ci sur le continent ne risque pas de s’arrêter.
Il est cependant clair que l’Afrikakorps et ses affidés comme la Brigade Bear qui s’est déployée au Burkina Faso pour repartir en urgence vers le front de Koursk, se nourrissant sur la « bête » comme les affreux , c’est-à-dire en pillant les ressources du continent, bénéficient d’une longueur d’avance sur ses rivaux.
Le Kremlin compte pousser son avantage en visant d’autres pays comme la République démocratique du Congo, la Guinée Bissau, les Comores et Madagascar.
Le retour des affreux est bien une réalité et l’incapacité des États africains à gérer leur sécurité et à arrêter la progression de l’islam intégriste et l’avancée des groupes djihadistes fait que l’Afrique est redevenue un immense échiquier où l’Occident, la Russie et la Chine s’affrontent tout en tentant de gérer les velléités d’indépendance de leurs alliés.

Publicité