« Ils savent que je sais tout » ma vie en Françafrique
Robert Bourgi c’était un peu comme le monstre du Loch Ness. Une légende, un faiseur de Rois et de Présidents en Afrique et un homme si habile et si roué qu’il pouvait faire virer un ministre de la République comme Jean-Marie Bockel ou démettre un conseiller de l’Elysée et encore mieux ruiner toutes les chances d’un candidat présidentiel qui était sûr de l’emporter.
Le grand public a entendu parler de Bourgi la première fois en 2017 quand ce dernier a jeté en pâture à la presse, à la vindicte publique et à la justice, François Fillon, un des candidats favoris de la Présidentielle française en révélant qu’il lui avait offert 3 costumes de marque. Tout cela par vendetta personnelle sans tenir compte de l’impact sur le paysage politique, comme il le dit dans ses mémoires :
« Je n’ai aucun regret. François Fillon m’a manqué d’homme à homme, et même gravement. Le reste importait peu en réalité »
Ce n’est qu’une des révélations du livre de ses mémoire sous forme d’entretien, écrit à deux mains avec le journaliste Frédéric Lejeal, ancien directeur de la Lettre du Continent et sans aucun doute un des meilleurs spécialistes de l’Afrique, principalement de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.
Ce livre se lit en une seule traite , tellement il est passionnant ! On passe en revue toute l’histoire politique française de ses 50 dernières années et on y croise les acteurs majeurs ou mineurs de la Vème République tous imbriqués dans la Françafrique d’une manière ou d’une autre.
Fils d’un libanais chiite qui s’installe au Sénégal, son père Mahmoud Bourgi dont le commerce est florissant se positionne comme l’un des principaux soutiens et contributeurs du RPF (Rassemblement du Peuple Français), la filiation de la famille au Général De Gaulle ne sera jamais démentie
Dans la résidence familiale, le jeune Bourgi croise des responsables politiques, économiques et religieux sénégalais mais surtout, des hommes clés du Gaullisme, hommes politiques ou hommes de l’ombre. Georges Pompidou, en ce temps-là Directeur de la Banque Rothschild, Maurice Robert, homme lige du service action de la SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), qui deviendra par la suite la DGSE ( Direction Générale de la Sécurité Extérieure).
L’ élément fondateur de la vie et de la carrière de Robert Bourgi est sa rencontre avec le Monsieur Afrique du Gaullisme , Jacques Foccart. Eminence grise de la politique de la Françafrique.
C’est grâce à lui qu’il rejoint le Club 89 et qu’il élargit son carnet d’adresses en rencontrant la crème des hommes du RPR ( Rassemblement pour la République) qui par la suite deviendra l’UMP (Union Pour Un Mouvement Populaire), Michel Aurillac avec qui il mènera de nombreuses missions que ce soit au Congo-Brazzaville ou au Zaïre, Jacques Toubon ou encore Alain Juppé.
Ainsi Foccart lui ouvre toutes les portes et l’introduit dans nombre de capitales africaines, Bamako, Ouagadougou, Libreville , Brazzaville, Abidjan et même Dakar ou la famille Bourgi dispose déjà de réseaux solides .
Malgré son entregent légendaire et la manière dont il gère la distribution des fonds venant du Président du Gabon, Omar Bongo vers le RPR et ses interventions décisives dans des dossiers politiquement essentiels pour la France en Afrique et même au Moyen-Orient, le cheminement de Robert Bourgi n’ a rien d’ un long fleuve tranquille. Considéré comme un intriguant pour les uns, une créature de Jacques Foccart pour les autres, il connaît une réelle traversée du désert après la lourde défaite de Jacques Chirac face à François Mitterrand en 1988, jusqu’à devoir pointer tous les mois pendant 3 ans à l’Agence Nationale de l’emploi.
Même Jacques Chirac refuse de lui parler ou de le rencontrer de 1990 à 1993. Pour finalement renouer avec lui sous l’impulsion de deux hommes qui ne le lâcheront jamais, Omar Bongo mais surtout principalement Jacques Foccart .
Bourgi voue un loyauté et admiration filiale pour le Président du Gabon. Ce dernier a arrosé toute la classe politique française et connaissait mieux que quiconque les Ministres, Conseillers, émissaires qui animaient le landerneau Franco-africain. Au point de soumettre à Jacques Chirac par l’intermédiaire de Bourgi la liste des ministrables en 2005 pour la formation du gouvernement de Dominique de Villepin :
« ……Autre détail invraisemblable : il a non seulement dressé une liste des favoris pour le gouvernement Villepin, mais les jours suivants, il les a tous fait venir dans sa suite pour les rencontrer et les saluer. Je vois encore défiler Jean-François Copé, François Fillon, Pierre Bédier, Michèle Alliot-Marie, Renaud Dutreil, Philippe Douste-Blazy…il les a reçus non pas individuellement, mais en groupe, comme à l’école, pour leur faire comprendre qu’ils appartenaient à la génération montante…… Bongo commentait : « je pense que vous pourrez faire partie du gouvernement », Entretemps, j’avais fait parvenir sa missive au secrétariat personnel de Jacques Chirac. Lorsqu’on voit la liste du Gouvernement Villepin du 2 juin 2005, c’est un peu près la même que Bongo avait constituée. Même Renaud Dutreil a été promu… »
Quand à Jacques Foccart, il fut instrumental pour le retour en grâce de Bourgi auprès de Jacques Chirac, sans lui souffler mot des raisons de sa disgrâce temporaire mais toujours à ses côtés. Lui suggérant de devenir avocat, même sans exercer, afin qu’il ait à la fois un statut et une fonction qui le protège. C’est le 26 mai 1993 que Bourgi prête serment. Il se définit alors comme avocat-lobbyiste et décide d’engranger un maximum d’argent :
« …je deviens indispensable. Je reçois tout le monde : les Présidents, leurs staffs, leurs familles, les officiels, les hauts fonctionnaires, les avocats, les représentants, des corps d’Etat, les opposants et même les dignitaires religieux. Mes missions consistent à faire passer des messages plus ou moins cryptés. Je contourne la diplomatie officielle ce qui, au passage me vaudra bien des déboires. »
Au début des années 1990, l’activisme de Bourgi sur le continent africain est sans relâche. Il travaille pour les Présidents du Togo, du Congo-Brazzaville, du Gabon, du Burkina Faso et bien entendu pour Omar Bongo en pleine période des Conférences Nationales Souveraines qui devaient insuffler aux régimes africains plus de démocratie. Il accompagne les Présidents dans ce processus en faisant comme il dit :
« …De le relation publique de très haute intensité stratégique »
Et Bourgi, continuant dans son meilleur rôle, récoltant également les fonds dans les capitales africaines pour les différentes échéances électorales françaises, des millions d’euros arrosant Jacques Chirac et le RPR avant l’élection présidentielle de 1995 et d’autres échéances électorales.
On pourrait passer des heures à parler à foison des informations que contiennent ces mémoires, des portraits au vitriol, drôles, d’hommages ou remplis de tendresse qu’il fait des hommes d’Etat africains ou des intervenants de la politique africaine de la France. Les 150 documents authentiques accompagnant le récit d’un homme qui fut au centre du système de la Françafrique racontent l’histoire secrète d’une France voulant continuer à peser et conserver son influence dans son pré carré africain qui aujourd’hui s’est écroulé. Robert Bourgi a apporté pendant plus de 50 ans une expertise, une connaissance rare des Présidents avec qui il était en interface de manière permanente et une réelle connaissance des enjeux locaux politiques géopolitiques.
Seul bémol à ses mémoires, la partie consacrée au Congo qui contient plusieurs fausses informations sur sa rencontre avec Herman J. Cohen et s’il est clair qu’il a joué avec Michel Aurillac et Jacques Foccart un rôle important dans le retour du Maréchal Mobutu et du Zaïre sur la scène internationale, il n’a pas été le seul. D’autres équipes y ont contribué aussi. Bourgi n’ aborde pas l’ échec de la politique rwandaise de la France ni l’incapacité de l’ensemble des responsables français en charge de l’Afrique d’appréhender et de comprendre la tragédie rwandaise. Ni ses répercussions à moyen terme pour toute la sous-région ni de son impact qui a précipité la chute de Mobutu.
On ne parle pas de ses échecs !
Max Olivier Cahen
Auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’Expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique sub-saharienne »
Ancien Conseiller du Président-Maréchal Mobutu et du President Pascal Lissouba