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Le Congolais Israël Nzila remporte le Prix Théâtre avec « Clipping », les voix d’une survivante

Le congolais (RDC) Israël Nzila qui a remporté le Prix RFI Théâtre 2025 pour son texte « Clipping ». (Image/source : rfi.fr)

L’auteur et dramaturge congolais Israël Nzila, 31 ans, a remporté le 28 septembre le Prix RFI Théâtre 2025 au Festival des Francophonies à Limoges, en France. Racontée d’une façon déstabilisante pour les lecteurs, Clipping est l’histoire d’une femme survivante. Une œuvre poignante sur le fond, poétique sur la forme et dotée d’une remarquable puissance du langage.

Fraîchement arrivé de Lubumbashi à Limoges, Israël Nzila a été récompensé pour sa nouvelle œuvre, Clipping, choisie parmi les 143 textes provenant de 22 pays de cette édition 2025. Choisir un titre anglais pour une histoire scrupuleusement racontée en français, est-ce la volonté de déstabiliser ses lecteurs francophones dès le début ? Israël Nzila a un talent de bousculer le public. « Clipping est un mot souvent utilisé par les ingénieurs du son », explique-t-il, précisant que Clipping « signifie une saturation des sons lorsqu’on dépasse le volume normal. Quand on ne règle pas très bien les sons, le niveau du son est trop haut et devient saturé ».
Cette référence littéraire à un déréglage technique du son n’est pas innocente. Quand Israël Nzila évoque son style d’écriture, il parle volontiers de « dislocation », « à l’image de corps détruits ». Dans Clipping, dès le début, cet auteur vivant en République démocratique du Congo nous plonge dans un monde très particulier de sonorité et de musicalité. Il suffit de lire à voix haute les noms des personnages affichés à la première page : Do, DoDo, un gardien de cachot…
« J’ai grandi au Congo, un pays où la musique est très présente. La musique, j’ai grandi dedans, même si je ne fais pas de la musique personnellement. Mais comme tout Congolais, je suis dans la musique. Deuxième chose : c’était comme une sorte d’instrument désaccordé, à l’image d’une guitare désaccordée, d’un instrument de musique qui produit un son qui n’est pas le meilleur. Toute ma langue est venue sous forme de rythmique, de musique, mais une musique un peu déréglée, saturée, comme une sorte de parole de folie… ».
Clipping nous plonge dans la vie d’une femme complètement désemparée, Do. En faisant ses achats au marché, elle dit avoir perdu son enfant entre les étals : tous les commerçants se mobilisent. Il y aura presque une fin heureuse, mais hélas, l’enfant trouvé ne correspond pas à l’enfant décrit par la mère. Do passe alors du statut de la victime à la suspicion d’être une voleuse de bébé. En attendant de tirer l’histoire au clair, on la jette en prison.
Les espaces-temps commencent alors à s’embrouiller, le passé, le présent et le futur s’entremêlent. Le personnage Dodo explose en se transformant en identités multiples : mère, père, alter ego de Do… À la fois une déflagration et une implosion dans lesquelles les cauchemars et les traumatismes du passé refont surface.

« Le lecteur et le spectateur font partie de la pièce »

Les 4 candidats de la RDC : Salva Amisi, Divine Mandé, Israël Nzila et Djo Ngeleka (Image : culturecongo.com)

Nzila semble sciemment vouloir semer chez les lecteurs des incompréhensions, des troubles et des tiraillements entre la réalité et l’imaginaire. « Quand j’écris, je considère que le lecteur ou le spectateur font partie de la pièce. Le lecteur n’est pas un simple observateur de ce qui se passe, le public non plus. Je les intègre dans ma pièce. Ils sont présents et je diminue la distance entre l’œuvre et eux. »
Au-delà de la profondeur du récit autour de cette survivante de la guerre, et la poésie des mots souvent chargés de matière prenant corps dans la violence et la souffrance vécues par les femmes congolaises touchées par la guerre, Israël Nzila a investi aussi beaucoup dans une esthétique formelle et visuelle de son écriture. « Dans mon geste d’écriture, le rythme de la langue et les répétitions, je les perçois comme étant une recherche de formes. Quand je parle d’un mot, je questionne en même temps le sens de ce mot. Chaque fois quand le mot revient, il acquiert un sens différent. »
Comme dans sa pièce précédente, Silence – lauréat du prix des Récréâtrales au Burkina Faso et finaliste du Prix Théâtre RFI 2024 -, qui conte l’histoire de Makeda, une femme qui s’imagine la vie d’une autre femme, l’imaginaire joue aussi un très grand rôle dans le texte lauréat, Clipping.
Israël Nzila raconte l’histoire de Do avec une compassion profonde. « Je vis à Lubumbashi, une grande ville où il n’y a pas la guerre. Mais ce qui se passe à l’est du pays, on ressent que c’est proche de nous. Ces horreurs qui se passent nous affectent, parce qu’on les ressent. Nous avons des frères qui y restent et qui nous rendent compte de ce qui se passe. Je suis né dans cette histoire de guerres, de massacres, de mutilations. En fait, je suis «habitué» à l’écouter depuis que je suis petit. Ce n’est pas normal !, s’exclame-t-il. Je ne devrais pas m’habituer à cette situation. Et là, j’écris pour rapprocher ces horreurs à moi, pour les voir en face. Pour moi, ce sont des personnages qui deviennent des personnes que je connais, ça m’affecte personnellement. »

« J’ai grandi dans une famille normale »

L’auteur et dramaturge congolais, Israël Nzila, 31 ans. Un écrivain prometteur (Source : rfi.fr)

Une évolution intime en cohérence avec son parcours personnel. Né en 1994 à Kinshasa, la capitale de la RDC, Israël Nzila a décidé de faire des études de lettres et civilisation françaises à Lubumbashi, la deuxième plus grande ville du pays, avec trois millions d’habitants, 1 500 kilomètres vers l’Est. « C’était d’abord cette envie de sortir, se souvient-il. Je voulais quitter mon quotidien. J’avais un désir de découverte. Je voulais être écrivain ».
De père instituteur, « j’ai grandi dans une famille normale, une famille chrétienne, nous sommes tous très croyants. Nous avons grandi vraiment avec une tendresse maternelle. Il y avait des livres, de la littérature africaine aussi : Birago Diop, Césaire, Senghor. Il y avait un peu tous ces grands noms de la littérature africaine. Et moi, je m’amusais beaucoup à lire Les contes d’Amadou Koumba ».
Israël Nzila n’œuvre pas uniquement en tant que nouvelliste et dramaturge, mais aussi comme photographe, comme révèlent ses pages sur les réseaux sociaux. Et des images paraissent tout à fait emblématiques pour les passerelles chez lui entre l’écriture et la création d’images : un bébé nu au sol, et, derrière lui, beaucoup de portails s’ouvrent. Tout au fond de la scène émerge une petite lueur de lumière, donc d’espoir. « En tant que Congolais, si on n’avait pas d’espoir, je ne sais pas ce qu’il allait se passer. Tout Congolais a de l’espoir. Il y a des situations qui se passent, qui sont vraiment inacceptables, mais on a toujours cet espoir que les choses changeront. Les jeunes manifestent souvent… »
Les femmes se trouvent souvent au cœur des histoires contées par Israël Nzila, qui a commencé sa carrière comme auteur de théâtre en 2023 avec Objection, Votre Honneur ! et Ferme-là, suivi de Silence et Clipping. Mais les hommes aussi jouent un rôle important, souvent malgré eux. Car, selon l’auteur congolais, l’absence des pères dans ses pièces renvoie à une absence fatale de repères. « Dans Clipping, on entre dans l’histoire de Do, parce que son père, musicien, s’est fait abattre, parce qu’il chantait. C’est quelque chose qui s’est passé à Goma et qui se passe souvent. Ce musicien, Katembo Idengo, alias «Delcato» , luttait à travers sa musique contre les injustices, contre toutes ces horreurs de la guerre, contre des groupes armés qui ont pris Goma. Il a été abattu froidement ».
« Mais l’absence du père, c’est aussi l’absence d’un attachement, d’un modèle. Grandir sans grands repères dans la société, c’est comme si on manquait d’attaches, comme si on manquait de pères. C’est comme si on était des enfants abandonnés, isolés. C’est aussi l’absence de besoins élémentaires, l’absence de tout ce qui devrait être là. Et c’est incarné par des dirigeants qui ne font pas leur devoir. » Avec Clipping, Israël Nzila devient le premier lauréat de la RDC couronné par le Prix Théâtre RFI depuis sa création en 2014.

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