Alors que les Lords veulent un report de la ratification du traité avec Kigali, le gouvernement britannique continue d’espérer que les premiers vols de demandeurs d’asile vers le Rwanda auront lieu au printemps 2024.

Pour rappel, Londres souhaite y délocaliser son système de demande d’asile afin de dissuader l’immigration illégale. Cependant la justice s’y oppose et, désormais, la Chambre haute du Parlement, les Lords, viennent d’opposer un nouvel obstacle à l’Exécutif britannique. La Chambre des Lords souhaite reporter la ratification du traité avec le Rwanda – le texte bilatéral qui doit permettre d’envoyer à Kigali des demandeurs d’asile.
Les Lords souhaitent attendre d’avoir des garanties sur la sécurité de ces migrants. Entre autres, une formation adéquate pour les fonctionnaires rwandais, et l’assurance que personne ne sera renvoyé dans son pays d’origine avant l’examen de sa demande.

Valeur indicative

Pour l’heure, la motion n’a qu’une valeur indicative – elle ne deviendra contraignante que si les députés l’approuvent. Or, le gouvernement détient une majorité à la Chambre basse. Mais les Lords envoient ainsi un signal, quelques jours avant d’examiner le projet de loi Rwanda.
Un autre texte a été validé de justesse par les députés, qui doit, lui, inscrire dans la loi le fait que le Rwanda est un pays tiers sûr. Une manière de contourner les interdictions judiciaires.
La ratification du traité par le Parlement et le vote de cette loi sur la sécurité du Rwanda sont des conditions obligatoires pour permettre la délocalisation du système d’asile. Une promesse du gouvernement, à quelques mois des prochaines élections.

Duel aux couteaux entre les députés pour adopter le projet de loi en vue d’expulser des migrants au Rwanda

« Non aux expulsions au Rwanda. Arrêter les vols ». La Cour d’appel de Londres se prononce contre l’accord du Royaume-Uni visant à relocaliser les immigrants illégaux au Rwanda (Source : peoplesdispatch.org)

Surmontant une tentative de fronde dans sa majorité, le Premier ministre conservateur britannique Rishi Sunak avait obtenu, le mercredi 17 janvier, le feu vert des députés à son projet de loi visant à délocaliser le système de demande d’asile au Rwanda.
Après deux jours sous haute tension au palais de Westminster, avec débats houleux, tractations à huis clos et démissions retentissantes, les dissidents sont revenus dans le rang.
Le texte prévoyant la délocalisation du système de demande d’asile au Rwanda a été approuvé en troisième lecture à la Chambre des Communes avec 320 votes pour et 276 contre.
Un soulagement pour Rishi Sunak. Largement devancé dans les sondages par les travaillistes en ce début d’année électorale, le Premier ministre a mis tout son poids dans la balance pour faire aboutir ce projet censé montrer sa fermeté sur une préoccupation majeure de sa base, mais qui aura exposé à vif les divisions de sa majorité, les modérés redoutant une atteinte au Droit international et les plus à droite voulant aller plus loin.
Ce texte vise à répondre aux objections de la Cour suprême britannique, qui a jugé le projet illégal dans sa version précédente par crainte notamment pour la sécurité des demandeurs d’asile envoyés au Rwanda.

Comment se présente le projet ?

Selon le projet, les demandeurs d’asile, d’où qu’ils viennent, verraient leur dossier examiné au Rwanda et ne pourraient ensuite en aucun cas retourner au Royaume-Uni, ne pouvant obtenir l’asile que dans le pays africain en cas de succès.
Lors de son examen, des dizaines de députés conservateurs ont soutenu, en vain, des amendements visant à durcir le texte, tentant notamment de limiter le droit des migrants à faire appel de leur expulsion. La tension est également montée d’un cran après la démission, deux jours avant l’adoption du projet, de deux vice-présidents du parti conservateur, partisans d’une ligne plus dure, qui ont reçu le soutien de l’ancien Premier ministre Boris Johnson.
Annoncé en avril 2022 par ce dernier, le projet visait à décourager l’afflux de migrants dans des petites embarcations à travers la Manche : près de 30 000 en 2023, après un record en 2022 (45 000). Mais le texte n’a jusque-là jamais pu être mis en œuvre. Un premier avion a été bloqué in extremis par une décision de la Justice européenne, puis la Justice britannique avait, jusqu’à la Cour suprême, déclaré le projet illégal dans sa version initiale.
Pour tenter de sauver son texte, vivement critiqué par les associations humanitaires, le gouvernement a signé un nouveau traité avec le Rwanda, qui définit cette fois-ci le Rwanda comme « un pays-tiers sûr » et empêche le renvoi des migrants vers leurs pays d’origine. Il propose également de ne pas appliquer aux expulsions certaines dispositions de la loi britannique sur les droits humains, pour limiter les recours en justice.
L’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a estimé, le 16 janvier, que la dernière version du projet n’était « pas compatible » avec le Droit international.
Ainsi, après les députés, le projet de loi devra désormais être approuvé par les membres non élus de la Chambre des Lords, qui pourraient fort bien l’amender. Et s’il est adopté à temps avant les législatives, prévues en l’état à l’automne, le Labour, mené par Keir Starmer, a promis de l’abroger s’il arrive au pouvoir après quatorze ans dans l’opposition.

240 millions de livres sterling déjà payées à Kagame

Lewis Mudge, le directeur Afrique Centrale de Human Rights Watch. Image d’archive de Patricia Williams

En déplacement au Forum économique mondial à Davos, en Suisse, le président rwandais a commenté, le 16 janvier, l’accord bilatéral de son pays avec le Royaume-Uni. Interpellé à la volée par des journalistes de la BBC, Paul Kagame est notamment revenu sur l’aspect financier de l’accord. Si les demandeurs d’asile ne viennent pas, « nous pouvons renvoyer l’argent », a-t-il affirmé.
Au total, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé en décembre dernier avoir déjà payé à Kigali près de 240 millions de livres sterling, 140 millions en 2022 et 100 millions supplémentaires l’année dernière.
Un nouveau paiement de 50 millions de livres est également prévu en 2024.
Un investissement destiné, selon les autorités britanniques, à la couverture des coûts initiaux de l’installation des migrants et au développement économique du Rwanda, selon une correspondante à Kigali.
Également interrogé sur les obstacles juridiques à la mise en œuvre de l’accord, il a répondu que ce n’était pas le problème de son pays, mais celui du Royaume-Uni.
Réaction de Lewis Mudge, directeur Afrique Centrale pour l’organisation des droits de l’homme Human Rights Watch : « C’est très décevant.
Cette décision du parlement britannique est à l’image d’un gouvernement qui refuse de voir les violations des droits de l’homme commises au Rwanda.
Avec cette loi, le gouvernement britannique se décharge de sa responsabilité qui est de protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile qui arrivent en Grand Bretagne ».

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