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La chute de la nation arc-en-ciel

Le continent africain connaît depuis deux ans des élections à répétition présidentielles et législatives couplées ou séparées. Cette année, il y en a plus de 23 prévues ou déjà organisées, bien que la junte malienne du Colonel Goïta comme tout putschiste qui se respecte ait reporté la présidentielle du 4 février tout en suspendant les activités des partis politiques.

Dans ces épreuves démocratiques, les fraudes sont généralement légion, comme on a pu le constater lors des élections aux Comores en janvier dernier, ou ailleurs. Cependant, malgré la volonté du président Macky Sall de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens possibles, la surprise est venue du Sénégal, avec l’élection, sans fraudes ni violences, au premier tour du président Bassirou Diomaye Faye.
Un signal à toute la sous-région, en particulier au Mali, à la Guinée-Conakry, au Burkina Faso et même au Niger. Preuve que la démocratie fonctionne !
Si le Sénégal n’est pas un « géant » régional, il apporte un rare équilibre à cette partie du continent, en proie à des déstabilisations permanentes, coups d’État et groupes djihadistes progressant du Sahel vers les États côtiers.
Ainsi, que ce soit pour des « géants » tels le Nigeria et la République démocratique du Congo en 2023, ou des pays « stabilisateurs » comme le Zimbabwe en 2023 et le Sénégal en 2024, toutes ces élections sont cruciales pour l’équilibre régional.

Elections générales en Afrique du Sud

Parmi celles encore à venir au cours de l’année 2024, il y en a une qui mobilise l’attention des observateurs et experts : les élections générales en Afrique du Sud.
La libération de Nelson Mandela en 1990 et son élection triomphale à la Présidence sud-africaine en 1994, sous le signe de la réconciliation, de la justice et de l’unité, ont fait naître le mythe de la nation arc-en-ciel. Depuis lors l’ensemble des pays de la sous-région n’a eu de cesse regarder vers le géant sud-africain comme un guide moral et un parrain bienveillant apportant stabilité politique et développement économique pour la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) et l’ensemble de ses 16 pays membres.
Cependant les successeurs de Mandela n’ont pas réussi à capitaliser son héritage. Que ce soit le pale Thabo Mbeki de 1999 à 2008, Jacob Zuma de 2008 à 2019, qui a pratiquement vendu l’Afrique du Sud aux investisseurs privés comme les frères Gupta, et maintenant Cyril Ramaphosa en place depuis 2019 et qui a avoué que son gouvernement n’a pas accompli 50% de son programme. Tous ont contribué à l’érosion de l’ANC (African National Congress), qui n’a pas perdu une élection depuis 30 ans.

La cohésion au sein de l’ANC mise à mal

« L’ANC remporterait-il les élections de 2024 ? » (Image d’illustration / Jacob Zuma 2017- insider.com)

La lente érosion de la popularité de l’ANC est en cours depuis 2007. Le système de corruption systémique mis en place a coupé l’apparatchik de la population. Avec le plus haut taux de chômage mondial (30%), dont 60% des jeunes entre 15 et 24 ans, la désertion des services publics avec les délestages d’électricité et les « blackouts », les retards des paiements des salaires dans l’armée et la précarité alimentaire des Townships, la société civile sud-africaine est au bord de l’implosion.
Ceci sans compter sur la criminalité en hausse, meurtres, viols, guerre des gangs, trafics de drogue et violence contre les immigrants d’autres pays africains, qui se solde régulièrement par des meurtres ou des pillages.
Dernier clou dans la déshérence du pays, les tensions raciales exacerbées par l’augmentation des meurtres des fermiers blancs. De plus, la légendaire cohésion de l’ANC est mise à mal et ce malgré le remplacement de Zuma en 2018 par Cyril Raphamosa.
D’abord l’ancien président Zuma a apporté son soutien à Mkhnoto weSize, « fer de lance de la Nation » en Zoulou, parti radical qui compte tailler « quelques croupières » à l’ANC. Dans un premier temps, Zuma fut interdit de se présenter aux législatives, puis finalement autorisé par la cour d’appel. Ce qui n’a fait qu’accroître la radicalité de ce petit parti qui devrait faire 10 % aux élections législatives et qui menace le pays d’un chaos général.
Ensuite, Ace Magashule, ancien Secrétaire général du parti, qui a également lancé l’ACT (African congress for Transformation). Ce dernier venu, cependant, ne devrait pas trop créer de problèmes à l’ANC.

Election indirecte du président sud-africain

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa (au centre) salue ses partisans, le 5 mai 2019. /Photo VCG (Image d’illustration / Malgré leur victoire électorale de 2019, Ramaphosa et l’ANC sont toujours confrontés à des défis difficiles)

Il ne faut pas perdre de vue que le système démocratique sud-africain n’élit pas le président au suffrage universel, mais le parlement, fort de 400 députés, et selon la majorité. Depuis 1994, l’ANC ayant toujours eu la pleine majorité parlementaire, il n’y avait aucun souci pour dominer le paysage politique.
Mais au cours des dernières années , les partis d’opposition ont réussi à plusieurs reprises à créer des alliances, qui ont graduellement affaibli les majorités parlementaires de l’ANC, même dans certains de leurs fiefs historiques.
Pour l’ANC, le danger provient principalement de deux partis d’opposition. D’abord l’Alliance démocratique, de centre droit libéral, qui est le premier parti d’opposition crédité de 30 à 35% et dont le leader, John Steenhuisen, s’est allié avec six petits partis d’opposition dans une plateforme dénommée « The Multi-Party Charter », qui prône la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, son seul handicap étant qu’il doit se départir de sa connotation de parti pour Blancs.
Ensuite le EFF, Economic Freedom fighters, parti d’extrême gauche de Julius Malema, ancien dirigeant de la ligue des jeunes de l’ANC. Son programme radical est simple : la nationalisation des mines et d’autres secteurs de l’économie, la redistribution des terres et l’obligation de l’État de fournir des logements gratuits. Sa radicalité est totale, puisqu’il appelle même au meurtre de tous les Blancs. On lui attribue 10% des votes.
Tous ces partis souhaitent la fin du règne de 30 ans de l’ANC. Pour ce faire, l’Alliance démocratique veut regrouper tous les petits partis d’opposition, tandis que le EEF, pour enfin offrir une alternative crédible à ce qu’ils appellent une période d’incompétence et de corruption, souhaite la fin de la domination des héritiers de Mandela mais est prêt à accepter une coalition politique si la plus grande partie de son programme est appliquée.

À la croisée des chemins

Quoiqu’il en soit, l’Afrique du Sud est à la croisée des chemins, le mythe de la nation arc-en-ciel est totalement mis à l’épreuve.
Pour la première fois de son histoire, des coalitions vont devoir être instaurées, avec l’ANC ou sans elle. C’est un tournant majeur au cours duquel chaque acteur politique devra faire preuve de compromis et d’une capacité de partage de pouvoir.
L’Afrique du Sud bénéficie de plusieurs atouts pour faire face à cette situation politique inédite, à commencer par sa Commission électorale indépendante, qui est unanimement respectée, mais aussi son armée, politiquement neutre, deux ne s’impliquant pas dans les débats ni les affrontements politiques.

D’autres menaces

(Image d’illustration en 2023 : le président Ramaphosa menacé de destitution / Source : la-croix.com)

Cependant, il existe deux autres types de menaces qui planent sur les élections sud-africaines. Tout d’abord, la violence contre les élus, qui se traduit par l’assassinat de rivaux politiques. Elle est en pleine expansion et devient presque une banalité. Rien qu’en 2022, il y a eu 20 meurtres de conseillers locaux dans la province du KwaZulu Natal. Ce qui peut impliquer un réel risque de dérapage lorsque certains résultats seront annoncés dans les assemblées législatives provinciales.
Ensuite, la politique du gouvernement sud-africain dans la lutte contre l’intégrisme islamique et le terrorisme djihadiste, qui gangrènent une grande partie de pays membres de la SADC, tels le Mozambique, la RDC, la Tanzanie, et qui entretiennent des liens étroits avec le crime organisé en Afrique du Sud.
En effet, le pays de Mandela est considérée comme une des plaques tournantes du financement de l’État islamique en Afrique centrale (ISCAP), principalement pour Ansar Al-Sunna dans la province du Cabo Delgado et les Forces alliées démocratiques (ADF), qui combattent en RDC.
L’OFAC (Office of foreign assets Control) du gouvernement américain a récemment mis sur sa liste de sanctions une série de citoyens sud-africains.
Tout en « tolérant » ou dans tous les cas étant incapables de mettre fin à ce financement intégriste criminel en raison de la corruption au sein même des forces de police, l’Afrique du sud est impliquée dans la SAMIM (1) au Mozambique pour combattre Ansar Al-Sunna et en RDC au sein de la SAMIDRC (2) pour combattre le M-23 mais est inévitablement confrontée aux ADF.
Cette ambiguïté d’une large tolérance pour l’islam radical dans le pays, propagé par le whabbisme saoudien, somalien et les diasporas venant de la côte swahili et la volonté de le combattre à l’extérieur, place l’Afrique du Sud au centre d’un potentiel cyclone de déstabilisation.
Pour le moment, malgré les menaces de l’État islamique, les groupes djihadistes n’ont commis aucun attentat sur le sol sud-africain, car ils ne souhaitent pas hypothéquer leur système de financement.
L’utilisation de l’Afrique du sud comme une « base arrière », pour l’entraînement, la dissimulation et le financement pour des militants intégristes, est connue des autorités depuis les années 2000 mais n’est aucunement mise en danger par celles-ci.

L’avenir en Afrique du Sud

Vu les sondages, il est fort possible qu’une nouvelle coalition gouvernementale prenne le pouvoir après le 29 mai. Si elle devait concrètement mettre en place une action policière et judiciaire efficace contre les acteurs économiques et criminels qui financent l’État islamique, l’Afrique du sud serait confrontée à une vague d’attentats terroristes. Elle n’est définitivement pas préparée pour une telle éventualité.
La porosité de ses frontières, la corruption de sa police et la faiblesse de son armée (3) font de l’Afrique du Sud une cible idéale pour l’État islamique, avec des conséquences dramatiques pour le pays et toute la SADC.
L’élection du 29 mai est porteuse d’espoir pour l’Afrique du Sud, la région et tout le continent. Pour que cela devienne réalité, l’ensemble des forces politiques doivent comprendre que des coalitions gouvernementales et le partage du pouvoir sont absolument la panacée en vue de mener les réformes nécessaires pour relancer le pays économiquement, éradiquer la pauvreté et lui permettre de jouer son rôle de leader régional.
Au cas contraire, ces mêmes facteurs ne feront qu’accroître les fractures politiques, sociales, raciales et économiques, précurseurs d’un chaos aux conséquences incommensurables pour le continent. En un mot la chute de la Nation arc-en-ciel.

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