Le scrutin était annoncé serré et de tous les dangers. Il a finalement respecté les appréhensions, avec une victoire in extremis de William Ruto, sur un score étriqué, suivie de tensions et d’actes de violence.
Le vice-président sortant, William Samoei Ruto, a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle au Kenya, avec 50,49%, devenant ainsi le président de ce pays. C’est le président de la Commission électorale kényane, Wafula Chebukati, qui a fait cette déclaration le lundi 15 août à Nairobi, malgré le rejet des résultats par quatre des sept membres de l’organe qu’il dirige, dont sa vice-présidente.
Après six jours d’attente des résultats, le verdict, bien que controversé, est tombé: Avec un peu plus de sept millions des voix, le vice-président sortant devance de 233 211 voix son adversaire Raila Odinga, figure historique de l’opposition, qui avait pourtant reçu le soutien du chef de l’État sortant, mais qui ne récolte que 48,85% des suffrages, selon le décompte annoncé par le président de la Commission électorale.
M. Ruto, 55 ans, devient ainsi le 5ème président du Kenya mais le premier Kalenjin à être élu au pouvoir depuis vingt ans, succédant à deux présidents issus de la communauté kikuyu, dont le sortant M. Uhuru Kenyatta.
Le nouveau président a promis, dans un discours, de travailler avec « tous les leaders » politiques, dans un pays « transparent, ouvert et démocratique ». « Il n’y a pas de place pour la vengeance », a-t-il ajouté, se déclarant « totalement conscient » que le pays « est à un stade où nous avons besoin de tout le monde sur le pont ».
Il ne croyait pas bien dire, avec un pays littéralement scindé en deux, entre ses partisans, qui jubilaient face à la victoire de leur champion, et les supporters du candidat malheureux, qui rejettent les résultats. Des images contrastées qui symbolisent un Kenya aujourd’hui déchiré.
En effet, ces résultats ont été rejetés, peu avant leur annonce même, par une majorité des membres de ladite Commission électorale.
Quatre commissaires sur sept, dont la vice-présidente Juliana Cherera, ont d’ailleurs refusé de reconnaître le verdict, celle-ci estimant, dans une adresse depuis un hôtel de Nairobi, ne pas pouvoir « assumer la responsabilité des résultats qui vont être annoncés », en raison du « caractère opaque du processus », tout en appelant les Kényans au « calme ».
La colistière de M. Raila Odinga, Martha Karua, a d’ores et déjà fait allusion à un possible recours, rompant le silence de son camp sur Twitter, mais restant vague. « Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini », a-t-elle en effet lancé. « Beaucoup de gens soupçonnent », écrit la BBC, que ce tweet suggère que la coalition va contester les résultats de l’élection devant les tribunaux. En vertu de la loi, les candidats disposent de sept jours pour le faire.
Un pays moins stable politiquement qu’il n’y parait
Le scrutin présidentiel a eu lieu le 9 août dernier, globalement dans le calme, sans Uhuru Kenyatta, au pouvoir depuis 2013 et qui était interdit de troisième mandat. Depuis 2002, toutes les présidentielles kényanes ont été contestées, devant la justice ou dans la rue et souvent avec des violences extrêmes et des effusions de sang.
Parmi les principales promesses de campagne de William Ruto : faire baisser le coût de l’alimentation face à une inflation galopante. Autre promesse de l’ancien vice-président : faire de l’emploi, notamment des jeunes, une priorité. « Nous développerons notre industrie textile, le cuivre, le bois, pour créer suffisamment d’opportunités d’emplois », avait-il déclaré au début du mois, alors en campagne pour la présidentielle .
Plus tôt, le président de la Commission électorale avait tenté de faire une première fois son annonce mais en avait été empêché, occasionnant des échauffourées en direct à la télévision sur la tribune officielle des centres de compilation des résultats.
Qui est William Ruto ?
Issu d’une famille modeste et devenu l’un des hommes les plus riches du Kenya, William Ruto se présente comme le candidat des pauvres, face à l’alliance des « dynasties » de la vie politique kényane, incarnée par le duo Raila Odinga et Uhuru Kenyatta. À 55 ans, le vice-président sortant briguait le fauteuil présidentiel pour la première fois.
Parti de rien, après avoir même vendu des œufs à la sauvette, il est devenu un homme d’affaires à succès, se présentant lui-même comme le héraut de la « Hustler Nation », la nation des « débrouillards ». Il a fait de son parcours et de son ascension fulgurante un argument de campagne, un slogan, presque une marque. Et la stratégie a fait mouche, dans un pays frappé par une inflation galopante, où trois Kényans sur dix vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, selon la Banque mondiale.
Et où, selon Oxfam, la fortune des deux Kényans les plus riches est supérieure aux revenus cumulés de 30% de la population, soit 16,5 millions de personnes.
Diplômé en Sciences, brièvement enseignant, William Ruto fait son entrée en politique dans les années 1990 auprès du président Daniel Arap Moi – unique président Kalenjin qu’a connu le Kenya. Il s’engage, précisément, au sein des sulfureuses jeunesses de la Kanu, le parti de l’autocrate, tristement réputé pour avoir pourchassé les membres de l’ethnie Kikuyu dans la vallée du Rift au cours de ces années.
Il devient député pour la circonscription d’Eldoret Nord en 1997 et s’impose rapidement comme une personnalité influente au sein du parti. À 36 ans, il est propulsé ministre. Il occupe divers portefeuilles, dont ceux de l’Éducation et de l’Intérieur, puis accède en 2013 à la vice-présidence, en se présentant comme le colistier d’Uhuru Kenyatta, candidat de l’ethnie Kikuyu jusque-là rivale.
Ce magistral retournement d’alliance, dont le Kenya est coutumier, choque l’opinion. Et pour cause : cinq ans plus tôt, les deux hommes se sont affrontés par communautés interposées au cours d’une crise post-électorale qui a fait plus de 1 000 morts et qui leur vaut alors d’être tous les deux inculpés par la Cour pénale Internationale (CPI), accusés d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’orchestration des violences.
Leur alliance, baptisée « coalition des accusés », vise à unir leurs forces pour faire enterrer ces poursuites. Et cela fonctionne. À peine le duo élu s’engage une vaste campagne d’intimidation et de disparition de témoins, qui contraint la CPI à abandonner les poursuites contre les deux hommes « faute de preuve ».
Rappelons en passant que le procès de Paul Gicheru, avocat kényan accusé d’avoir soudoyé et intimidé des témoins au point de rendre impossible la poursuite de la procédure contre William Ruto, s’est cependant ouvert le 15 février dernier à La Haye.
Rupture de l’alliance
Mais son alliance avec Uhuru Kenyatta se brise en 2018, quand celui-ci se rapproche de Raila Odinga, jusqu’alors son éternel opposant, dont il soutient désormais la candidature à la présidentielle.
En fin stratège, Willam Ruto, le vice-président candidat reste en fonction, tout en s’employant à construire son statut d’opposant. Il n’hésite pas – après avoir pourtant passé plus de 10 ans au cœur de l’appareil d’État – à se poser en challenger de l’establishment, face à l’alliance des dynasties incarnées par Odinga et Kenyatta.
William Ruto part en campagne très tôt, sillonne le pays en casquette et polo et multiplie les saillies contre le bilan d’Uhuru Kenyatta pour mieux s’en dissocier. Il fustige Raila Odinga comme « la marionnette » du président sortant. Chrétien « born again » revendiqué et père de six enfants, il promet surtout de « sortir du désespoir des millions de personnes » en développant une économie ascendante, qui irait du bas vers le haut.
Dans plusieurs interviews, il se targue même de remplacer les clivages ethniques – coutumier de la compétition en politique kényane – par un clivage social.
Et c’est suffisant pour réussir à faire oublier son passé sulfureux émaillé de soupçons de corruption.
Son colistier également accusé de corruption
À 57 ans, Righati Gachagua, colistier de Ruto, aime se présenter comme le fils d’une famille de combattants pour l’indépendance du Kenya. Diplômé en Sciences politiques, il débute dans la fonction publique également sous Daniel Arap Moi, puis devient en 2001 l’assistant personnel d’Uhuru Kenyatta, ministre à l’époque. Les deux hommes cheminent ensemble 5 ans puis se fâchent. Élu député en 2017, Rigathi Gachagua, originaire du compté le plus riche en voix, devient l’un des plus farouches opposants du président sortant.
Mais à 15 jours du vote, un juge anti-corruption lui ordonne de rendre à l’État l’équivalent d’1,7 million d’euros, acquis illégalement. Selon l’Agence de recouvrement des actifs du pays, l’ARA, Rigathi Gachagua est impliqué dans un système complexe de blanchiment d’argent impliquant plusieurs sociétés où transitaient des fonds de ministères avant que l’argent ne soit transféré sur ses comptes personnels. Le député a fait appel et l’affaire n’a pas réussi à entamer sa popularité.