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[INTERVIEW] Le Premier ministre De Croo : « La Belgique est sortie plus forte des dernières crises »

Le Premier ministre belge Alexander De Croo (Image d’illustration / Source : rtbf.be)

Le Premier ministre belge, l’OpenVLD Alexander de Croo, a accordé à Onésha Afrika, le jeudi 2 mai 2024, une interview exclusive au cours de laquelle plusieurs questions ont été abordées, de la Présidence belge de l’UE aux élections générales en Belgique couplées aux Européennes, et le nombre croissant des acteurs politiques d’origine subsaharienne, en passant par la montée des extrémismes en Europe.

Onésha Afrika : Votre pays, la Belgique, va aux élections le 9 juin. Comment pouvez-vous présenter la physionomie politique de la Belgique à nos lecteurs ?

Alexander de Croo : Tout d’abord, il y a une cinquantaine de pays auront des élections en 2024. Au total 3,5 milliards de gens qui vont voter. Un enjeu énorme. En Belgique, nous aurons les élections régionales, nationales et européennes.
Pour les européennes, c’est la première fois que des jeunes de 16 et 17 ans pourront voter. C’est une bonne chose pour dégager un débat beaucoup plus large au sein d’une population jeune, en leur expliquant l’importance de de la démocratie.
Ce n’est pas toujours certain, parce que dans une société comme la Belgique, il y a surtout l’extrême droite et l’extrême gauche, qui essaient de la positionner comme une difficulté. Mais, nous savons tous que ce n’est pas ainsi que fonctionne la démocratie, où il faut expliquer et peut être trouver un consensus, un compromis entre différentes idées.
On sort là d’une période difficile avec la COVID et les différentes crises autour de la guerre sur notre continent. Mais la Belgique est aujourd’hui plus forte qu’avant la crise : notre pouvoir d’achat a augmenté et le nombre d’emplois dans le pays n’a jamais été aussi élevé que maintenant. Et nous jouons un rôle important au niveau international.
Mais, je ne vais pas vous cacher, au moment où l’extrême gauche et l’extrême droite sont en montée, que moi personnellement, je ne fais pas de la politique contre quelqu’un, mais pour quelque chose. Au lieu de pointer du doigt et de dire « voilà le problème », on a besoin de gens qui lèvent la main et qui disent « qu’est-ce que je peux faire moi-même » et « comment est-ce que je peux améliorer moi-même notre pays ».
On le fait avec des gens qui travaillent ensemble. Donc mon message est : si vous votez pour des gens qui disent à l’avance qu’ils vont bloquer le pays, il ne faut pas être étonné qu’après, le pays le soit.

« L’extrême droite ne nourrit pas de bonnes intentions »

Onésha Afrika : Monsieur le Premier ministre, vous avez insisté sur l’extrême droite. Avez-vous une certaine crainte pour la Belgique ?

A. De Croo : Je ne vais pas parler de crainte mais plutôt, je pense qu’il faut bien expliquer que moi, je ne ferai jamais de gouvernement avec l’extrême droite. Mais dans le Conseil européen, j’ai autour de la table Viktor Orbán, Giorgia Meloni, des collègues d’extrême droite et de pays où les libertés fondamentales sont mises sous pression, et où on touche à des valeurs fondamentales.
On voit partout en Europe que les partis d’extrême gauche par exemple ont du mal à se distancer d’une Russie qui est brutale, qui essaie d’imposer son point de vue à l’Ukraine, que les partis d’extrême droite ont des liens financiers avec la Chine ou la Russie. Il ne faut pas être naïf, dans le monde d’aujourd’hui, l’extrême droite n’a pas de bonnes intentions avec nos sociétés pluralistes et respectueuses.

Onésha Afrika : La Belgique venait d’assumer la présidence du Conseil européen. Qu’est-ce que cela a représenté pour votre pays ?

A. De Croo : C’est un moment important et pour la Belgique c’est déjà la 13ème fois que nous assumons cette présidence. Donc nous avons beaucoup d’expertise. Il y avait beaucoup d’attentes et jusqu’à maintenant, nous avons pu engranger ce que beaucoup attendaient de nous, avec une petite septantaine d’initiatives législatives.
Maintenant on s’oriente vers une partie qui est plus stratégique : ce que la prochaine législature européenne doit avoir sur son agenda, à savoir notre économie et notre capacité industrielle dans un monde qui est devenu beaucoup plus géopolitique. Mais je veux aussi être très clair : l’Europe restera un continent ouvert sur le monde, d’un point de vue social, diplomatique ou militaire, peut être avec un peu moins de naïveté qu’on l’a fait dans le passé.

« La RDC présente de multiples opportunités »

Onésha Afrika : La Belgique a des liens étroits avec certains pays d’Afrique. Qu’est-ce que le continent a pu obtenir de votre présidence ?

A. De Croo : Moi, ce que j’essaie toujours d’expliquer, c’est que l’Afrique est un continent énorme. La problématique du Maroc est différente de celle de la RDC, ou de l’Éthiopie. Dans un sens large, pour notre presidence, nous avons organisé, le 20 mars, un sommet spécifique sur les soins de santé, qui sont le domaine où nous avons beaucoup à faire ensemble.
Les soins de santé sont clairement un domaine dans lequel nous avons de l’expertise. Comme ministre de la Coopération au développement, nous avions déjà monté un projet pour éradiquer la maladie du sommeil en RDC, ensemble avec la fondation Belinda Gates et des partenaires sur le terrain.
Certains pourraient dire que la RDC est confrontée à des difficultés. On voit les problèmes, mais il faut aussi voir les opportunités, avec une population jeune, positive et entrepreneuriale, dans un endroit du monde qui détient un potentiel énorme, qui va au-delà des ressources naturelles, mais aussi un potentiel agricole, climatique. On parle souvent de la forêt amazonienne, mais il y a la forêt équatoriale, qui joue exactement le même rôle. Je pense qu’il faut la valoriser.
Lors de sa visite en RDC en 2022, notre Roi a exprimé ses regrets par rapport au colonialisme. Peu de pays européens l’ont fait. Quand on regarde le passé droit dans les yeux, on peut avoir un futur ensemble. Ce sont les jeunes qui le font maintenant, des entrepreneurs belges jeunes. C’est plutôt une bonne chose, qui montre que nos relations deviennent plus dynamiques.

« Le Rwanda doit cesser son soutien au M23 »

Onésha Afrika : Vous avez parlé de défis. La RDC, puisque vous en parlez, a organisé ses élections générales le 20 décembre 2023, avec la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle. Quelles sont vos relations avec le pouvoir de Kinshasa, et les défis à relever ?

A. De Croo : Elles sont bonnes et j’ai eu l’occasion de rencontrer le président Tshisekedi à Bruxelles, fin février de cette année. Du côté de la population congolaise, il y a des attentes énormes, que j’alignerai dans trois domaines.
D’abord dans la démocratie. Dans un pays aussi vaste comme le Congo, c’est un parcours où chaque fois on doit s’améliorer. On ne peut pas non plus éluder la situation sécuritaire dans l’est du Congo. C’est au Rwanda aujourd’hui de prouver qu’il n’a plus d’influence à travers le M23. C’est aussi au côté congolais – et j’en ai parlé avec le président Tshisekedi – de montrer que par rapport au FDLR, il n’y a plus de liens et qu’on a tout fait pour les neutraliser.
Dernier point, c’est au sujet des droits de l’homme. Il faut une société où les débats peuvent être violents mais dans les mots, pas dans la violence physique. Il faut garder cet espace politique, où il est possible d’avoir ce genre de débat.
La dernière, c’est une diversification économique. La RDC pour l’instant a une très grande dépendance sur les ressources naturelles. Il faut développer d’autres secteurs de l’économie, avec plus de valeur ajoutée qui se fait dans le pays, développer les secteurs de la logistique, de la production d’hydrogène en RDC, où ce potentiel est énorme, et quitter la dépendance aux carburants fossiles. Et là, la Belgique a vraiment la volonté d’être un partenaire. La Belgique a montré qu’elle est un partenaire stable, qui partage les mêmes valeurs sur le plan économique.

« Une coopération Belgique-RDC de longue date sur le plan médical »

Onésha Afrika : Pour le moment, la Belgique et la RDC entretiennent des relations dans quels domaines ?

A. De Croo : Tout d’abord sur le plan militaire, nous avons une trentaine de d’instructeurs militaires belges qui sont en RDC, pour organiser une formation en faveur des FARDC. C’est important, dans un pays comme la RDC, d’avoir une armée organisée. Ensuite, c’est le domaine médical, où nous sommes des partenaires de longue durée. Nous travaillons sur des domaines spécifiques comme la violence sexuelle, souvent utilisée comme une arme de guerre cruelle et qui a détruit des vies et des perspectives de femmes et d’enfants. Il y a aussi l’approvisionnement et la qualité des médicaments, dans lesquels la Belgique a une expertise à apporter. Une entreprises comme Universal a maintenant la capacité de construire des usines de vaccins sur le terrain, au lieu de fabriquer les vaccins ici et de les exporter.

Onésha Afrika : Revenons sur les élections en Belgique, où il y a de plus en plus, comme sur la liste OpenVLD, des Belges d’origine africaine. Comment l’expliquez-vous ?

A. De Croo : Vous savez, les ressortissants africains et congolais font partie de notre société. Ils jouent un rôle important dans notre société, ils sont actifs dans le travail, on voit leurs enfants dans les écoles, ils sont dans notre vie associative. Il faut montrer à tout le monde que si la migration n’est pas toujours facile, ça peut fonctionner si on fait tous un effort. Nous sommes là pour essayer de vivre ensemble.

Onésha Afrika : Avez-vous un mot de la fin pour nos lecteurs ?

A. De Croo : D’abord, je suis content de cette interview, parce que comme Premier ministre, je dois m’adresser à tout le monde et c’est un moyen de le faire à travers votre média. Mon dernier message est de dire qu’on a tous un rôle à jouer, par rapport au fonctionnement de notre pays mais aussi, pour vous, par rapport à comment la RDC fonctionne. Nous avons nos capacités, mais la diaspora a aussi ses capacités et une expérience que nous pouvons mettre ensemble. J’ai écrit un livre qui s’intitule « Pourquoi le meilleur reste à venir ». Si on travaille ensemble et si on utilise les solutions qui sont sur la table maintenant, nous pouvons améliorer notre perspective. La diaspora fait partie de notre société, mais c’est à nous aussi comme Belges de le faire ensemble avec elle en RDC.

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