Par David Gakunzi / Extraits tirés de l’ouvrage : Mémoires du Monde noir

Georges A. Bridgetower : Sons Chauds

Né en 1789 à Biala en Pologne d’un père africain et d’une mère allemande, Georges Bridgetower a été l’un des plus grands violonistes du XIXème siècle. Musicien privé du roi Georges IV d’Angleterre, il fut aussi le grand ami de Beethoven. Il mourra en 1860.
Quoiqu’il interprétât on n’entendait que des pierreries sonores.
Avant de jouer il trempait ses mains dans de l’eau chaude. Et de son violon il sortait des sons chauds.
« Je n’ai jamais entendu quelqu’un jouer aussi bien », disait de lui Ruzzum.

Mac Coy : Really Mac Coy

Mac Coy fut un des grands innovateurs du siècle dernier. Né esclave en 1844, il est surtout connu pour avoir inventé un lubrifiant pour moteur qui porte encore aujourd’hui son nom.
Avant Mac Coy il fallait chaque fois arrêter les machines pour lubrifier.
« Fichtre on perd trop de temps et d’énergie comme ça. » Et Mac Coy fit tourner sa cervelle et on n’eut plus besoin de stopper les machines pour les lubrifier.
Les lubrifiants Mac Coy étaient d’une telle qualité que beaucoup essayèrent de les plagier. Pour ne pas se faire avoir, les clients avant d’acheter posaient toujours la même question : « Est-ce du real Mac Coy ? Est-ce de l’authentique ? ».
Authentique : Mac Coy apprit à la lumière d’une lampe à pétrole.

Massacre de Kassinga
L’autre versant de la nuit

Le 4 mai 1978, un camp de réfugiés namibiens est attaqué par l’armée sud-africaine. Le bilan est lourd : plus de 900 morts.
Ils sont venus de l’autre versant de la nuit. Ils sont arrivés au petit matin. Comme un éclair annonçant la mort. Rapaces haletant de haine, ils sont descendus du ciel. Griffes et bras acérés, ils ont déchiqueté prunelles et yeux, gorges et seins, bras et jambes. Ils ont boursouflé des enfants.
Repus de morts, comme des vampires revenant d’un festin, ils sont repartis dégoulinant de sang. Laissant derrière eux l’horreur qui défie la création.

René Maran
Batouala

Le 29 novembre 1921, René Maran obtient le prix Goncourt pour son roman Batouala. Né le 5 novembre 1887 à Fort-de-France, René Maran passe son enfance et son adolescence en France avant d’entamer une tranquille carrière dans l’administration coloniale à Bangui jusqu’au scandale déclenché par la parution de son livre Batouala qui décrit les horreurs de la colonisation. C’est dans le dénuement le plus total qu’il meurt à Paris le 9 mai 1960.
De sa véranda, allongé sur une chaise longue par les soirs de lune, il recueillit tout ce qui se disait : les rires et les sanglots des cœurs meurtris par la civilisation.
Les rires nostalgiques sur les temps anciens avant la venue des civilisateurs, où on vivait heureux. Les sanglots sur les temps présents, les temps de portage et de l’humiliation.
De sa véranda, il s’éleva d’une chaise longue, par les soirs de lune et appela au secours ses frères en esprit de France : « C’est à redresser tout ce que l’administration désigne sous l’euphémisme « d’errements » que je vous convie. La lutte sera serrée. Vous allez affronter des négriers. Il vous sera plus dur de lutter contre eux que contre des moulins. Votre tâche est belle. À l’œuvre donc et sans plus attendre. La France le veut. »

L’occupation de l’Éthiopie
Depuis hier 5 mai 1941, une fois encore la force a le dessus sur le droit. Addis-Abeba est occupée.

Les gaz chimiques, le pétrole britannique, les munitions allemandes, le silence de la communauté internationale ont rendu possible l’avancée des troupes de Mussolini. Longtemps, bien avant Guernica, l’aviation italienne a bombardé des populations civiles. Le Négus Hailé Sélassié est en route pour Gibraltar. Du haut du balcon de Palazzo Venezzia, Mussolini peut proclamer devant la foule, la renaissance de l’Empire romain. « L’Italie possède enfin son empire. Empire fasciste car il porte l’empreinte ineffaçable de la volonté et de la puissance du Littorio Romain. » Et le général Nemours, délégué de Haïti à l’assemblée de la Société des Nations à Genève d’avertir : « Il n’y a pas deux vérités, l’une pour l’Afrique, l’autre pour l’Europe… Si nous laissons se commettre l’injustice et une nouvelle fois étouffer la voix de la victime, craignons un jour d’être l’Éthiopie de quelqu’un. »
Cinq ans jour pour jour après sa chute, Addis-Abeba est de nouveau libre.
Sur le balcon du Palazzo Venezzia, Mussolini essaie de consoler quelques milliers de fascistes endiablés : « Je sais que des millions et des millions d’Italiens souffrent d’un mal indéfinissable et qui s’appelle le mal de l’Afrique. Pour le guérir, il n’y a qu’un moyen, retourner là-bas. Et nous y retournerons. » Ce sera le dernier discours de Mussolini avant sa chute.

Mau Mau
Quel genre d’homme es-tu ?

En 1952, la révolte est partout au Kenya. Le mouvement Mau Mau sème la panique chez les colons britanniques.
Quand les colons sont arrivés au Kenya, ils avaient la Bible dans une main et le fusil dans l’autre. Ils ont donné aux Kenyans la Bible et ils ont pris en échange les terres. En 1915, environ 4 millions et demi d’âcres d’excellentes terres, au centre du Kenya étaient déjà dans les mains d’un millier des fermiers blancs. Mieux, en 1950 on compte 4.000 fermiers blancs sur 7,3 millions d’âcres… Pour récupérer leur terre les Kenyans ont organisé des marches. Mais ça n’a pas marché. Ils ont signé des pétitions, ça n’a pas apporté des solutions. Alors, alors ils se sont dit : « Puisque, puisque c’est le seul langage, la seule langue qu’ils comprennent…». Pour la terre et la liberté ils ont pris les armes. Ainsi est né le mouvement Mau Mau. Son appel se transmet de bouche à oreille, de case à maison, de village en ville… « Quel genre d’homme es-tu ? Ne veux-tu pas être libre aussi ? Où tes taire-tu quand la lutte pour la terre bat son plein ? Qu’est-ce que tu attends ? Le moment est venu. Qu’est-ce que tu attends ? ».
En réaction, la Grande-Bretagne a décrété l’état d’urgence : c’est la chasse à l’homme. 10.000 Africains seront tués et 90.000 regroupés dans des camps de concentration. La puissance coloniale, elle, perd 50.000 soldats et policiers et 60.000 livres et surtout l’espoir de faire du Kenya une nouvelle Rhodésie (Zimbabwe actuel). Une nouvelle Afrique du Sud. Parce que Mau Mau est arrivé.

Don Ramon Castilla
À la Molina je n’irai plus

En 1854, Don Ramon Castilla, président de la république du Pérou décrète la libération des Noirs du Pérou. Une chanson populaire ponctuée de mots d’origine africaine, salue encore aujourd’hui cet événement.
Va, vavavavavava, Para-pati-pita, samurengue manioc de San Borja, samurengue sa. A la vira Zana, mon Dieu que c’est bon !
À la Molina je n’irai plus : il pleut des coups de fouet sans arrêt (bis).
La commère Tomasa / et le compère Pascual ont eu trente enfants. Bon Dieu / Quelle calamité !
Ils furent tous esclaves / bien contre leur gré.
À la Molina je n’irai plus. Ils ont tant souffert, pauvres petits Noirs pas beaucoup manger, beaucoup travailler.
À la Molina je n’irai plus. Enfin pour nous tous / descendit du ciel.
Don Ramon Castilla / Sainte Liberté. À la Molina je n’irai plus. Va, vavavavavava. Parpati-pita, samurengue manioc de San Borja, samurengue sa.

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