Accueil Politique Félix Tshisekedi et Paul Kagame: Entre rancœur et réconciliation, la justice ?

Félix Tshisekedi et Paul Kagame: Entre rancœur et réconciliation, la justice ?

Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, les relations entre la République démocratique du Congo et ses voisins de l’Est, l’Ouganda, le Burundi et plus particulièrement le Rwanda, sont plutôt mauvaises, sinon exécrables.

En cause ? Ces conflits, vieux de vingt ans, qualifiés tantôt de guerre d’agression, tantôt de rébellions appuyées par ces voisins.

Pour la grande majorité des Congolais, ces voisins, le Rwanda en tête, sont, d’une manière ou d’une autre, responsables des millions de morts enregistrés dans l’est de leur pays. Les observateurs avertis n’ignorent pas le rôle et la responsabilité première des multinationales et de certains pays occidentaux, ni leurs vraies motivations, qui sont le pillage des matières premières dont l’Est du pays regorge.

Dans ce contexte, le président de la RDC à entrepris des actions diplomatiques à l’égard de ces voisins, faites de quête de rapprochements et de discours pacifiques : « Nos pays resteront voisins pour toute la vie. Se faire la guerre, entretenir des tensions inutiles, c’est une perte de temps. C’est une perte de temps que nous aurions pu mettre à profit pour bâtir, pour reconstruire ».

Également de visites, notamment celle du 25 mars 2019, où Félix Tshisekedi s’est incliné, à Kigali, devant le mémorial du génocide rwandais. Tout comme l’absence de réactions directes à certains propos jugés négationnistes de son homologue rwandais, qui a déclaré, sur une chaîne de télévision internationale qu’ »il n’y a pas eu de crimes, absolument pas ».

Ces actions, disions-nous, sont perçues de diverses manières: Inquiétude, émotion et dépit, notamment chez certaines populations de l’Est du pays, qui vivent ces violences au quotidien. Incompréhension d’une grande partie de la population et doute et perplexité quant à la capacité du président à défendre les intérêts des Congolais. En outre, il y a les autres, certains politiciens et chefs religieux, mais aussi certains journalistes dits « engagés ».

Dans cette catégorie, les partisans d’une rupture des relations diplomatiques et de la fermeture des frontières ou même de l’érection d’un mur de séparation entre les deux pays. Dans ce cas de figure, on se demande où nos frères de Goma auraient pu trouver refuge lors de l’éruption du volcan Nyiragongo. Mais comme on a pu l’observer, la réaction de Félix Tshisekedi a été, comme à l’accoutumé, sage, pacifique, modérée et diplomatique.

« Le rapport Mapping a été élaboré par des experts des Nations Unies. Je n’ai pas de polémique à faire. Je tiens à ce que la paix revienne à l’est de la RDC. Il appartiendra à la justice de designer les coupables »

Plus loin, il demande à Kagame de coopérer avec la justice, en livrant les personnes citées dans ce rapport. Cette réaction du Chef aura eu plus d’effet que toutes celles qui ont été faites avant, puisque, le 26 mai, le président Kagame s’est dédit, en déclarant qu’il ne commenterait plus le rapport Mapping, et en reconnaissant qu’il y avait eu des morts au Rwanda et en RDC. Il est bon de signaler ici, que l’attitude du Président congolais s’inscrit dans la logique des engagements pris dans son discours d’investiture de janvier 2020 :

« L’intégration régionale est l’une des premières sources de diversification de notre économie. Nous comptons apporter une innovation dans le cadre de projets communs en coopérant avec tous les pays de la région en commençant par nos voisins ».

Alors que les conflits ne sont pas complètement terminés, que les groupes qui sèment la mort ne sont pas tous éradiqués, que les blessures sont encore béantes, que la rancœur et le ressentiment, voire la haine, sont dans les cœurs, l’attitude des présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame nous rappelle celle d’autres grands esprits qui, à une période particulière de la vie de leur nation, ont pris des risques pour leur carrière politique et parfois pour leur vie, en allant à contre-courant de leurs opinions publiques : intégration européenne que la paix entre ces nations. Charles De Gaule et Konrad Adenauer ; Anouar El Sadate et Menahem Begin ; Nelson Mandela et Frederick Declercq.


Le « mur de la honte » et la construction européenne

En 1961, c’est l’érection du « Mur de Berlin », séparant la capitale allemande en deux et symbolisant la haine et la « guerre froide » que se livrent les pays d’Europe de l’Ouest et leurs alliés américains, d’un côté, et les pays communistes, l’Urss en tête de l’autre. Deux ans plus tard, le 22 janvier 1963, deux grandes personnalités, le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle, se situant dans une démarche tout à fait opposée, une démarche de pardon, de paix et de réconciliation, signent le Traité de l’Elysée, qui est l’aboutissement d’un long processus dont voici les différentes étapes :

1951, le 18 avril, six États créent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). 1957, 25 mars, signature du Traité de Rome, qui instaure la Communauté Economique Européenne, « CEE », entre les six pays suivants: France, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Belgique, Luxembourg. C’est le « Marché commun ». Plus tard, le 16 février 1992, la signature du Traité de Maastricht consacrera la création de l’Union Européenne, qui compte aujourd’hui, 27 pays. Il est clair que les mécanismes de coopération et de résolution des contentieux mis en place par ces traités, rendent irréversibles aussi bien l’intégration européenne que la paix entre ces nations.


Anouar El Sadate en Israël, un pari risqué

Le conflit entre Israël et les pays arabes voisins commence par une guerre, au lendemain de la création de l’État d’Israël, en 1948. Cette guerre est perdue par les Arabes, qui signent un armistice en 1949.

Du 6 au 10 juin 1967 a lieu la « Guerre de Six jours », à l’initiative d’Israël, qui inflige une défaite cuisante à la coalition des pays arabes. La « Guerre du Yom Kippour », en octobre 1973, permet aux Arabes, l’Egypte en tête, d’effacer les humiliations précédentes. Auréolé de cette victoire, qui lui confère un nouveau prestige dans le monde arabe, et guidé par un certain nombre d’autres considérations liées aux relations de l’Egypte avec les Etats-Unis, Anouar El Sadate décide de faire la paix avec Israël.

Il se rendra à Jérusalem, en 1977, dans une visite historique d’un dirigeant arabe dans la Ville sainte, et il prononcera, à la Knesett, un discours de paix. Un traité de paix égypto-israélien sera signé. Le président égyptien et son partenaire israélien Menahem Begin, seront récompensés par un Prix Nobel de la Paix. Anouar El Sadate est sans doute allé trop loin pour les extrémistes arabes. L’Égypte sera exclue de la Ligue arabe, dont le siège quitte Le Caire pour Tunis. Quatre ans après son voyage historique, le Raïs égyptien est assassiné, au Caire, par un commando du Jihad égyptien, lors d’un défilé, c’est-à-dire en direct, à la télévision.


Nelson Mandela et la nation arc-enciel

Après 27 ans d’incarcération dans la célèbre prison de Roben Island, Nelson Mandela avait toutes les raisons de ressentir une haine profonde contre le pouvoir blanc, qui avait organisé, en Afrique du Sud, un système de ségrégation raciale et une persécution contre les Noirs. Un système qui, à certain égards, rappelaient les exactions nazies contre les Juifs, en Allemagne.

Et pourtant, Nelson Mandela, devenu président, est parvenu à transcender ses rancœurs personnelles et s’est employé à créer un climat d’apaisement, qui a permis l’instauration d’une démocratie multiraciale stable, basée sur la réconciliation et la coexistence pacifique, dans le cadre de ce qui sera appelé la « nation arc-en ciel ».

La paix et la stabilité politique ne pouvant s’obtenir sans la justice, Mandela va créer la « Commission Vérité et Réconciliation », pour que lumière soit faite sur les violations des droits de l’homme sous l’apartheid. Nelson Mandela aura trouvé, en Fredrick de Klerk, président de l’Afrique du Sud entre 1989 et 1994, un allié pragmatique et disposé à entreprendre les réformes qu’imposaient les réalités politiques internationales nouvelles. Les deux personnalités obtiendront également le Prix Nobel de la Paix, en 1993.


Tshisekedi et Kagame également de la race des grands ?

Les initiatives des deux chefs d’État congolais et rwandais seront-elles comprises à leur juste valeur ? Parviendront-elles à être concrétisées ? Dans cette hypothèse, est-il utopique de rêver, pour eux aussi, d’un prix Nobel de la paix, à l’instar de Sadate et Begin, d’Arafat, Rabin et Shimon Peres ? La question reste posée.

Victor Emmanuel Efomi / OLV

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