Détenir une arme à feu est, pour le citoyen américain, un droit quasi inaliénable ; les nombreux drames auxquels on assiste depuis des années ainsi que la volonté manifestée par certaines personnalités de premier plan pour une réduction ou une limitation à ce droit n’ont pas pu le remettre en cause.

Parmi les cas récents : Ce tout jeune enfant de 2 ans qui, au Texas en 2021, s’est tué avec une arme à feu chargée, trouvée dans le sac à dos d’un proche de la famille.

Cet autre enfant, à peine plus âgé (il a 3 ans) qui, en mars 2022 près de Chicago, tue accidentellement sa mère, en jouant avec une arme à feu. Et, en 2023, un enfant de 6 ans tire sur sa maîtresse.

Les décès par les armes à feu détenues dans les familles américaines sont statistiquement plus nombreux chez les jeunes de moins de 19 ans que ceux dus à des accidents de la circulation.

Selon des études menées par les autorités sanitaires, si en 2020, par exemple, on a enregistré 4 036 cas de décès causés par des accidents de la route, 4 368 enfants, soit près de 10% en plus, sont décédés des suites d’une blessure causée par une arme à feu. Les 2/3 de ces cas sont des homicides et, le reste, des accidents.

Certaines statistiques sont effrayantes. Des particuliers américains détiennent plus de 300 millions d’armes à feu, soit une moyenne de 1,2 arme par habitants. Des armes à feu sont utilisées dans 9% des crimes violents, et dans 26% des vols et tentatives de vols.

Les foyers détenant une arme à feu présentent un taux de suicide 5 fois plus élevé que la moyenne. En 2007, près de 12 700 meurtres ont été commis avec une arme à feu et plus de 2 000 mineurs ont été tués par arme ces dix dernières années. Le taux des suicides par armes à feu, au pays de l’Oncle Sam, est à 57%, soit le plus élevé au monde.

Origines historiques

Aux Etats-Unis, jamais sans les armes (Source : lemonde.fr)

Le droit à la détention et au port d’armes relève de la spécificité de l’histoire des Etats-Unis et est garanti par le deuxième amendement de la Constitution. Les assemblées législatives des différents Etats fédérés, ainsi que, dans une moindre mesure, les gouvernements locaux, ont des prérogatives leur permettant de prendre, respectivement, des lois et des ordonnances, en vue d’encadrer la détention d’une arme à feu.

Le deuxième amendement résume parfaitement la philosophie qui soutenait cette décision du législateur : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité dans un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé ».
Cet amendement fait partie des 10 autres, rédigés et votés le 15 décembre 1791, et constituant ce qui est appelé Déclaration des Droits (Bill of Rights).

Détenir une arme pour lutter contre toute forme de tyrannie, telle est, à l’origine, la motivation des concepteurs et rédacteurs de ce Bill of Rights, qui se sont référés à des épisodes de l’histoire de ce pays où des tyrans avaient éliminé toute résistance, en « retirant les armes au peuple et en rendant illégal le fait d’en conserver afin de supprimer les opposants politiques aux autorités des gouvernements locaux, pour qu’ils puissent imposer au peuple et lui imposer des règles, via une armée de métier ».

Ils ont eu aussi en mémoire la situation qui a prévalu, dans le Sud esclavagiste et les craintes exprimées par des propriétaires d’esclaves dans des régions où le nombre d’esclaves captifs était parfois très largement supérieur à celui des hommes blancs libres.

Ces craintes ont été par ailleurs accentuées par les informations parvenues à ces esclavagistes sur la révolte des esclaves en Haïti, qui, en 13 ans de conflit armé, a fait des dizaines de milliers de morts et a provoqué le départ de toute la population blanche. Ce qui en fera, en 1804, le premier pays noir libre du Nouveau Monde, après Saint-Domingue, une colonie française.

Si, au départ, la préoccupation est de permettre que l’État puisse être défendu par une communauté armée et parfaitement régulée, cet amendement a été de plus en plus interprété comme une possibilité « d’auto-défense d’un citoyen contre un autre ».

Le lobby pro-armes et la National Rifle Association of America

La « National Rifle Association of America », NRA, est peut-être la plus importante organisation de défense du droit à la détention et au port d’arme à feu, par son implantation nationale et ses liens internationaux ainsi que sa forte capacité financière.

Cette organisation s’est révélée incontournable dans le débat concernant la détention d’armes aux États-Unis. Bien qu’apolitique et ne poursuivant officiellement que le but noble affiché de défendre l’application strict du deuxième amendement, on ne peut nier ses liens, même indirects, avec les industries des armes, ne serait-ce que par le fait des contributions financières de celles-ci à son budget de fonctionnement. 

Cette association s’est fortement engagée en politique, en soutenant, y compris financièrement, des candidats jugés « compatibles » avec ses idées. C’est ainsi qu’elle appuiera, en 2016, la candidature de Donald Trump, par un financement de l’ordre de 31 millions de dollars, alors que, quelques années plus tôt, elle avait combattu, sans succès il est vrai, malgré les moyens financiers mis en jeu, celle de Barack Obama.

Elle s’est en outre investi dans une démarche auprès du Congrès pour que les fabricants d’armes bénéficient de lois qui les protègent dans certains types de procès.  

L’impossible remise en cause

Les partisans du contrôle des armes à feu et des mesures de sécurité des armes à feu organisent un rassemblement de protestation devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, DC, le 2 décembre. SAUL LOEB/AFP/GETTY (Source : newsweek.com)

Les drames vécus par les familles ont poussé des citoyens à s’organiser en lobbys pour promouvoir certains contrôles et certaines limitations à l’accès à ce droit de détenir et de porter une arme à feu. 

En juillet 2022, un vote a lieu au Congrès sur l’interdiction des fusils d’assaut, avec un verdict très serré de 217 voix contre 213. On voit toute la difficulté de changer les choses tant la résistance est farouche.

Ces associations ne remettent pas en cause le principe sacré gravé dans la constitution. C’est ainsi que, chaque fois qu’il y eu des tueries de masse, notamment, dans des écoles, ces lobbys pro-contrôle ont l’occasion de s’exprimer et il se constate que la côte de popularité de la NRA et des autres lobbys pro-armes baisse quelque peu.

Aux États-Unis, la détention d’une arme est une vieille tradition et un fait culturel parfaitement ancrés dans les mentalités et les habitudes du plus grand nombre. Dans l’esprit de beaucoup de gens, les drames connus sont assimilables à des accidents.

Pour la majorité des Américains, si personne ne pense remettre en cause la possession, par les particuliers, de voitures individuelles sous prétexte qu’elles font chaque année de nombreux morts, il est clair que la même logique doit être appliquée pour les armes à feu. D’autres peuples ont peut-être du mal à comprendre, mais… la culture, les coutumes et les traditions ont leur raison que la raison ignore.

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