Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a récemment tiré la sonnette d’alarme en évoquant les phénomènes météorologiques extrêmes qui se produisent aux quatre coins du globe.

Tandis que les températures moyennes battent des records, un autre phénomène climatique, El Niño, risque d’apporter, dans les mois à venir, quelques perturbations supplémentaires à l’échelle de la planète, comme l’explique Julien Boucharel, climatologue et chercheur en océanographie physique et science du climat à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

D’emblée, il croit, au sujet du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a évoqué récemment un « effondrement climatique », en réaction à des records de chaleur de l’été 2023 dans l’hémisphère Nord, qu’Antonio Guterres est un spécialiste des phrases un peu chocs. « J’imagine que le terme a été choisi dans une volonté d’un petit peu faire bouger les politiques publiques et les pouvoirs publics.

Après, c’est vrai que ça fait débat, parce qu’il a dit en anglais : « Climate breakdown has begun ». « Climate breakdown » peut se traduire de plusieurs façons, et notamment cela peut se référer à un passage d’un point de rupture ou un point de bascule – « tipping point » – qu’on aime beaucoup employer dans nos publications scientifiques.

Et effectivement, c’est que l’un des « tipping points » qu’on s’est fixé, ce sont ces fameux 1,5 degré de l’accord de Paris. Et c’est exact qu’avec cette année 2023 très chaude, il semblerait que l’on ait des chances d’arriver à cette augmentation des températures de surface de 1,5 degré.

En effet, il y a quelques études scientifiques qui sont parues très récemment et qui mettent en jeu trois facteurs clés pour cette augmentation très forte des températures au cours de l’année 2023. Il y a tout d’abord les feux de forêt, en particulier au Canada, qui ont libéré une quantité phénoménale de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, qui accélère encore plus l’effet de serre.

Il y a également l’explosion du volcan sous-marin au Tonga, qui a eu lieu en 2022 et qui a relâché dans l’atmosphère une quantité aussi très forte de vapeur d’eau qui représente la plus grande contributrice à l’effet de serre. Et enfin, il y a aussi, évidemment, le phénomène El Niño, qui est en plein développement et qui induit un réchauffement très fort des eaux du Pacifique et de l’atmosphère en général.

Donc, ces trois facteurs vont contribuer à une année beaucoup plus chaude que les autres et avec des probabilités de passer ce seuil de 1,5 degré qui atteindrait les 70% d’ici à la fin de l’année. 

Mais cela ne veut pas forcément dire que les accords de Paris sont fichus. Le fait de franchir 1,5 degré, c’est sur une seule année, cela ne veut pas forcément dire que cette valeur serait franchie à l’échelle de la décennie. Il peut y avoir généralement les événements El Niña (période froide) qui suivent les événements El Niño. Donc, les années à venir peuvent voir un refroidissement, on va dire naturel du climat, qui pourrait un peu tempérer cette augmentation massive des températures sur l’année 2023.

Antonio Guterres veut secouer les pouvoirs publics

Le chef de l’ONU, Antonion Guterres, exhorte les dirigeants de tous les pays à déclarer « l’urgence climatique » (Source : Reuters.com)

ll faut mettre les choses en perspective, mais je pense que le terme qui est employé par le secrétaire général de l’ONU, c’était vraiment « un coup de gueule » pour essayer de secouer les pouvoirs publics et passer un peu plus rapidement à l’action. 

Quant à l’influence des actions en cours au niveau des États et au niveau des citoyens, le climatologue estime qu’elles ne sont pas suffisantes aux vues du probable dépassement de 1.5 degrés Celsius en 2023, alors que celui-ci était anticipé plus tard par le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Il y a cette tendance sur le long terme que l’on voit sur les dernières décennies, voire sur le dernier siècle. Mais dans les années 2000 et 2010, il y a eu un ralentissement du réchauffement climatique qui était dû à une variabilité naturelle du climat qui s’exprime sur une gamme d’échelles temporelles très différentes : allant de la journée jusqu’à la décennie.

Cette période était marquée par une phase froide de la variabilité décennale du Pacifique, ce qui a légèrement ralenti la tendance générale au réchauffement et ce que les scientifiques ont appelé un hiatus.

Mais en fait, depuis la fin des années 2010, on est repassé sur une phase chaude de cette variabilité décennale et qui se surimpose à la tendance globale. Donc, c’est pour ça que sur les dernières années, on voit une accélération du réchauffement qui est due non seulement à la tendance anthropique, mais aussi à cette variabilité naturelle du climat.

Un réel réchauffement global ?

Le ralentissement qu’on a pu observer il y a quelques années a pu faire le pain béni des climato-sceptiques. Là, c’est clair qu’ils ne peuvent plus rien dire. Tous les signaux sont au rouge : avec cette variabilité naturelle du climat qui est dans une phase chaude et cette tendance évidemment anthropique qui, elle, ne semble pas près de s’arrêter, si l’on ne met pas en place des politiques un peu plus fortes. À priori, les mesures de toutes les variables climatiques nous montrent bien que ça ne l’est pas. 

Pour le point de réversibilité, c’est très compliqué. Le système climatique est une machine complexe, très fortement non linéaire, avec des rétroactions qui peuvent se mettre en place, que l’on ne connaît pas forcément. Mais c’est vrai, il y a un point de bascule (ce fameux seuil des 1.5 degré Celsius) qu’on est en train de franchir. Cela étant, il y a des solutions.

Je suis revenu en France en tant que lauréat de l’appel du président Macron, « Make our planet great again », qui avait pour but d’attirer trois grandes catégories de scientifiques, ceux qui étudiaient les causes de la variabilité et du réchauffement climatique, ceux qui étudiaient les impacts du changement climatique sur les écosystèmes par exemple et ceux qui étudiaient les possibles solutions technologiques.

Les solutions, ce sont par exemple les énergies alternatives, les batteries, les solutions de captage de carbone…. et ce que je vois en ayant côtoyé ces chercheurs qui sont d’une communauté scientifique différente de la mienne, c’est que les solutions technologiques et techniques existent. Que cela soit pour optimiser les panneaux solaires, pour rendre les batteries plus efficaces…. Donc, il faut maintenant une volonté politique pour les mettre en place. 

Julien Boucharel estime que, de manière générale, il faut appliquer les solutions technologiques d’alternatives aux énergies fossiles lorsqu’elles existent et ne pas se contenter de beaux discours. La consommation des énergies fossiles est toujours constante, voire en augmentation. 

Il y a eu ce petit ralentissement pendant la pandémie de Covid, mais on voit bien par exemple que le trafic aérien a repris de plus belle.

Le travail remarquable du Giec

Réunion du GIEC, organisme intergouvernemental pour l’étude des changements climatiques (Image : greenflex.jpg)

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a apporté des conclusions scientifiques irréfutables, mais il n’a aucun pouvoir décisionnaire. D’un point de vue scientifique, c’est tout de même remarquable qu’une communauté scientifique soit arrivée à un tel accord.

C’est l’un des plus grands consensus scientifiques que l’on ait pu voir jusqu’à présent. Faire bouger les choses reste maintenant du ressort des politiques. Peut-être qu’un changement arriverait plus vite au niveau des politiques locales et des actions citoyennes, car le citoyen lambda semble de plus en plus concerné. Si on arrive à faire changer certaines choses localement, cela va peut-être forcer une politique globale et nationale à évoluer. 

El Niño en question

Phénomène côtier El Niño au Pérou (Image d’archive : radionacional.com.pe)

Expliquant le phénomène El Niño, l’un des trois facteurs qui ont contribué au record des températures de l’été 2023, le climatologue précise qu’il s’agit de la phase chaude de l’oscillation climatique El Nino Southern Oscillation (ENSO ou oscillation australe en français) et La Niña en est la phase froide. ENSO est phénomène climatique, une variabilité naturelle du système climatique qui s’opère dans le Pacifique. C’est le mode de variabilité qui domine le climat aux échelles saisonnières à décennales.

El Niño est caractérisé par le réchauffement des eaux du bassin Pacifique tropical. Ce réchauffement des eaux de surfaces océaniques s’accompagne d’une augmentation de la convection atmosphérique qui libère cette énergie dans l’atmosphère et qui va être redistribuée globalement par la circulation atmosphérique (les vents).

Ce dérèglement à la fois océanique et atmosphérique va être responsable de nombreux impacts différents selon les régions : inondation, sècheresse, vague de chaleur, feux de forêt, cyclones tropicaux, blanchiment de courant, impact sur les pêcheries et les écosystèmes en général partout sur le globe. C’est ce que l’on a pu voir notamment lors des très forts évènements de 1982, 1997 et plus récemment en 2015 et ce à quoi il va falloir s’attendre cette année avec un pic de l’évènement attendu entre septembre et février prochain, selon les dernières prédictions.

Globalement, El Niño entraîne le déplacement des eaux chaudes de surface et de la convection atmosphérique associée vers le Pacifique Est et les côtes sud-américaines qui sont d’ordinaires caractérisées par des eaux relativement froides. Cela va entraîner un bouleversement des écosystèmes marins dans cette région où les pêcheries représentent la ressource économique majeure des populations ; il va y avoir aussi plus de précipitations dans cette partie-là du bassin.

Les côtes péruviennes, équatoriennes et chiliennes sont plutôt désertiques, sèches, donc quand elles reçoivent des précipitations anormalement fortes, cela peut provoquer des coulées de boue, des inondations très fortes….

À l’inverse, dans la partie ouest du bassin Pacifique vers l’Australie, les territoires d’outre-mer de la France, la Nouvelle-Calédonie, ou encore en Indonésie, il va y avoir, en fait, plus de sécheresses qui vont amener globalement plus de feux de forêt. Le déplacement de cette énergie dans l’atmosphère favorise aussi une augmentation de l’activité cyclonique dans le Pacifique centre ouest.

El Niño peut également affecter les tempêtes extra-tropicales en modifiant le rail des dépressions, les fameux jet-streams qui encerclent le globe aux hautes latitudes. Donc même si statistiquement, c’est un peu ténu, El Niño peut potentiellement entraîner des effets sur le climat européen.

El Niño tous les trois à sept mois

Les effets d’El Niño peuvent être très différents selon que cette oscillation est dans une phase positive ou négative. Le problème c’est que cette oscillation atlantique est plus difficile à prévoir qu’ENSO sur le long-terme.

El Niño revient en moyenne tous les trois à sept ans. Le dernier épisode très fort, c’était en 2015-2016. Avant, c’était en 1997-1998 et encore avant, c’était en 1982-1983 avec un phénomène qui s’initie à la fin du printemps ou au début d’été et dure généralement jusqu’à la fin de l’hiver suivant.

Dans le contexte du dérèglement climatique, on regarde les projections des modèles climatiques effectuées par le Giec. Jusqu’à présent, il n’y a pas de significativité statistique pour dire qu’il y aurait plus de phénomènes El Niño. En revanche, ce qu’on peut voir de manière assez sûre c’est que ceux qui vont se produire auront tendance à être beaucoup plus forts. Et quand le phénomène El Niño gagne en amplitude, ses impacts gagnent en ampleur. 

Dans le contexte du réchauffement climatique, les ouragans et les tempêtes tropicales atteignent parfois des forces jusqu’ici inédites.

Publicité