« Le Rumble in the jungle » est sans aucun doute le plus grand évènement sportif de tous les temps. En son 50ème anniversaire, sa légende est encore bien vivante.
C’est en 1867 que le premier match selon les règles du Marquis de Queensberry a eu lieu au Nevada. Par la suite, celles-ci furent adoptées partout dans le monde et au cours des années perfectionnées.
Des balbutiements de la boxe moderne dans des salles obscures, en passant par les salles mythiques comme le Blue Horizon à Philadelphie et le Madison Square Garden à New York, puis des arènes comme le Caesars Palace et le MGM Grand Garden Arena à Las Vegas à ce qu’elle est devenue aujourd’hui, la boxe reste populaire. Elle ne cesse de se réinventer dans des méga-promotions dans les déserts d’Arabie Saoudite où les plus grands champions s’affrontent.
Toute l’histoire du noble art est parsemée de rivalités de légende. Que ce soit dans les catégories les plus légères comme chez les plumes entre Willy Pep et Sandy Saddler, ou chez les moyens entre Sugar Ray Robinson et Jake Lamotta, plus près de nous, les combats entre Marvin Hagler, Thomas Hearns, Sugar Ray Leonard et Roberto Duran, que l’on surnommait les « Fabulous Four », ou encore chez les mi-lourds avec les légendaires confrontations entre Matthew Saad Muhammad et John Conteh.
On ne peut raconter celle-ci sans citer les trois combats épiques entre Mohamed Ali et Joe Frazier dont le dantesque « Thrilla in Manilla » en 1975, combat au cours duquel Ali dira que c’était la chose la plus proche de la mort qu’il avait expérimentée.
Chaque moment de cette histoire a ses héros, ses champions, ses icones déchues, mais on peut le dire sans l’ombre d’une hésitation, la période de 1964 à 1978, dans la catégorie reine des poids lourds fut la plus grande du Noble art.
Plus de 20 boxeurs auraient pu prétendre au titre mondial, Cleveland Williams, Ken Norton, Ernie Terrell, Zora Folley, Jerry Quarry, Jimmy Ellis et tant d’autres.
Simplement, ils ont trouvé sur leur chemin des pugilistes d’exception comme Joe Frazier et George Foreman et, bien entendu, le plus grand de tous les temps, « The greatest » Mohamed Ali !
La boxe pour lutter contre la ségrégation
Cette période unique qui commence par l’avènement de Mohamed Ali comme champion du monde en 1964, portant à l’époque le nom de Cassius Clay, se conjugue avec la lutte pour les droits civiques des noirs menée par Martin Luther King.
En fait, toute l’histoire de la boxe aux Etats-Unis est liée à l’émancipation des Noirs américains. Elle leur a permis de s’affirmer et de gravir les échelons de la société américaine.
Avant l’avènement d’Ali, deux boxeurs d’exception avaient ouvert la voie pour faire sauter les barrières de la ségrégation .
Le premier fut Jack Johnson, 1er champion du monde noir des poids lourds entre 1908 et 1915. Il défrayait la chronique car ses compagnes étaient des femmes blanches. Confronté à un racisme permanent, il affronte en 1910 l’ancien champion du monde des poids lourds Jim Jeffries qui déclare : « je vais combattre dans le seul but de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un nègre ». Ce dernier après deux voyages au tapis abandonne.
À travers les États-Unis, suite à la victoire de Johnson, les meurtres de Noirs se comptent par dizaines. Malgré cela Johnson avait démontré au monde qu’un Noir valait tout autant qu’un Blanc.
Le second fut Joe Louis, un champion d’exception, 12 ans de règne, le plus long de l’histoire des poids lourds avec 26 défenses de son titre. Battu par l’allemand Max Schmeling en juin 1936, symbole du Parti Nazi bien qu’il y soit hostile, Joe Louis obtint sa revanche en 1938 en le mettant KO au 1er round. Cette victoire fit que l’Amérique entière se rangea derrière lui. Il fut aussi un briseur des barrières raciales.
Puis arriva Mohamed Ali en 1964. Un boxeur d’une autre dimension dans tous les sens du terme. Entre 1964 et 1967, il était le poids lourd le plus rapide de tous les temps, dominant la catégorie avec brio, rapidité et puissance.
Mais il n’était pas que cela, il était aussi un fervent défenseur des droits de ses compatriotes afro-américains. Pour avoir refusé d’aller se battre au Vietnam pour ce qu’il considérait comme une guerre pour Blancs et avoir dit qu’« aucun Viêt-Cong ne m’a jamais traité de Nègre », il perdit son titre et fut interdit de boxer de 1967 à 1971. Il devint alors une véritable icone pour la lutte des droits civiques mais aussi de toute une génération, Blancs et Noirs confondus pour son refus de combattre.
When we were Kings
Si la 3ème confrontation entre Ali et Frazier à Manille, le 1er octobre 1975, a souvent été considérée comme le combat du siècle par nombre d’experts, il ne fait aucun doute que c’est le combat Ali-Foreman, « The Rumble in the Jungle » qui marqua les esprits et envoya à travers le monde de par son ampleur une vague de passion mondiale pour la boxe et Ali, jamais égalée jusque-là et qui ne le sera plus jamais.
Le voyage presque initiatique d’Ali après sa suspension ainsi que son retour sur le ring et vers l’Afrique, terre de ses ancêtres, pour le combat qui marqua des générations entières, est tout simplement extraordinaire.
En effet, le Ali qui est de retour sur le ring après quatre années d’absence est totalement différent, sa légendaire rapidité n’est plus, son engagement pour les droits civiques de ses compatriotes lui ont couté ses meilleurs années. Même ses adversaires comme Floyd Patterson l’avait remarqué, cette magie avait disparu.
Mais Ali a su s’adapter, son intelligence du ring, sa résilience, sa résistance aux coups et à la douleur lui ont permis de rester au sommet de son art et d’affronter le « monstre » de puissance George Foreman qui avait oblitéré Joe Frazier et Ken Norton.
Ensuite, le combat à Kinshasa, c’est un retour aux sources pour toute la diaspora afro-américaine et pour les Africains. C’est un combat mythique entre Ali le héros, descendant des esclaves, et Foreman qui bien qu’également descendant d’esclaves incarne pour eux l’« Oncle Tom », le Noir des Blancs de l’Amérique raciste.
Ce n’était pas juste un championnat du monde, c’était le premier spectacle mondial et global. Tout d’abord de par le lieu, Kinshasa, permettant de mettre le Zaïre sur le devant de la scène mondiale, par le montant des bourses attribuées à chacun des boxeurs, 5 millions de dollars grâce au Président Mobutu et de par la légende qui était en train de s’écrire ; un affrontement entre Ali, le défenseur des opprimés, en quête de rédemption, et Foreman le boxeur des oppresseurs.
60 000 spectateurs, un milliard de téléspectateurs de toute la planète, un événement mondial transcendé par la présence des plus grands artistes africains ou afro-américains, Myriam Makeba, Tabu Ley Rochereau, Sister Sledge, Bill Withers, the Spinners, BB King et l’immense James Brown.
« Ali, boma ye »
Le 30 octobre, dans la moiteur de la nuit africaine, à 4 heures du matin, l’affrontement commençait aux cris du public zaïrois « Ali boma ye, Ali Boma Ye », « Ali tue le ! », ce chant scandé pendant tout le combat a à tout jamais marqué l’histoire de la boxe.
Le génie d’Ali frappa une nouvelle fois. Appliquant sa stratégie du « rope a dope », s’appuyant sur les cordes en laissant Foreman s’épuiser en envoyant ses coups de massue, au 8ème round la messe est dite, Ali l’envoie au tapis pour le compte.
Le « Rumble in the Jungle » est encore vu comme le plus fabuleux exemple de psychologie et stratégie de boxe de toute l’histoire du Noble art. La victoire d’Ali ne lui a pas seulement rendu son titre de champion du monde mais l’a également installé dans le panthéon des plus grands athlètes comme le plus grand boxeur de tous les temps.
Le documentaire primé aux Oscars relatant l’événement et l’ambiance du plus grand combat de tous les temps « When we were Kings » est en soi un témoignage montrant que ce temps-là était celui des géants et des demi-dieux du ring comme Ali et Foreman.