Onésha Afrika a une fois de plus eu l’honneur de s’entretenir avec le ministre d’État belge André Flahaut, dans son cabinet de travail, pour votre magazine et Onésha Afrika sur YouTube. Une Interview au cours de laquelle le ministre d’État a réussi à nous communiquer son optimisme quant à un avenir radieux pour le continent.

Onésha Afrika : À tout seigneur, tout honneur. Nous allons commencer par parler de la Belgique. À une année presque des élections, comment voyez-vous le royaume, surtout par rapport aux extrémismes qui sévissent à travers l’Europe ?

André Flahaut : Tout d’abord, je suis moi-même un lecteur attentif d’Onésha Afrika, parce que je trouve que c’est une publication qui est très bien faite, sui a une vision internationale actualisée.

En ce qui concerne la Belgique, elle a souffert comme d’autres pays dans le monde de la crise du Covid. Elle a vécu aussi le problème des inondations il y a un an et quelque part, elle se redresse. On a eu une inflation qui était très haute. Heureusement, nous avons chez nous un système d’indexation qui a permis d’amortir le choc. Mais finalement, il faut être très prudent parce que, comme on le voit aujourd’hui en Belgique avec la société Delhaize qui, avec une brutalité sans nom, met un terme à l’emploi de 9 000 personnes, ça veut dire que la paix sociale n’est peut- être pas nécessairement à l’ordre du jour et notre tradition de concertation sociale est battue en brèche et c’est regrettable.

L’autre élément, c’est comme partout ailleurs, il y a des extrêmes qui montent, qui effectivement sont en train de séduire les populations par un langage qui est quelquefois très simpliste, populiste, nationaliste. Mais il convient de garder son esprit de libre examen et de libre arbitre et pouvoir se forger une opinion solide, réfléchie et éviter de travers dans les « il n’y a qu’à », « il faudrait que », et tomber dans le système binaire. Il y a les bons, il y a les méchants, il y a les blancs, il y a les noirs, il y a les cowboys, il y a les Indiens et le monde. Nous devons avoir une préoccupation totale, entière.

C’est effectivement la recherche par le dialogue, de la paix partout, parce que les guerres, effectivement, portent préjudice d’abord aux populations. En Afrique, par exemple, on dit toujours: « quand des éléphants se battent, ce sont les herbes qui souffrent ». En Belgique, il y a effectivement ces poussés populistes qui sont là, parce que des gens utilisent peut- être un discours qui est plus compréhensible par l’opinion publique.

Il y a une proximité plus grande, il y a peut-être moins de technocratie. Les choses sont aujourd’hui tellement complexes, on se préoccupe de certaines choses quelquefois, alors qu’on délaisse les préoccupations premières des gens dans le monde, à savoir l’éducation, la formation, la santé et surtout, finalement, de pouvoir vivre en paix. Mais on ne peut pas vivre en paix sans solidarité et il n’y a pas de liberté sans solidarité.

Ce qui est plus préoccupant, c’est aussi que l’Europe, qui est plus souvent un patchwork d’une série d’États dont les préoccupations, selon les pays, diffèrent en fonction de l’endroit où ils se trouvent sur la carte. Ceux en bordure de la Russie sont préoccupés par la paix. Ceux du Sud sont quasiment préoccupés exclusivement par les problèmes de migration.

Quand on sait que l’Europe aujourd’hui paye la Tunisie pour contraindre les gens à rester dans le désert, les faire mourir de faim et de soif, des femmes, des hommes, des enfants, que des migrants meurent tous les jours dans la Méditerranée, que l’on paye la Turquie pour tenir des gens derrière des barbelés, ce n’est pas l’Europe telle que moi je la vois. Ce n’est pas l’Europe de mes valeurs. Les valeurs de l’Europe, c’est aussi la paix, la solidarité, l’ouverture vers l’autre, plutôt que le rejet de l’autre.

– Au sujet justement du partenariat fondé sur le respect mutuel, vous entretenez des relations, je dirais, privilégiées avec la République démocratique du Congo. Quel en est l’intérêt pour la Belgique ?A. Flahaut : D’abord, j’ai eu pendant mes années de ministre, ça remonte à 1995, 2008 et puis de 2014 à 2019, et président de la Chambre de 2010 à 2014, j’ai toujours à chaque fois mis l’accent sur cette solidarité Nord-Sud et Sud-Nord avec tous les pays d’Afrique, à commencer par la République démocratique du Congo.

Et quelque part, dans le gouvernement de 1999, le premier gouvernement arc- en-ciel dans lequel j’ai été, après avoir participé au gouvernement avec Messieurs Dehaene, Louis Michel et aussi sous Guy Verhofstad, nous avons effectivement remis sur la table de l’Europe et de la Belgique, du gouvernement belge, tout ce partenariat avec le continent africain.

Nous avons défendu pas à pas quelque part cette nécessité de retrouver cette relation fraternelle, dirons-nous, entre les peuples d’Afrique et ceux d’Europe, et plus particulièrement la Belgique. On a fait ce qui existe encore aujourd’hui, les 3D, c’est-à-dire de la diplomatie, du développement et de la défense, qui constituent une approche différente de l’approche quelquefois néocoloniale, paternaliste que l’on constate par d’autres nations plus importantes et qui, finalement, permettent que l’on respecte l’autre, ses coutumes, ses habitudes, sa langue, sa culture, ses spécificités.

Moi, quand j’atterris à N’Djili, je ne m’inquiète pas de ce qu’il y a dans le sous-sol. Je vois en face de moi un homme, une femme. Je veux discuter, je veux construire pour la population du Congo, en commençant par les enfants, les femmes, la santé, l’éducation, permettre finalement à ce qu’ensemble on construise un pont.

Tout n’a pas été que mal fait

A. Flahaut (au milieu), avec notre éditeur, Victor Olembo (à dr.) et le rédacteur en chef, Cornelis Nlandu (à g.)

– Alors, vous avez sûrement l’avantage d’avoir connu l’histoire du Congo, du Zaïre et puis aujourd’hui, une fois de plus Congo, Mais est-ce que vous croyez que la génération actuelle des politiciens belges ont la même vision que vous ? Qu’est-ce que vous pouvez conseiller aux jeunes politiciens belges aujourd’hui ? – D’abord, je voudrais dire une chose, c’est qu’en mon sens, on ne fait pas suffisamment de politique internationale dans notre pays. On laisse ça à d’autres, quelquefois on est suiveurs. À d’autres époques, nous avons été moins suiveurs. Je parlais tout à l’heure du gouvernement Verhofstad. Ce gouvernement, en 2003, M. Michel, moi-même et M. Verhofstad, nous avons refusé la participation de la Belgique à la guerre en Irak.

Ce qui veut dire que même petit, même comme partenaire au sein de l’OTAN, nous avons eu le courage de dire non. Il faudrait que la Belgique prenne conscience effectivement de cette capacité que nous avons aussi. Et ce n’est pas parce que nous sommes petits que nous devons suivre absolument ce que font les grands.

Certes, il faut tourner la page à un certain moment. Le roi a exprimé ses regrets, on n’a pas parlé d’excuses, etc. Il faut reconnaître que des choses ont été faites, mal gérées et que d’autres choses ont été faites et bien faites. Ceci étant dit, voyons le futur. Pour la République démocratique du Congo, moi j’insiste vraiment beaucoup pour que l’on voit que le verre, il est à moitié plein et qu’il n’est pas à moitié vide et qu’il faut aider, être partenaire, accompagner pour remplir ce verre, pour faire en sorte que le Congo puisse cheminer aussi vers ce qu’un grand pays comme celui-là doit pouvoir être sur la carte du monde.

Moi, ce que je veux dire, c’est que par-delà tous les responsables politiques qui ont exercé au Congo à certains moments, ils n’ont pas tout fait tout mal fait. Il y a des choses qui ont été bien faites et d’autres mal faites, mais ça, c’est le lot des gens qui agissent.

Aujourd’hui il y a en RDC un président qui a une ligne

Aujourd’hui, je constate qu’il y a un gouvernement qui travaille, il y a un président qui a une ligne, il y a des élections qui vont s’organiser. Et là, je combat sans cesse celles et ceux qui se répandent en disant « les élections n’auront pas lieu. Ça ne fonctionnera pas. ». Prenons l’exemple les Jeux de la francophonie. J’étais à Kinshasa, j’étais à Lubumbashi, j’étais à Goma.

Finalement, j’ai rencontré là des gens motivés, aussi bien les gouverneurs de province que les responsables politiques, que ce soit le président du Sénat, Modeste Bahati, le président de la Chambre Christophe Mboso, avec la Formation professionnelle et la Société des métiers qui va se créer à Kinshasa et qui va s’étendre sur l’ensemble du territoire.

Des gens, comme le président de la Ceni, qui veulent faire avancer le processus, que ces élections se déroulent et elles doivent se faire effectivement avec un accompagnement, pas nécessairement une observation, qui arrive au dernier moment. Ce n’est pas comme organiser des élections en province de Luxembourg en Belgique. Il y a des contraintes.

Tshisekedi est en train de construire l’avenir du Congo par la base, la fondation

On a vu à d’autres époques on a dit: vous allez avoir un président de la République, un Premier ministre et puis le reste on oublie. Vous avez déjà vu construire une maison par le toit ? Non, pas du tout.

Justement, ici, il y a des élections qui vont être organisées au niveau local, au niveau provincial, au niveau du Sénat, de la Chambre et vous aurez la présidence de la République. On est en train de construire cette pyramide qui, effectivement, est un élément stable qui permet de faire fonctionner et de concrétiser sans doute ce qui était amorcé dans les « 145 territoires » , etc. Il y a des choses qui se font.

Malheureusement, aujourd’hui, trop souvent, on ne montre que ce qui ne va pas, et pas ce qui va bien. On parle plus, c’est une formule qui était utilisée par un de mes professeurs d’université, M. Spitaels, c’était de dire : « On parle plus du train qui arrive en retard que de tous les autres qui arrivent à l’heure ».

Repositionner le Congo sur la carte du monde

– Monsieur le ministre d’État, j’ai été attiré par une phrase que vous avez lancée là : « Il n’y a pas que tout qui a été mal fait ; il y a aussi des choses qui sont bien faites ». Mais alors, dans les choses qui sont bien faites, vous avez évoqué les derniers Jeux de la Francophonie. Comment les avez-vous vécus et comment vous jugez la haute performance de la République démocratique du Congo, avouons-le, dans l’organisation de ces jeux ?A. Flahaut : Pendant mon séjour au Congo et bien avant, on nous disait: « ça ne marchera pas, ils n’y arriveront pas, les infrastructures ne seront pas prêtes, elles ne seront pas conformes, ça ne se fera pas ». Et je constate aujourd’hui, quelques jours après la fin de ces Jeux de la Francophonie, il y aura aussi les élections de Miss Afrique, à Kinshasa, à l’hôtel Memling.

Je constate une chose, c’est que les gens qui décriaient en disant « Ça ne se fera pas », aujourd’hui ne disent plus rien. Ils ont sans doute oublié tout ce qu’ils ont dit auparavant. Moi, j’ai fait un tweet, qui est très fortement relayé, j’ai voulu dire qu’il fallait féliciter toutes les autorités congolaises, à commencer par le président de la République, de s’être obstinées pour atteindre cet objectif.

Et je crois que c’est cette obstination-là, qui n’est pas gratuite et dénuée de sens, qui permet finalement d’alimenter le moteur de la conviction, de la prise de conscience du peuple congolais, de sa capacité à organiser des événements internationaux et de les réussir.

C’est vrai qu’on a beaucoup critiqué le président de la République au début de son mandat en disant « Il va un peu partout, il voyage beaucoup. Il ferait bien d’être à l’intérieur du pays ». Non, parce que le travail qui devait être fait à l’époque, c’était de replacer le Congo sur la carte de l’Afrique, de le faire respecter sur la carte de l’Afrique, de faire exister le Congo en Europe, en Asie, aux États-Unis, à l’ONU. Bref partout. Et même aussi, la visite du pape dernièrement est aussi une reconnaissance.

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