L’Algérie et le Maroc sont à couteaux tirés. Ces derniers mois, une escalade verbale s’est opérée entre les deux capitales. Rabat accuse Alger de soutenir des groupes hostilesà la monarchie. Le président Abdelmadjid Tebboune accuse le Maroc de soutenir l’organisation indépendantiste kabyle MAK, classée depuis mai dernier comme terroriste par le même HCS. La société civile maghrébine veut mettre fin à cet engrenage.
Au Maroc, en Algérie et dans les autres pays du Maghreb, près de 250 intellectuels, membres de la société civile ou même simples citoyens signent une lettre ouverte pour « appeler à la raison » les dirigeants ainsi que l’opinion publique et pour mettre fin à l’escalade des tensions entre les deux pays.
S’ils reconnaissent les nombreux litiges entre les deux États, les signataires rejettent l’idée d’une confrontation entre voisins.
Fouad Abdelmoumni, économiste marocain et signataire de cet appel, reconnaît que les sociétés civiles du Maroc et de l’Algérie n’ont pas été à la hauteur mais affirme que cet appel n’est qu’un premier pas et promet qu’elles vont se mobiliser : « L’élément primordial, pour nous, est de casser cette symphonie qui se joue des deux côtés des frontières, dans laquelle chacun dénigre l’autre, dans laquelle chacun diabolise l’autre et dans laquelle chacun chauffe à blanc sa population dans la haine du voisin. Donc la première chose, c’est une affirmation d’existence d’une voix qui refuse le militarisme, qui refuse la confrontation, qui refuse le démembrement de notre région. Et c’est lorsque nous aurons des propositions concrètes, puissantes, collectives, cohérentes, convaincantes, que nous pourrons mener de front une grande mobilisation au niveau maghrébin, pour contrer les puissances qui nous mènent aujourd’hui à la confrontation, si ce n’est à la guerre, et en tout cas à la déperdition énorme de nos moyens et de nos ressources ».
De quoi s’agit-il ?
Alger a dénoncé le mercredi 18 août « les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie ». La détérioration des relations entre les deux frères ennemis du Maghreb s’est aggravée après le récent rapprochement entre le Maroc et Israël.
La tension entre l’Algérie et le Maroc est à son comble cet été. Le haut conseil de sécurité (HCS) algérien, organe de concertation entre le président de la république, l’armée et les services sécuritaires, a déclaré ce mercredi 18 août dans un communiqué, que « les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie, ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l’intensification du contrôle sécuritaire aux frontières Ouest ».
À la frontière terrestre fermée entre les deux pays depuis 1994, et à la guerre diplomatique incessante, sur le dossier du Sahara Occidental, sont venus se greffer l’affaire de la Kabylie ces derniers mois et le spectaculaire rapprochement du Maroc avec Israël. Le président Abdelmadjid Tebboune accuse le Maroc de soutenir l’organisation indépendantiste kabyle MAK, classée depuis mai dernier comme terroriste par le même HCS.
Or, c’est au MAK, et à l’organisation Rachad estampillée pro Hirak, elle aussi jugée « terroriste », que le pouvoir algérien a décidé d’attribuer les incendies en Kabylie et dans de nombreuses régions d’Algérie. « Les actes hostiles » du Maroc, ce serait donc indirectement la pyromanie qui a fait 92 morts et des milliers de déplacés dans le pays entre le 9 et le 16 août dernier, même si les preuves matérielles de telles accusations sont bien sûr absentes.
Il faut dire que Rabat, à la recherche d’un contre-feu au soutien d’Alger au Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara Occidental, a franchi une « ligne rouge » à la mi-juillet en distribuant, via son représentant diplomatique à New York, un rapport évoquant « le droit à l’autodétermination du peuple kabyle ».
La condamnation véhémente du ministre des affaires étrangères algérien Lamtane Lamamra a été alors assortie d’une menace tacite sur le risque pour la monarchie marocaine de se retrouver face à une revendication séparatiste au Rif, région berbérophone du nord du Maroc en conflit récurrent avec le pouvoir central.
« Un consensus dissuasif non écrit réunissait les deux régimes, algérien et marocain, pour ne pas utiliser la Kabylie et le Rif comme extension dans leur conflit sur le Sahara Occidental. Il faut aujourd’hui considérer que ce consensus est mort », estime un ancien diplomate algérien.