Le Président congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est arrivé en Belgique le mercredi 28 février, où il a rencontré le Premier ministre belge Alexander De Croo, peu après sa descente d’avion. C’est dire que le chef de l’État congolais était particulièrement remonté.
L’agression de la République démocratique du Congo par le Rwanda ainsi que le Protocole d’accord signé entre l’Union européenne et le Rwanda, le 19 février 2024, sur les minerais stratégiques volés par Kigali en RDC ont constitué le menu des entretiens que le Président Tshisekedi a tenu à avoir avec le chef du gouvernement belge. L’importance était d’autant plus grande que la Belgique assure la presidence tournante du Conseil de l’Union européenne depuis janvier 2024.
« Nous avons demandé des sanctions à la Belgique contre le Rwanda pour son agression », a déclaré le chef de l’État congolais aux journalistes, parmi lesquels ceux du Bureau de liaison de l’Agence congolaise de Presse (ACP) et du magazine Onésha Afrika, à l’issue de cette rencontre d’une heure, au Lambermont, la résidence officielle du Premier ministre belge.
Quant au volet concernant le Protocole d’accord sur les minerais, vraisemblablement acheminés en contrebande au Rwanda depuis l’est de la RDC, le Président congolais a salué « la politique intelligente de la Belgique », qui s’interroge sur le sens dudit accord.
Pour le Président Tshisekedi, « même s’il y a accord, il faut prendre soin de vérifier la traçabilité et donc la provenance de ces minerais ». À ce sujet, le chef de l’État congolais est sans concession : « Nous sommes certains que ce sont des minerais volés à la République démocratique du Congo. Et il n’est pas question pour nous que cet accord puisse passer », a-t-il martelé.
À une question de la presse sur le soutien de la Belgique à la RDC face à l’agression du Rwanda à travers son supplétif du M23, le Président congolais a estimé qu’« il y a toujours moyen de faire plus. Mais la Belgique fait déjà quelque chose et c’est déjà ça ». Mais la Belgique fait-elle assez pour mettre un terme aux atrocités innommables et gratuites infligées aux populations congolaises ? À cette interrogation, le Président Tshisekedi s’est contenté de lâcher : « L’avenir nous le dira ».
« Les pressions internationales sont largement insuffisantes »
Il faut rappeler qu’avant de s’envoler pour Bruxelles, le Président Tshisekedi avait tenu un point de presse d’après Conseil des ministres, à Kinshasa le 22 février, au cours duquel il a jugé insuffisantes les pressions internationales contre le soutien du Rwanda de Kagame au M23 et appelé à des sanctions des Nations unies.
« Les pressions, lorsqu’elles ne sont pas suivies de contraintes, risquent de finir par lasser la personne ou l’institution visée. Et cela risque de ne pas donner des résultats ».
Il a également dénoncé le Protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables concernant les matières premières signé entre le Rwanda et l’union européenne. Les deux parties se sont engagées à consacrer, depuis 2021, 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés jusqu’en 2027 pour le développement notamment du secteur minier.
De l’avis de Kinshasa, ce partenariat dénote une complicité européenne avec les violences à l’est de la RDC. « Nous allons user de toutes les voies diplomatiques, et même judiciaires pour empêcher et faire annuler ce deal », a menacé le président Tshisekedi. « Pour l’Union européenne, c’est comme si elle nous faisait la guerre par procuration », s’est indigné le Président Tshisekedi.
Marathon diplomatique de l’ambassadeur Ndongala à l’Union européenne
Une double rencontre a eu lieu le 22 février a Bruxelles entre l’ambassadeur de la RDC au Benelux et les membres de la sous-commission Affaires étrangères du Parlement européen, puis de l’European external action service (EEAS).
À cette occasion l’ambassadeur Christian Ndongala Nkuku a endossé son habit de diplomate pour rassurer les partenaires européens de la RDC par rapport à la colère des Congolais à Kinshasa, qui ont manifesté violemment, le 12 février, devant des chancelleries occidentales, brûlant des pneus et des drapeaux de certains pays.
Le chef de la mission diplomatique congolaise a assuré que sur l’heure, la situation était sous contrôle des forces de sécurité congolaises, en vertu des dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Il a rappelé qu’au cours de ces manifestations, les Congolais ont exprimé leur ras-le-bol devant « la passivité de la communauté internationale » face à l’agression dont la RDC est victime de la part du Rwanda et aux souffrances injustes des populations congolaises dans l’Est du pays.
Sur le terrain militaire, a expliqué le représentant de la RDC, le Président Félix Tshisekedi n’a pas fermé toutes les portes au dialogue, « mais pas à n’importe quel prix et non sans conditions ».
Tant que les troupes rwandaises se trouveront sur le sol de la RDC, aucune négociation ne sera possible, a-t-il assuré.
L’ambassadeur Ndongala a par ailleurs souligné que la RDC attend de la communauté internationale « plus que les condamnations sans lendemain », mais plutôt des sanctions fermes pour faire plier l’agresseur, formellement identifié, en l’occurrence le Rwanda.
Il a également dénoncé le protocole d’accord signé entre l’Union européenne et le Rwanda sur les chaines de valeur durables pour les matières premières, que différents rapports des experts des Nations unies reconnaissent d’ailleurs comme des minerais de sang, pour la plupart, sinon tous, extraits des carrières d’exploitation se trouvant en RDC et acheminés en contrebandes au Rwanda.
La situation sécuritaire très volatile dans l’est
Deux jours plus tard, soit le 24 février, l’ambassadeur Christian Ndongala s’est de nouveau présenté à l’Union européenne, cette fois-ci pour rencontrer la conseillère Afrique du Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Mme Maud Arnould.
Il s’est agi de la situation sur le front de l’est de la RDC, avec les combats qui s’intensifient autour de la localité de Sake entre l’armée congolaise et le groupe terroriste M23, appuyé par l’armée rwandaise.
« L’escalade de la violence dans cette partie du territoire du pays nourrit une crise humanitaire dont le cauchemar est loin de connaître une issue favorable pour des milliers de victimes et de personnes déplacées, pour la plupart des femmes et des enfants », a déclaré le diplomate congolais, selon un communiqué de sa mission diplomatique.
L’ambassadeur congolais a salué la déclaration du gouvernement américain, suivie par d’autres États, condamnant le Rwanda et demandant à ce pays de retirer ses troupes et son système de défense anti-aérien de la RDC. Il a invité, par la même occasion l’UE à aller plus loin que les condamnations protocolaires.
Les politiciens belges d’origine congolaise exigent un tribunal international sur le Congo
De même que les officiels s’activaient, la population était plus excédée encore. Ainsi, on a assisté à des manifestations parfois violentes, notamment contre les chancelleries de certains pays occidentaux à Kinshasa, ou même lors du 37ème sommet de l’Union africaine à Addis Abeba, perturbé le 17 février par des actes de protestation de Congolais, qui ont par ailleurs été arrêtés quelques heures puis relâchés.
À Bruxelles capitale de l’Europe, c’est le 22 février que le collectif des élus et mandataires belges d’origine congolaise a organisé sa conférence de presse pour parler d’une seule voix sans distinction de couleur politique, et exiger la création d’un tribunal pénal international sur les massacres en République démocratique du Congo.
« Nous invitons les pays de la communauté internationale à reconnaître enfin qu’un génocide est en cours de perpétration en RDC depuis des années et exigeons haut et fort la création d’un tribunal pénal international en vue de juger les seigneurs de guerre, de mettre fin à l’impunité et de réparer les préjudices causés par toutes ces atrocités », ont déclaré ces hommes et femmes politiques.
Ils ont également « dénoncé la guerre menée par le Rwanda en RDC à travers le mouvement terroriste M23 », avant d’interpeller la communauté internationale et la Belgique « face à leur silence assourdissant » sur les atrocités commises et face au double jeu de ceux qui disent condamner l’agression et en même temps adhèrent au mensonge de Kigali sur une collaboration supposée, mais jamais étayée, entre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les rebelles rwandais du FDLR.
Les élus et mandataires se sont enfin s’insurgés contre le partenariat conclu le 17 février par l’Union européenne et le Rwanda sur les minerais stratégiques volés en République démocratique du Congo.
Un millier de Congolais dans les rues de Bruxelles le 24 février
Le clou des revendications, qui sont d’ailleurs loin de s’estomper, est sûrement la grande manifestation organisée le 24 février dans la capitale belge et qui a vu plus de 1.050 Congolais battre le pavé, selon les chiffres livrés par la police belge dans un communiqué. Ils sont venus, parfois avec leurs enfants, pour sensibiliser contre les violences et exiger la fin des hostilités dans l’est de la RDC.
La manifestation est partie du quartier Matonge à Ixelles, pour se diriger vers la Place Schumann, siège des institutions européennes, avec des calicots où l’on pouvait lire « Kagame assassin », « le Congo n’est pas à toi » ou encore « Congo bomoko » (Congo uni).
« Lorsqu’on vit à l’est de la RDC, on apprend à se cacher pour ne pas être vu et à survivre pour ne pas se faire tuer. Et c’est là le quotidien des femmes et des enfants de la guerre », a livré, dans un témoigné poignant, une survivante de massacres dans l’est de la RDC.
Quelques jours auparavant, le 20 février, c’était le collectif des étudiants congolais de Belgique qui répondait à ces aventuriers du barreau de Bruxelles sur « une prétendue épuration ethnique et crimes de masse » en cours dans les provinces de l’Ituri, du Nord et Sud-Kivu, qu’il a qualifiée d’« d’allégations fallacieuses et de propos tendancieux, aussi délirants que tendanciers élaborés dans d’obscurs officines pour détourner l’attention sur les crimes perpétrés par l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 ».
Ce que pensent les autres
La députée européenne Hilde Vautmans désapprouve le contrat signé sur les matières stratégiques
Les voix s’élèvent partout contre l’agression du Rwanda en RDC, mais aussi face au curieux deal signé par l’Europe sur les minerais soustraits frauduleusement de la RDC.
Au Parlement européen, à Strasbourg, la députée européenne Hilde Vautmans (Open-VLD) a tenu « une fois de plus à dénoncer la guerre barbare que le Rwanda inflige à la République démocratique du Congo et qui affecte les populations de l’est depuis 1996, causant 10 millions de morts et plus de 7 millions de déplacés. Sans parler de femmes et d’enfants violés ».
Il est évident que des voix commencent à s’élever, note la députée Open VLD. Ainsi, précise-t-elle, « la France, les États-Unis et la Belgique ont demandé au Rwanda de retirer son armée du Congo et de cesser tout soutien aux rebelles ».
Et Mme Vautmans d’interroger ensuite : « Mais que fait l’Europe ? ». En réponse, dit-elle, « l’Europe vient de signer un Protocole d’accord sur les matières premières stratégiques avec le Rwanda, qui est le receleur et dont l’armée tue et pille chez son voisin. Sans parler des violations des droits de l’homme ni préconiser l’arrêt de la violence », déplore-t-elle. « Combien de victimes et de douleur faut-il encore pour réveiller l’Europe face à cette brutalité ? », interroge-t-elle encore, avant de conclure : « Nous devons appuyer le processus de paix, au lieu de mettre encore de l’huile sur le feu. Il est encore temps de mettre l’Europe du bon côté de l’histoire ».
Mme Vautmans termine son interpellation en répétant ce mot swahili : « Amani, Amani », qui signifie « paix ».
Comme Flahaut et Botenga
Dans le même registre, le ministre d’État belge André Flahaut a également délivré un message de protestation à la Chambre de Belgique, le 29 février, dans lequel il estime qu’« il ne peut plus avoir deux justices, deux approches, alors même que la Belgique intervient dans l’agression russe en Ukraine et l’attaque de Gaza par l’armée israélienne ». Pour lui, le Congo est victime d’agression et le Rwanda le responsable. « Et cela appelle des sanctions », a-t-il plaidé.
De son côté, le député européen PTB Marc Botenga, qui avait dénoncé cette situation il y a près d’une année à Strasbourg, est revenu à la charge.
Sur le protocole entre l’UE et le Rwanda, il est sans concession : « Il faut déchirer cet accord », a-t-il carrément préconisé devant les parlementaires européens.