Accueil Économie AFRIQUE : Plaidoyer pour un « Plan Marshall » de développement

AFRIQUE : Plaidoyer pour un « Plan Marshall » de développement

Au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1945, l’Europe est complètement dévastée. Les infrastructures sont détruites, la production agricole et minière est pratiquement nulle et la famine menace une grande partie de la population.

L’importation des matériaux et des biens d’équipement indispensables à la reconstruction est rendue quasiment impossible, en raison du manque de devises, notamment de dollars américains, dans les banques européennes.
Le général George C. Marshall concocte alors un plan d’aide financière massive, qui portera son nom. Chef d’état-major durant la Seconde guerre mondiale, il occupa ensuite les fonctions de Secrétaire d’Etat américain, entre 1947 et 1949. Il obtint le Prix Nobel de la Paix en 1953.

Ce plan, qui est présenté à l’université de Harvard le 5 juin 1947, est dénommé « European Recovery Program » (Programme de reconstruction européenne). Il entrera dans l’histoire sous la dénomination de « Plan Marshall ».

Contenu et objectif

L’objectif global est d’aider à la reconstruction des pays européens et, de manière spécifique, de réhabiliter  l’appareil productif et rétablir les finances publiques. Une autre raison économique est le fait que l’Europe représente un marché prometteur. Aussi, devant l’incapacité des Européens à importer des produits américains, les États-Unis courent le risque de ne plus pouvoir écouler leurs biens et de se  trouver face à une crise de surproduction.
Mais, ce plan vise aussi un objectif plus politique, inspiré par des considérations idéologiques: aider les pays européens à se protéger de l’influence du communisme, dans le cadre de la doctrine Truman et de sa politique de « containment = endiguement ».

A partir du 12 juillet 1947, seize nations d’Europe de l’Ouest se réunissent à Paris: la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Portugal, l’Irlande, la Grèce, les Pays-Bas, l’Islande, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, la Turquie, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège, auxquelles s’ajoute la République fédérale d’Allemagne après sa création en 1949. Le rapport ratifiant le projet est signé le 22 septembre.
Le programme de reconstruction prévoit notamment la stabilisation des monnaies, l’augmentation de la production et le renforcement de la coopération économique. L’assistance économique est massive et prend la forme, pour l’essentiel, de dons, le reste étant des prêts à long terme. Elle se concrétise par l’institution d’organismes administratifs communs.

Le Congrès américain vote le programme d’aide, le 2 avril 1948, et distribue plus de 13 milliards de dollars, soit l’équivalent, selon certaines estimations, de 160 milliards de dollars de 2020, répartis sur quatre ans. Le Plan Marshall va littéralement booster l’économie de l’Europe occidentale.
L’expression « les Trente glorieuses » désigne la période de forte croissance économique et d’augmentation du niveau de vie de la majorité des pays développés constatée entre la mise en œuvre du Plan Marshall et l’année 1973, année du choc pétrolier. Son impact s’est ressenti sur les plans économique, social et culturel.
Le taux de croissance annuel est en moyenne de 5,9% pendant cette période. 

Les raisons d’un Plan Marshall pour l’Afrique

La question que l’on est en droit de se poser, après ce parcours de l’Histoire de l’Europe, est la suivante: ne serait-il pas indiqué, au regard d’un certain nombre de réalités que vit le monde actuel, qu’une initiative de solidarité de même nature soit prise en faveur des nations africaines ?
La première raison qui milite en faveur de cette initiative est d’ordre moral et éthique et répond à un besoin de justice. Sans qu’il ne soit besoin de culpabiliser les uns et les autres quant à la manière dont les peuples d’Afrique ont été (mal)traités au cours des siècles passés, il est bon de rappeler l’impact démographique et l’humiliation de la traite négrière, l’exploitation et les humiliations de la colonisation, le transfert sur le sol africain des rivalités Est-Ouest, pendant la période dite de la guerre froide et ses conséquences en termes de violences de toutes natures.

Dans ce cadre, il convient d’épingler les guerres entretenues par les multinationales pour organiser, en sous-main, le pillage, entre autres, des ressources minières et forestières, ainsi que les coups d’État qui ont, de manière systématique, écarté des dirigeants qui avaient commis le crime de manifester leur patriotisme et leur volonté d’indépendance.
Les raisons économiques sont évidentes. Les études les plus sérieuses établissent que la population de l’Afrique pourrait doubler d’ici 2050 et atteindre près de 2,5 milliards de personnes. Cette croissance démographique aurait des conséquences politique, culturelle, économique et écologique majeures au plan mondial.

Cette population, dont la moitié aura moins de 25 ans, constituerait une réelle opportunité pour le progrès de l’humanité, si des bonnes décisions sont prises aujourd’hui quant à la formation et à la de création de possibilités d’emplois. Dans le cas contraire, elle serait une véritable bombe à retardement. Le milliard et demi d’Africains jeunes attendus constitue un marché potentiel que l’on ne peut ignorer.
La troisième raison est d’ordre social et est liée à l’impérieuse nécessité, pour les autres continents, de maîtriser les mouvements migratoires en provenance d’Afrique.

Une action concertée de la Chine, des Etats-Unis et de l’Europe sous l’égide de la Banque mondiale ?

Des initiatives et des réflexions nouvelles en faveur de l’Afrique se font voir depuis quelques temps. La « Nouvelle route de la soie » est une initiative chinoise, qui vise à améliorer les échanges commerciaux entre 65 pays sur tous les continents, par la construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres, ainsi que de parcs industriels. À terme, ce vaste projet facilitera à la Chine l’approvisionnement en matières premières.
L’initiative s’inspire de l’ancienne « Route de la soie », dénommée ainsi en raison de la marchandise qui y transitait: la soie. Il s’agissait d’un réseau de routes commerciales qui reliaient l’Asie et l’Europe et dont les traces apparaissent déjà deux mille ans avant Jésus-Christ.

Ce projet, dont les premières phases ont débuté il y a une dizaine d’années, touchera 42 pays en ce qui concerne l’Afrique et occasionnera un investissement de près de 1 000 milliards de dollars. Sa mise en œuvre aura des effets que les keynésiens peuvent aisément imaginer.
L’intérêt du président Joe Biden pour l’Afrique est évident, contrairement à son prédécesseur. Le nouveau président américain, qui veut offrir aux Africains une alternative à la percée chinoise et à ses stratégies, dont il pense qu’elles ont plongé les pays africains dans un endettement colossal et insupportable, ne pourra pas faire l’économie d’une intervention massive, dans le cadre du multilatéralisme et du partenariat gagnant-gagnant, qu’il prône avec l’Afrique. 

La Russie n’est pas en reste. Le sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 le démontre à suffisance. Le retour de cette super-puissance sur le continent est acquis.
Les ambitions exprimées alors sont précises: les échanges commerciaux devraient doubler dans les 5 ans suivant la tenue de ce sommet. Pas moins !
Les 54 pays du continent, dont 45 ont été représentés au niveau des chefs d’État, ont signé une cinquantaine d’accords, pour une valeur de 800 milliards de roubles, soit 11 milliards de dollars. 
Rendez-vous a été pris pour le prochain sommet en 2022. Mais dans l’intervalle, un organisme a été créé pour coordonner le développement des liens entre les deux partenaires. Il s’agit de l’Association de coopération économique avec les pays d’Afrique « ACEPA ». 

Enfin, l’Europe, traditionnel partenaire de l’Afrique, a réalisé les limites de l’aide au développement, selon le schéma classique suivi depuis les années des indépendances. Elle est obligée de s’intégrer dans la nouvelle vision d’un partenariat d’égal à égal qui préserve la dignité des Africains.
Mais une question est celle de savoir pourquoi les différents acteurs ne se concerteraient pas pour concevoir la mise en œuvre de l’équivalent d’un Plan Marshall, dans le cadre d’une action globale coordonnée par la Banque mondiale, en vue de rationaliser les choix des programmes et les actions à entreprendre ?

Est-il permis de rêver de ce que serait alors l’Afrique ?

Emmanuel Efomi

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