Lorsque en 2017, le président du Zimbabwe Robert Mugabe est renversé par ses militaires, tout le monde s’attend à ce que le général Chiwenga se proclame chef de l’État. Ce dernier cède finalement le pouvoir à Emmerson Mnangagwa, compagnon de combat, ancien ministre de la Sécurité d’État et vice-président devenu opposant en exil, tout en espérant lui succéder.
La colonisation britannique du Zimbabwe commence en 1923, sous le nom de Rhodésie du Sud. Considérée comme une terre regorgeant de richesses minières et agricoles, elle va attirer l’arrivée massive des colons, jusqu’ à 125 000 en 1950. Ces derniers obtiennent l’exclusion des Noirs de la gestion politique et feront adopter par le parlement rhodésien, en 1930, une loi de partage des terres, spoliant ainsi les populations autochtones. Ils s’attribuent les deux-tiers des terres cultivables, tandis que les autochtones n’occupent qu’un-tiers. Les terribles tensions qui opposeront plus tard les deux communautés tant politiquement qu’économiquement trouvent leur source principale à cette époque.
La Rhodésie du Sud, dominée par la minorité blanche, déclare unilatéralement son indépendance en 1965 puis se proclame république en 1970. La guerre de libération contre le régime raciste de Ian Smith débute en 1964, menée par la ZANU (Union nationale africaine du Zimbabwe) de Robert Mugabe et la ZAPU (Union du Peuple africain du Zimbabwe) de Joshua Nkomo, soutenues par la Chine pour la première et Cuba pour la deuxième. Après des années de lutte, les accords de Lancaster sont finalement signés en décembre 1979, et des élections se tiennent sous l’égide de la Grande Bretagne et du Commonwealth en avril 1980.
Mugabe : de l’espoir au tourment

La victoire de la ZANU aux élections d’avril 1980 permet à ce mouvement de remporter une majorité des sièges, suscitant un immense espoir. Robert Mugabe nommé Premier ministre annonce des lendemains merveilleux pour le nouveau Zimbabwe, promettant à la minorité blanche une ère de réconciliation et à la population un avenir radieux.
Au début de son règne, il tient ses promesses. Il souhaite bâtir un pays fort sur la base d’une alliance entre Shonas et Ndébélés. Il offre à ces derniers et à Nkomo les meilleurs portefeuilles ministériels et tente de fusionner la ZAPU dans la ZANU. Les années 1980-1990 sont fastes pour le Zimbabwe. Le développement de l’éducation et de la santé sont en plein essor. Plus de 500 centres médicaux sont construits. Encore plus remarquable, le taux de scolarisation augmente de 232%.
Cependant, malgré le développement économique, la tension politique et la répression augmentent. Dès 1983, l’alliance entre la ZANU et la ZAPU est rompue et la guerre civile entre Shonas et Ndébélés est déclenchée dans la province du Matabeleland. Elle se termine en 1987 et la ZAPU de Nkomo est intégrée dans la ZANU. Afin de conforter son ethnie les Shonas dans son pouvoir absolu, il retire à la minorité blanche sa représentation assurée de 20 sièges au parlement, l’éjectant définitivement du jeu politique.
Mugabe se fait nommer président en 1987 et instaure avec la ZANU, devenue ZANU-PF, un régime présidentiel. Mais les violences de son régime conduisent à son isolement progressif. D’abord en 2000 avec les expropriations violentes de fermiers blancs, entraînant une crise économique et une rare spirale de violences, ensuite avec le scrutin de 2002 au cours duquel Mugabe est réélu dans une répression sanglante, qui déclenche des sanctions internationales.
En 2008, le pays est en ruine. Plus de 165 000% d’inflation, sans compter un chômage endémique et des pénuries énergétiques et alimentaires dramatiques. Les élections présidentielle et législatives de 2008 face à Morgan Tsvangirai, président du MD, démontrent que Mugabe n’a plus le vent en poupe. Ses traditionnels alliés régionaux telle que l’Afrique du Sud de Mandela commencent à le lâcher. Les années qui suivent sont désastreuses en termes de répression, de débâcle économique et de corruption.
Le coup d’État de 2017 est une opération menée par les généraux Constantino Chiwenga et Sibusiso Moyo dans la nuit du 14 au 15 novembre, supposément pour éliminer les « criminels » de l’entourage présidentiel sans démettre le chef de l’État. Cependant, face aux manifestations massives qui ont suivi, Mugabe démissionne le 21 novembre. Son ancien vice-président Emmerson Mnangagwa le remplace le 24 novembre 2017.
L’ ère du crocodile

Installé assez rapidement grâce aux soutiens du général Chiwenga et du brillant homme d’affaires Kudakwashe Tagweiri, le président Mnangagwa, surnommé « le crocodile » du fait qu’il est le dernier survivant d’une unité d’élite de la guerre de libération, imprime sa marque faite d’autoritarisme bienveillant et d’une volonté d’améliorer le bien-être de ses compatriotes. Dans la foulée, il nomme Chiwenga vice-président. Surtout, il rompt avec l’ère Mugabe en promettant de réformer la politique agraire afin que les Blancs retrouvent leurs terres, pour relancer l’économie du pays
S’ il remporte de justesse la présidentielle du 30 juillet 2018 pour son premier mandat, il est à nouveau réélu en août 2023. Entre-temps, les dirigeants européens ont saisi le rôle moteur du Zimbabwe dans la sous-région, tant aux niveaux des échanges économiques et du développement qu’en tant que facteur stabilisateur face à la montée de l’intégrisme islamique et du djihadisme en Afrique australe, et particulièrement au Mozambique. Dès 2022, ils décident de lever l’ensemble des sanctions imposées en 2002, sauf sur le volet militaire.
Le renforcement des liens avec l’UE permet de multiplier les projets économiques, financiers, culturels et sociaux tout en soulignant la nécessité de poursuivre les réformes politiques et démocratiques. La démocratie au Zimbabwe n’est pas parfaite mais continue de donner plus de gages d’avancées que la plupart des régimes africains.
Dans le domaine économique, s’il est vrai que l’inflation est élevée, avec un taux de 82%, les différentes réformes monétaires lancées par le président Mnangagwa portent leurs fruits. Le FMI félicite le Zimbabwe pour sa politique monétaire prudente qui permet de maintenir une discipline fiscale ferme tout en stabilisant le taux de change.
Le pacte secret

C’est dans ce contexte économiquement positif que la tension commence à croître entre le camp du président et celui de son vice. Quand début 2025, des soutiens s’exprimant au sein de la ZANUF-PF et de son Politburo ont commencé à confirmer que le mandat du président Mnangagwa allait être prolongé de deux ans afin qu’il puisse terminer tous les projets économiques du plan « Zimbabwe Vision 2030 », pour Chiwenga c’est inacceptable. Pire, lorsqu’on allègue que le successeur de Mnangagwa serait sans doute Kudakwashe Tagweiri, ce fut un lourd désaveu pour Chiwenga qui, selon ses dires, avait conclu un pacte secret avec le président pour lui succéder.
Kudakwashe Tagweiri, homme d’affaires d’exception controversé mais contribuant largement au développement du Zimbabwe, constitue un danger pour Chiwenga, puisqu’il souhaite poursuivre la vision et le programme 2030 du président Mnangagwa.
Se sentant menacé, Chiwenga passe à l’offensive, en déposant un dossier de corruption au Politburo visant les proches du président tels Kudakwashe Tagweiri et Paul Tungwarara, mais aussi en accusant le président de violation de la Constitution. La riposte ne s’est pas fait attendre, le président rejette le dossier et accuse Chiwenga de trahison d’État et d’incitation à la violence. Dans ce duel, celui-ci pense pouvoir bénéficier de certains soutiens dans l’armée, mais le président Mnangagwa a réussi à fidéliser la majorité des officiers, après avoir redoré le blason du pays au niveau international alors que ses réformes monétaires et agricoles commencent à porter leurs fruits.
Les pays voisins observent avec inquiétude la situation. Ils savent que le Zimbabwe constitue le socle de stabilité pour l’ensemble de la sous-région et que s’il tombait dans l’incertitude et la violence, toute l’Afrique australe en serait affectée.
Le crocodile reste confiant. Il entend terminer son programme, qu’il décrit comme « Building Zimbabwe brick upon brick », et ainsi assurer sa pérennité mais certainement pas avec Chiwenga.









































