
(Image d’illustration/Source : vogon.today)
Le Conseil constitutionnel du Cameroun a proclamé, le 27 octobre, les résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre. Aux termes de l’annonce, Paul Biya l’emporte officiellement avec 53,66 % des suffrages, mais Issa Tchiroma Bakary conteste ces chiffres qui lui octroient 35,19% selon le Conseil constitutionnel. Une fusillade a éclaté devant sa résidence alors que des violentes manifestations ont lieu à Douala.
Au lendemain de l’annonce des résultats, l’atmosphère était électrique et ne présageait rien de bon. Déjà que le président du Conseil constitutionnel s’emmêlait les pinceaux en précisant avoir comptabilisé 12 millions de votants pour 14 millions en faveur de Biya, qui rempile jusqu’en 2032, et que son principal adversaire a contesté ces chiffres avant de revendiquer la victoire et d’appeler les Camerounais à se mobiliser,.
Selon le Conseil Constitutionnel, sur les dix candidats en lice, Paul Biya, 92 ans et au pouvoir depuis 43 ans, l’emporte dans 8 des dix régions électorales. Son principal opposant Issa Tchiroma, Bakary l’emporte dans les deux autres. Cabral Libii a recueilli 3,41 % des voix, Bello Bouba Maïgari 2,45 %, Tomaïno Ndam Njoya 1,66 % et Joshua Osih 1,21 % – les autres candidats ne sont pas parvenus à franchir la barre des 1 % de suffrages.
Ces dernières heures ont encore été marquées par des manifestations de colère dans plusieurs villes, comme Garoua, où le calme est revenu le 28 octobre, et à Douala, et par un important déploiement sécuritaire à Yaoundé. Selon le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, le bilan matériel des manifestations post-électorales est assez lourd.
« Plusieurs édifices publics, commerces et autres biens privés ont été incendiés, saccagés ou pillés. L’incendie des sous-préfectures de Bandja dans le Haut-Nkam, Ngong, Figuil, et Tcheboua dans la Benoué, du parquet de Guider, du palais de Dschang, de la mairie de Manjou et de la brigade de gendarmerie de Ngong. À Douala, des scènes de pillages et de vandalisme de biens publics et privés ont été enregistrés dans certains quartiers dans la ville », a-t-il déploré lors d’une conférence de presse.
Un bilan humain non chiffré

Le bilan humain n’est pas moins important, mais le ministre, tout en admettant des morts, n’a avancé aucun chiffre, alors que le gouverneur de la région du Littoral (ouest), Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, avance dans un communiqué le chiffre de « quatre morts parmi les manifestants » et « plusieurs éléments des forces de sécurité blessés » à Douala. « Au cours de ces attaques criminelles, certains assaillants ont perdu la vie. Plusieurs éléments de nos forces de l’ordre ont également été grièvement blessées », a affirmé le ministre de l’Administration territoriale, alors que beaucoup de commerces et d’écoles étaient encore restés fermés.
Pour le pouvoir, le responsable de tout ce chaos est tout trouvé, car il s’agit, selon Paul Atanga Nji, de Issa Tchiroma Bakary. « En s’autoproclamant vainqueur de l’élection présidentielle du 12 octobre dernier, en lançant des appels répétés à l’insurrection, en incitant ses partisans à défier l’ordre établi, le candidat Tchiroma s’est rendu coupable de plusieurs infractions réprimées par nos lois », a-t-il prévenu. Celui-ci est un « mauvais perdant », a estimé le ministre, pour qui le candidat déclaré deuxième de la présidentielle est responsable des exactions qui ont découlé des manifestations post-électorales.
Paul Atanga Nji a promis qu’en plus des arrestations déjà effectuées, d’autres interviendrons et les personnes qui seront jugées responsables seront traduites devant les tribunaux. Il assure néanmoins que la situation sécuritaire du Cameroun est « globalement sous contrôle », invitant les populations à vaquer librement à leurs occupations.
Selon Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’organisation de la société civile, basée à Yaoundé, cette situation inquiétante de violence ne peut mener qu’à une impasse. Elle appelle les autorités à la retenue, tous les acteurs politiques au dialogue et les citoyens à préférer des modes de revendications pacifiques aux pillages. « Nous appelons les acteurs politiques de tous bords à la retenue, au recadrage, à la coordination des actions, que ce soit des actions militaires ou des personnes qui revendiquent dans la rue ».
« Il n’y a pas eu élection, c’était plutôt une mascarade »

Dans la capitale Yaoundé, par contre, les rues sont désertes, les commerces fermés. Depuis plusieurs jours plusieurs centaines de manifestants bravaient les interdictions de rassemblement et sont descendus dans les rues à l’appel d’Issa Tchiroma, président du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) qui affirme avoir remporté 54,8% des suffrages contre 31,3% pour le président sortant, selon son propre décompte.
De fortes perturbations de l’accès à Internet ont également été constatées les derniers jours, qui selon Netblocks, une organisation de surveillance de la cybersécurité, « pourrait limiter la couverture des événements sur le terrain au milieu des appels à annuler les résultats de l’élection présidentielle ».
« Il n’y a pas eu élection, c’était plutôt une mascarade. Nous avons gagné de manière indubitable », a déclaré le candidat Issa Tchiroma Bakary.. Selon la BBC, la fusillade qui a eu lieu autour de sa résidence à Garoua, fief de l’opposant, a fait plusieurs morts, sans autre précision. Sur les réseaux sociaux Issa Tchiroma Bakary dénonce l’« assaut » contre sa résidence.
Les autres candidats à cette élection présidentielle ont diversement réagi aux résultats annoncés. Patricia Hermine Tomaïno Ndam Njoya a également rejeté les scores annoncés par le Conseil constitutionnel. Pour la candidate de l’UDC (Union démocratique du Cameroun), déclarée cinquième, ces résultats « ne traduisent pas la volonté du peuple » mais reflètent « un système électoral fragilisé, miné par les irrégularités, les manipulations ». Elle appelle les Camerounais à s’exprimer pacifiquement et les autorités à respecter le droit de manifester.
Cabral Libii, déclaré troisième, « prend acte » des résultats annoncés. Le candidat du parti PCRN félicite « le candidat proclamé élu », sans nommer Paul Biya, et demande à ses sympathisants de regarder maintenant en direction des municipales et des législatives, prévues l’année prochaine.
L’Union européenne se dit préoccupée

La commission européenne s’est fendue d’une déclaration en langage diplomatique, évoquant un partenariat « de longue date » de l’Europe avec le Cameroun, lequel repose sur les principes de bonne gouvernance, de démocratie, de respect des droits de l’Homme et de l’État de droit. « Nous déplorons la mort par arme à feu de plusieurs civils. Nous soulignons en outre l’importance de garantir la sécurité et l’intégrité physique de tous les acteurs politiques de ce processus. L’Union européenne invite également les autorités camerounaises à identifier les responsables, à faire preuve de transparence et à faire justice afin de lutter contre le recours excessif à la violence et les violations des droits humains. Nous appelons également la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement depuis l’élection présidentielle », déclare Anouar El Anouni, porte-parole de la commission et de la cheffe de la diplomatie européenne.
L’Union européenne demande donc sans le nommer que la sécurité d’Issa Tchiroma Bakary soit assurée, préconise l’ouverture d’un dialogue politique en faveur de la stabilité, de la démocratie et de la cohésion nationale et appelle à la libération de « toutes les personnes détenues arbitrairement depuis l’élection », sachant que plusieurs proches de Issa Tchiroma Bakary sont encore aux arrêts.








































