L’ Afrique en général et l’Afrique sub-saharienne en particulier sont de nouveau au centre d’une guerre froide et de jeux de pouvoirs. Il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour les ressources du continent mais un jeu d’échec diplomatique et guerrier avec des nouveaux acteurs, Russes et Turcs entre autres pour s’assurer de zones d’influence.
Le nouveau « great game » ne tient pas cependant compte de la déferlante salafiste sur le continent. Le réveil n’en sera que plus dur.
Depuis 3 jours, la retentissante défaite des troupes maliennes et de leurs supplétifs de l’Afrika Corps, anciennement Wagner, face à une coalition de rebelles Touaregs du CSP-DPA (Combattants du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad) fait la une de la presse mondiale et nourrit les analyses des experts. Surtout qu’il est établi que les troupes de l’Azawad aurait été épaulées par le GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) affilié à Al-Qaïda.
Défaite cuisante pour le pouvoir militaire malien et son leader Assimi Goita et démonstration à contrario que le bras armé de Moscou n’est pas le sauveur des nouveaux régimes révolutionnaires, ni de la région du Sahel, encore moins de l’ensemble de la sous-région.
La progression des divers groupes armés islamistes intégristes dans l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne démontre que la vague salafiste déferle sur l’ensemble du continent. Que ce soit en Afrique saharienne et sahélienne avec le GSIM et le l’EIGS (État islamique au grand Sahara), ce dernier loyal à Daesh, Boko Haram, l’ISWAP (État islamique en Afrique de l’Ouest) et le JAS (Jama’tu Alhis Sunna Lidda’awati wal-Jihad ) en Afrique sahélienne et de l’Ouest, AlShabbab dans la Corne de l’Afrique et dans l’Est, les ADF (Allied democratic forces) faisant partie de l’ISCAP (Province de l’État islamique en Afrique centrale) en Afrique de l’Est, centrale et australe, il ne fait aucun doute que la déstabilisation et la conquête de plus en plus de territoires sont constantes par les groupes salafistes.
Les réseaux salafistes en Afrique australe
Si l’Islam par exemple en Afrique du Sud était archi-minoritaire, il a connu une vraie vitalité lorsqu’une partie de la communauté noire l’a adopté pendant la lutte de l’ANC pour l’indépendance.
Or, c’est surtout l’apparition du renouveau islamique, le fondamentalisme, qui a été essentielle à partir de l’avènement de la révolution iranienne de 1979. C’est-à-dire, l’émergence de mouvements sunnites tels que le wahhâbisme ou chiisme venant bousculer l’islam orthodoxe en Afrique sub-saharienne avec ses particularismes confrériques. Nombre de centres islamiques, des mosquées et autres madrasas ont vu le jour non seulement en Afrique du sud mais dans l’ensemble de la sous-région, et cela grâce à l’action et le financement des États pétroliers arabes et des organisations caritatives musulmanes. Principalement, les Émirats Arabes Unis, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Cette nouvelle dimension de l’islam fondamentaliste s’est graduellement infiltrée dans toutes les couches des sociétés d’Afrique australe.
L’ensemble des pays constituants la SADC (South African Development Community) ont des pourcentages de population musulmane très différents. L’Angola par exemple ne dispose que 50 000 musulmans sur une population de 95 millions, et le Lesotho de 10 000 pour 2,3 millions d’habitants. Par contre, d’autres ont des proportions plus importantes comme la Tanzanie où les communautés musulmanes avoisinent les 40%, 10% en République Démocratique du Congo ou encore le Mozambique où ils constituent 23% de la population.
Fondamentalement, le nombre de musulmans dans la population importe peu. Ce qui frappe c’est l’activisme des communautés musulmanes pour promouvoir le salafisme et cela sous l’influence des pays du golfe.
Depuis l’émergence en 2017 au Mozambique dans la province du Cabo Delgado de la guérilla salafiste de Ansar Al Sunna affiliée à l’ISCAP, l’ensemble de l’Afrique australe est confrontée à une violence islamique créant une zone de déstabilisation dans toute la sous-région.
En 2023, les pays de la SADEC via la SAMIM (South african Development community mission in Mozambique) et leur force d’intervention militaire, alliée au corps expéditionnaire rwandais initialement fort de 2 500 hommes et maintenant de 4 500 hommes, ont cru avoir défait les djihadistes mozambicains qui avaient subi un certain nombre de revers. Force est de constater que ces derniers sont revenus encore plus forts depuis fin novembre 2023, montant nombre d’opérations d’ampleur contre l’armée mozambicaine et les positions rwandaises dans différentes localités.
Cette résurgence et progression des djihadistes en Afrique Australe s’explique par les liens tissés entre les différents groupes régionaux.
En effet, la coopération entre Ansar Al-Sunna et les ADF s’est considérablement renforcée. Ils partagent des camps d’entrainement au Kivu, au Cabo Delgado et en Tanzanie. C’est surtout leur capacité à recruter dans l’ensemble de la région, en Ouganda, au Burundi, en Tanzanie, en RDC et au Mozambique qui leur permet de lancer un djihad régional mettant en danger une série de régimes relativement fragiles comme la Zambie ou la Tanzanie.
Le vrai danger pourrait provenir de l’Afrique du Sud
Si la Tanzanie semble stable sous la férule de sa Présidente Samia Shulu, depuis un certain temps, la multiplication des madrasas salafistes que le gouvernement tente de contrôler est un signe d’une radicalisation certaine qui, à moyen terme, peut déstabiliser l’État tanzanien avec de lourdes conséquences pour ses voisins.
Cependant, la vraie inquiétude pour l’Afrique australe provient du géant aux pieds d’argile, l’Afrique du Sud. La défaite de l’ANC (African national Congres) aux dernières élections de mai 2024 était courue d’avance. Le gouvernement de coalition assez hétéroclite composé de 11 partis mis en place sous l’égide de Cyril Ramaphosa pour un second mandat doit faire face à une situation politico-sociale totalement instable. Taux de chômage galopant, pauvreté endémique, tensions raciales et sociales commencent à saper l’homogénéité de ce pays, que l’on appelait la nation arc-en-ciel.
Dans ces failles « sociales », l’islam radical provenant du whabbisme saoudien et somalien ainsi que des communautés de réfugiés venant des côtes swahili a commencé à s’infiltrer dans les strates de la société sud-africaine. C’est ainsi que le pays est devenu la plaque tournante du financement de l’ISCAP et de ses groupes djihadistes dans toute l’Afrique australe, permettant la création de réseaux efficaces et discrets sans aucun risque de répression, étant donné la corruption endémique de la police sudafricaine.
Pour le moment, il n’y a pas encore de risques d’affrontements ou d’actions terroristes des islamistes intégristes sur le territoire sud-africain, du fait que le pays sert également de base arrière pour des camps d’entrainements clandestins, et que tout le monde se satisfait de ce statu quo porteur d’une déstabilisation régionale.
Le premier califat africain
Le seul chef d’État d’Afrique australe qui semble réellement conscient du danger de l’établissement d’un califat est le président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa. Pro-actif, il fut à l’initiative de la création de la SAMIM en 2021 pour tenter de freiner et bloquer les djihadistes salafistes du Cabo Delgado. Lors d’une interview à la Libre Belgique en février 2022, il déclarait : « C’est l’ensemble de l’Afrique australe qui est au cœur de leur projet. Ces fondamentalistes veulent installer un califat dans toute l’Afrique australe. Nous voulons éradiquer ce fléau. Nous, les Zimbabwéens, nous sommes déterminés à tout faire pour atteindre cet objectif avec le soutien des autres États de la Sadec. Mais nous sommes freinés par les sanctions internationales qui nous frappent…..qui nous empêchent notamment aujourd’hui, dans le cadre de ce conflit, de moderniser notre armement. Or, c’est devenu essentiel dans la lutte contre ces terroristes, qui ne sont pas seulement issus de la région du Cabo Delgado mais aussi de Tanzanie, de Somalie, de la République démocratique du Congo ou même du Moyen-Orient. Face à cette menace internationale, il faut nous donner les moyens de lutter ».
Aujourd’hui, tous les yeux des experts sont braqués sur la zone sahélienne et de l’Afrique de l’ouest et ils négligent l’arc de cercle djihadiste qui traverse la Tanzanie, le Kenya, l’Est du Congo, descends via la Zambie et le Mozambique jusqu’à l’Afrique du Sud qui hélas n’attend que la flamme qui allumera le brasier salafiste.
L’établissement d’un califat islamique est proche de devenir une réalité, la surprise venant du fait que celui-ci ne prenne racine ni au Sahel, ni dans la Corne de l’Afrique mais en Afrique australe.
*Max-Olivier Cahen est un ancien conseiller du Maréchal Mobutu et auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’expansion et d’hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique sub-saharienne ».