« Ali boma ye, Ali boma ye » ! Littéralement « Ali tue le ». Ce cri scandé par le public qui retentit dans le stade du 20 mai à Kinshasa, rempli à craquer ce 30 octobre 1974, a marqué à tout jamais l’histoire de la boxe et du sport tout court.
Dans la moiteur de la nuit zaïroise, Mohammed Ali, 32 ans, déchu de son titre en 1967, fait face au défi de sa vie, redevenir champion du monde des poids lourds pour la seconde fois. Face à lui, Georges Foreman, un monstre, ayant mis KO les deux seuls hommes ayant brisé son armure d’invincibilité, Joe Frazier et Ken Norton.
Comme disent nos amis Américains, « the rest is history », défiant tous les pronostics et utilisant la tactique du « rope a dope », adossé aux cordes, laissant Foreman s’épuiser. Au 8ème round, Ali l’envoie au tapis pour le compte et conforte sa légende du plus grand boxeur et sportif de tous les temps. Le 30 octobre 2024 marquera le 50ème anniversaire du combat du siècle, mieux connu sous l’expression « The Rumble in the Jungle ».
Certains experts diront que le combat du siècle était celui du « Thrilla in Manilla », le 1er octobre 1975, le dernier volet de la trilogie Ali-Frazier. Cette rencontre fut dans les propres mots du plus grand « l’expérience la plus proche de la mort que j’ai ressentie ». Si ce dernier fut un duel d’anthologie, mais par sa magnitude et son aura le « Rumble in the Jungle » est réellement le combat du siècle.
Un combat grandiose pour ses implications planétaires
Aujourd’hui, si des matchs de boxe en Arabie Saoudite, comme celui entre Tyson Fury et Oleksandr Usyk pour l’unification du titre des poids lourds font la une mondiale, jamais ils ne pourront égaler l’affrontement entre Ali et Foreman et ses implications planétaires.
Tout d’abord le lieu, Kinshasa, mettant ainsi le Zaïre, aujourd’hui la République démocratique du Congo, au centre du monde. Mais surtout, c’est en Afrique. Une première !
Pour Ali, Noir et musulman, c’est le symbole du retour sur la terre des ancêtres. Victime d’un lobby blanc aux États-Unis où la ségrégation est toujours bien présente, même si elle n’est plus légale, Ali a toujours été détesté pour sa « grande gueule », d’où son surnom « the Louisville Lip », et pour ses combats en faveur des droits civiques.
Déchu de son titre pour avoir refusé de combattre au Vietnam, sa fameuse phrase « aucun Vietcong ne m’a jamais traité de négre » résonne comme un symbole de non-soumission. Il est alors interdit de boxer pendant pratiquement quatre années. Il voit dans ce combat de Kinshasa comme une revanche sur ceux qui l’ont humilié et privé de ses meilleurs années de boxeur.
Plus d’un milliard de téléspectateurs
Ensuite, c’est l’un des événement sportifs mondiaux les plus suivis dans le monde. Plus d’un milliard de téléspectateurs regardent le combat, ce qui en 1974 est tout simplement ahurissant. Agrémenté par les plus grands artistes de la musique comme James Brown, The Spinners, BB King, Myriam Makeba, Tabu Ley Rochereau, Sister Sledge et Bill Withers notamment.
Un retour aux sources pour la diaspora afro-américaine. Sans oublier la folie du montant des bourses – 5 millions de dollars pour chacun des gladiateurs – grâce à la générosité du Président Mobutu qui réussit un coup politique énorme.
Les grands écrivains se mêlent aussi de la partie. Le romancier-journaliste Norman Mailer écrira un livre simplement intitulé « The fight », dans lequel il dit du combat que « les boxeurs traversent des fleuves de douleurs ».
En marge du combat, Ali fait le show avec les enfants des rues, il électrise les foules.
Bref il se présente comme l’homme du peuple, celui qui lutte pour le droit des Afro-américains et pour les Africains, alors qu’il traite Foreman de boxeur pour Blancs comme il l’avait fait avec Joe Frazier.
Foreman, honni de tous
Avant même le combat, Ali est le favori de tous. Foreman qui a eu la mauvaise idée d’emmener avec lui son berger allemand, le chien emblématique des anciens colons et de la police du régime d’apartheid sud-africain, est désigné comme le méchant. Il a déjà perdu avant même d’être monté sur le ring !
Quand il est envoyé au tapis au 8ème round, le stade exulte. De martyr exilé des rings par la décision d’une justice inique, de héros de la lutte pour les droits des Afro-américains, Ali accède au statut de dieu vivant.
On connaît tous le beau parleur, l’homme aux phrases imagées comme « Je vole comme un papillon et pique comme une abeille », aux provocations calculées comme lorsqu’il dit « Je suis le plus grand » et celui qui lutte pour les droits civiques.
En raison de ses déclarations contre l’Amérique blanche, ses paroles ont été récupérées par certains groupes comme the Nation of Islam de Louis Farrakhan, dépeignant Ali comme un homme partageant leur haine des Blancs. Rien de plus faux, Mohamed Ali était un homme de paix. L’une de ses plus belles déclarations est d’ailleurs restée mythique : « Haïr les gens pour la couleur de leur peau est mal. Et peu importe la couleur qui hait, c’est tout simplement mal ».
Un champion au grand cœur
Les autres facettes de cet immense champion étaient peu connues, surtout le temps qu’il prenait pour chaque personne qu’il rencontrait et les liens particuliers qu’il tissait et chérissait.
Parmi ses jardins secrets, on trouve son amitié avec deux hommes hors du commun. D’abord Billy Cristal, immense acteur connu pour son role dans « Harry met Sally », scénariste, producteur et réalisateur.
Tout jeune humoriste en 1974 après le combat du siècle, il remplace au pied levé un comédien à une soirée de Sport Magazine qui rend hommage à Ali. Il est choisi car il imite un dialogue entre Ali et le grand commentateur Howard Cosell. À la fin du show, Mohamed Ali le prend dans ses bras et lui dit : « tu es mon petit frère ». Cette amitié a duré 42 ans, ils ne sont jamais quittés, participant à des soirées de charité et passant des moments en famille. Billy Cristal sera choisi par la famille d’Ali pour prononcer le discours de souvenir le plus poignant aux funérailles de ce dernier.
Ensuite, une amitié improbable avec un incroyable champion du monde des Poids moyens à poings nus, un Irlandais invaincu en 114 combats. À la différence d’Ali, aucune publicité pour lui, aucune gloire, tout devant rester confidentiel, mais un grand champion : Paddy Monaghan.
Après une première rencontre en 1963, ce dernier, furieux qu’Ali soit déchu de son titre et interdit de boxer, lança une pétition et mena campagne en Angleterre pour Ali. Quand celui-ci récupéra sa licence, il rencontre à nouveau Paddy Monaghan pour le remercier de son soutien. Ils devinrent les meilleurs amis du monde et leur amitié dura 50 ans, jusqu’à la mort d’Ali.
Alors que des chefs d’État et des célébrités devaient prendre un numéro pour rencontrer le champion, Ali prenait toujours le temps pour rendre visite à son ami Paddy et à sa famille à Abingdon, sans compter les multiples appels téléphoniques et les voyages ensemble.
Mohamed Ali était un homme pour toutes les saisons, mieux que personne.
Billy Crystal dit à son sujet : «Tous les mille ans nous avons la chance d’écouter un Mozart, voir un Picasso, lire un Shakespeare, Ali était l’un d’entre eux. Mais dans son cœur il était toujours ce gamin de Louisville qui courrait avec les dieux, marchait avec les handicapés et souriait à la bêtise du monde».